Village de la Justice www.village-justice.com

Aspects actuels du recel au regard du nouvel environnement numérique. Par Abdou Dangabo Moussa, Avocat
Parution : vendredi 18 novembre 2011
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Aspects-actuels-recel-regard-nouvel,11179.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par delà ses multiples significations au plan sémantique, le recel continu d’avoir un fort coefficient péjoratif attribué par le sens commun.
Certains arrêts récents de la Cour de cassation pourraient donner à penser que la jurisprudence en matière de recel des choses continue encore d’être sévère.

D’abord considéré comme un fait de complicité, le recel constitue depuis 1915 un délit spécial, auquel sont appliquées les peines établies contre le vol. En d’autres termes, la complicité se rattache à l’infraction principale et se prescrit avec elle. C’était le système de recel-complicité. Or ce système procurait un avantage indéniable au malfaiteur, qui pourrait continuer tranquillement ses entreprises maléfiques et faire jouer la prescription afin de rester impuni.
Pour remédier à ce dysfonctionnement, la loi du 22 mai 1915 érige le recel en une infraction autonome. Ce qui accroit les possibilités de répression. Le recel devient dès lors une infraction de conséquence et une infraction continue.

Dans l’esprit des traditions juridiques françaises, la jurisprudence incorpore des questions de philosophie, de l’informatique...pour faire évoluer le droit. Il semble acquis qu’il est impossible de saisir les lois spécifiques sans connaître les lois générales, de saisir le contenu et la forme sans comprendre l’essence. Ainsi, les nouveaux facteurs du dynamisme social posent au droit positif des problèmes tout aussi nouveaux tels le téléchargement des images pédo-criminelles (le mot pédophile est un non sens), le téléchargement illicite des films et de la musique sans l’autorisation de l’auteur (artiste).

I- Quelques généralités sur la notion de recel de choses

Le recel est une criminalité ayant le plus de liens avec l’économie. Sans verser dans la criminologie radicale qui postule que la criminalité (le recel) « ne peut être fonction que de conditions économiques », même si elle a un lien direct avec celles-ci. Certes, les atteintes aux biens, notamment celles qui consistent à s’approprier ou à détruire tout partie du patrimoine d’autrui tendant à croître par rapport aux atteintes contre les personnes physiques. C’est ainsi par exemple que certaines infractions tel que le vol, l’escroquerie ou l’abus de confiance favorisent la commission d’autres infractions, notamment le recel. D’où l’adage : "le receleur fais le voleur".

Le receleur serait un véritable agent économique (au sens traditionnel du terme). Sa consommation est réalisée grâce aux revenus qu’il tire des produits volés entre autres. Pour certains receleurs, les plus costauds, liés au grand banditisme, ceux qui opèrent sur des marchés financiers ou de crédit, agissent comme des véritables entreprises : blanchiment servant à acquérir des valeurs mobilières ou autre achats (investissements). Bref, le receleur fait jouer la loi de l’offre et de la demande en vue de réaliser des marges bénéficiaires.

Bien évidemment les professionnels de recel instrumentalisent généralement des petits délinquants, souvent récidivistes, qui apportent ou revendent les produits voilés.

A coté des receleurs professionnels, il y a des receleurs « occasionnels » qui se laissent aller aux facilités en commettant des infractions. Jusqu’à une période récente, le juge ne faisant aucune distinction entre receleurs professionnels et les receleurs occasionnels. Désormais, depuis la Loi du 30 novembre 1987, les premiers sont plus durement sanctionnés.

Une des difficultés majeures concernant le recel, réside dans la connaissance de la criminalité réelle. La criminologie donne deux sortes d’instruments de mesure : les enquêtes d’auto-confession (reposant sur le témoignage des victimes grâce à des recherches, les premiers types d’enquête restent quant à eux difficile à élucider. Surtout lorsque le recel concerne directement la vie des affaires. C’est quand « des hommes haut placés, se servant des nouvelles technologies pour faire disparaitre les fonds reçus illégalement » ou téléchargeant des fichiers contenant des images pédophiles ou encore le téléchargement de la musique sans autorisation de l’artiste, auteur de l’œuvre.

Pour punir ces agissements criminels, l’article 460 ancien du code pénal était impuissant. Il a fallu que les tribunaux usent de leur pouvoir créateur pour faire évoluer la notion de recel. Comme le souligne Stéphane Derlet, «  le recel a donc subit une transformation nécessaire pour s’adapter aux nouveaux procédés employés par les receleurs et en raison de l’essor excessif de leur industrie » (S. Derlet, Mémoire de DEA, Université de Nantes, 2001, p.9). Autrement dit, l’apparition des nouvelles technologies de l’information a conduit les juges à faire preuve d’une plus grande sévérité en élargissant les conditions du recel.

La consécration des acquis de la jurisprudence en matière de recel des choses par le législateur français a donné lieu à toute une série de lois.

C’est d’abord les éléments constitutifs du recel des choses qui a évolué ; ensuite les sanctions.

a) L’évolution des éléments constitutifs de recel des choses.

1. En ce qui concerne l’élément matériel

Désormais le siège textuel du recel des choses est énoncé dans l’article 321-1 du code pénal. D’après les dispositions de ce texte, il ne peut y avoir recel en l’absence d’une infraction qui la précède. Mais certaines limites ont été apportées à cette solution. En premier lieu, l’infraction préalable doit être un crime ou un délit. Cela signifie que le recel consécutif à une contravention n’est pas incriminé, et les juges doivent constater expressément l’origine de la chose recelée (V. sur ce point PH. Conte, Droit pénal spécial, 2e éd., Litec, 2005, n°613, R. Ottenhof, chronique, RSC, Avril/Juin 2006, p.324).
Ensuite, le recel ne saurait se confondre avec l’infraction d’origine. En cela, il constitue une infraction de conséquence.

En revanche, la Cour de cassation considère que le complice peut être un receleur (cass. crim., 18 nov. 1965 : D. 1966. p.248, note Combaldieu).

En tant qu’infraction de conséquence, le recel des choses dépend, en ce qui concerne sa répression, de l’infraction d’origine.

Aussi, le recel des choses ne peut être éteint « tant que l’infraction d’origine n’est pas apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique » (v. R. Ottenhof, RSC., crim., 1997, P.644 ; idem RSC.(4), oct.-déc. 1999, p.824).
Fort du principe de la légalité des délits et des peines, le législateur français pose des conditions très strictes pour caractériser l’acte du recel proprement dit. Et s’il existe une abondante jurisprudence en matière de recel, c’et bien au niveau de la détention de la chose et de la chose recelée.
La détention doit s’entendre, selon la jurisprudence, dans son acception la plus large. Ainsi, pour être un receleur, l’article 321-1 du code pénal vise le fait de dissimuler la chose. On peut tout aussi bien « commettre l’infraction en détenant la chose » ou « en tirant profit de l’infraction d’origine. » (V. Ph. CONTE, op. cit., RSC n°619).
La notion de « chose » a connu une importante évolution ; elle renvoie à un objet corporel, palpable et visible. Or si l’on s’en tient à cette approche matérielle, le recel de l’information, du secret de fabrique ou des fichiers informatiques pourrait être écarté de la prévision de l’article 460 ancien du code pénal. Comment peut-on dès lors avoir une « mainmise » sur une information ou un secret ? On s’aperçoit d’emblée que le terme « chose » soulève bien de difficultés qu’il n’en résolve. La jurisprudence hésite à admettre le recel d’information si l’on ne détient pas le support (cass. Crim., 3 avril 1995 ; Bull. crim. , n°142 ; RSC 1996, p. 660, obs. Ottenhof (Violation du secret professionnel). Ainsi la publication partielle d’une lettre de saisine du Garde des Sceaux dans un hebdomadaire de large audience a fait l’objet de poursuite en diffamation publique et de recel de violation du secret professionnel (cass. Crim. , 24 Mai 2005 ; B. 155 ; Droit pénal spécial, 2006, chroniques V. Malabat et J.C. Saint-Pau (Diffamation et recel de violation du secret professionnel).
En effet, « la dématérialisation des biens recelés résulte ainsi d’une part, directement de celle des choses faisant l’objet des infractions de provenance et, d’autre part, de la consécration légale de la notion de « bénéfice du produit du crime ou d’un délit » (S. Derlet, op. cit.). C’est en effet par le biais de la notion de « profit » tiré de la chose d’origine délictueuse que le recel des choses incorporelles a pu être jugé. Ce que les juridictions n’ont pu faire sous l’emprise de l’article 460 ancien du code pénal : une information échappait donc aux prévisions de l’article précité (RSC, 1996, 821, obs. Ottenhof). Dès lors, on pourrait légitimement se poser la question de savoir combien d’infraction ont pu ainsi échapper au contrôle des juges ?
Force est de constater que tout en soulignant le caractère isolé de l’arrêt criminel condamnant la divulgation des secrets de fabrique (crim. 7 nov. 1974 ; Bull. Crim. N° 323 ; 1974, Somm., 144), les tribunaux restent toujours hésitants à condamner le recel d’information, en particulier le recel qui ayant trait au téléchargement de fichiers. (T. corr. Le Mans, 16 février 1958 : JLP 1999, II, 10011, note Frayssinet ; Crim. 9 juin 1999 : Bull. Crim. N°133). Veron, Dr. Pénal, avr. 1990, chron. 1 (« Le recel d’odeur des pastis ». Réflexion sur l’élément matériel du recel).

Progressivement, la jurisprudence étend la notion de « chose » à des valeurs ou à des biens incorporels. Cette tendance à la « dématérialisation » semble avoir une portée limitée. Selon la Cour de cassation, une information n’est pas assimilable à une chose, objet du recel. Elle donne une précision de taille : « une information, quelque soit la nature ou l’origine, échappe aux prévisions tant de l’article 460 de l’ancien code pénal que de l’article 321-1 du nouveau code pénal, et ne relèverait, le cas échéant, si elle faisait l’objet d’une publication contestée par ceux qui la concerne que des dispositions spécifiques à la liberté de la presse ou de la Communication audio visuelle ». (crim. 3 avr. 1995, Bull. n°142 ; JCP. 1995. II- 22429).

Il s’agit en effet de la feuille d’imposition de M. Calvet, parue dans le journal Canard enchaîné, qui pose problème. Le quotidien a été condamné pour recel de l’information. En l’espèce, c’est le support de l’information qui est en cause et non l’information elle-même.
La dématérialisation soulève autant de questions qu’il convient de les aborder maintenant.

2. En ce qui concerne la fongibilité des choses recelées

En effet, la fongibilité des choses recelées pose la question de savoir si l’objet recelé doit être identique à celui de l’infraction d’origine ou bien si l’objet peut subir des transformations.
Dans l’hypothèse du recel d’information, très souvent, en dehors du journal incriminé, plusieurs organes de presse concurrents rapportent en boucle l’information litigieuse de manière tronquée. Y a-t-il en pareil cas recel ?
La doctrine et la jurisprudence seront-ils toujours d’accord pour ne pas exiger l’identité de l’objet du recel ? Dans la pratique on s’aperçoit par exemple dans l’affaire Cleastreem, hormis le journaliste auteur de l’écrit, les autres journaux qui ont relayé l’information sur la fameuse liste contenant des noms des personnalités politiques françaises n’auraient pas été mis en cause. Faudrait-il pour autant conclure qu’il n’y aurait recel d’information par le jeu de la subrogation réelle ? Les lecteurs ayant acheté et lu ces journaux en sachant que l’information serait d’ « origine frauduleuse » sont-ils des receleurs ? Notons toutefois que la subrogation réelle ne s’applique qu’à des choses matérielles.
Outre la subrogation réelle en matière de recel de choses, une autre forme de dématérialisation a vu le jour par le biais de l’admission du recel d’usage et du bénéfice du produit de l’infraction d’origine.

b) – L’usage et le bénéfice du produit du recel

Grâce à la dématérialisation par le biais de la notion de bénéfice tiré de l’infraction principale, la jurisprudence a réussi à étendre le recel à des choses immatérielles. On citera volontiers deux cas caractéristiques de cette dématérialisation.
Le premier cas concerne le recel d’usage et de services : l’élément matériel du recel existe-t-il dans le cas d’un passager ayant pris place à bord d’un véhicule qu’il sait voler ? La chambre criminelle de la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à la question posée.(crim. 9 juil. 1970, D. 1972, chron, pp. 281-282). Cette position répressive adoptée par la cour de cassation a donné lieu à un débat très houleux (crim. 9 juil. 1970, B. 236, D. 1971, p. 3, note Littman ; G.P. 1970.2.217, note J.P.D. ; J.C.P. 1971. II. 16616, note Bénabent).
Aujourd’hui la pratique dominante consiste à retenir l’infraction du recel contre un individu qui se servirait lui-même du téléviseur ou du magnétoscope volé par un ami, mais en revanche celui ou celle qui se contenterait, par exemple, d’écouter la musique que lui ferait entendre chez lui, le voleur n’est pas passible de recel.
Désormais l’article 321-1 du nouveau code pénal, conçu en termes généraux, permet de punir « tous ceux qui, en connaissance de cause, ont par un moyen quelconque, bénéficié du produit d’un crime ou d’un délit. ».
Cette question revêt également un intérêt particulier dans certaines matières comme le recel des droits de créance, biens immatériels, notamment dans le domaine de la communication des renseignements frauduleusement obtenus. De fait, la jurisprudence va considérer le secret (professionnel ou de fabrique, etc.) comme un objet susceptible de recel. Cependant, il n’existe pas à proprement parler de recel spécifique des données informatiques. Nous lui consacrerons un commentaire dans notre prochain article. Mais avant, il nous faut aborder l’élément intentionnel du recel.


2) En ce qui concerne l’élément psychologique

Le recel était à l’origine une infraction intentionnelle. Celle-ci consiste dans la connaissance de l’origine délictueuse des objets recélés et dans la volonté de profiter de l’infraction préalablement commise. Il résulte de l’article 460 de l’ancien code pénal que « ceux qui, sciemment, auront recelé » ou de l’article 321-1 du nouveau code pénal qui ajoute : « en sachant que » ou « en connaissance de cause ». Dit autrement, on n’est pas receleur sans le savoir.
Dans une décision rendue par la chambre criminelle en 1932, celle-ci décide que la culpabilité du receleur n’implique pas la connaissance précise de l’espèce de crime ou de délit par lequel ont été obtenus les objets recelés. (crim. 16 mars 1932 ; Bull. crim. n° 79 ; 31 mars 1949 : ibid. n° 131).
Il apparaît donc que dans un souci de répression, la jurisprudence a réduit la dose de l’intention exigé chez le receleur pour retenir une simple faute d’imprudence.
Ainsi la notion de « volonté » se décompose alors en deux temps : le receleur doit savoir que la chose provient d’un crime ou d’un délit et il doit avoir conscience de bénéficier de cette infraction initiale en détenant ou en se servant des choses en étant issues (S. Derlet, op. cit. p. 30).

Abdou DANGABO MOUSSA Avocat au Barreau de Paris [->cabinet.dangabo@hotmail.fr]