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Juges, Avocats : des valeurs communes légitimant une formation commune ?
Parution : jeudi 29 novembre 2012
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La légitimité des magistrats à rendre la justice, ainsi que celle des avocats à représenter leurs clients, dépendent toutes deux de leurs formations respectives bien que distinctes.

Mais il n’est pas nouveau qu’il existe un antagonisme certain entre les deux professions alors même que les valeurs communes semblent plus nombreuses que celles qui les séparent ou les opposent.

Cet Antagonisme trouve son origine dans un concept qui divise les deux professions, le principe d’impartialité. L’avocat est par définition le porte parole de son client et le défenseur de ses intérêts alors que le juge, quant à lui, se doit d’être impartial à l’égard de l’ensemble des parties au procès.

Avant d’envisager si une formation commune pourrait apaiser les rapports des deux professionnels du droit, il est nécessaire de voir quelles sont les principales valeurs communes des deux professions, même si elles ne sont pas forcément conçues de la même façon que l’on soit devant ou derrière la barre.

Leur première valeur commune s’impose comme un devoir, une réelle obligation, celle de l’intégrité ou probité. Cette valeur essentielle constitue un véritable devoir professionnel d’agir de bonne foi, de se comporter avec honnêteté intellectuelle. Elle représente alors un principe indispensable aux deux professions qui agissent sous le serment de servir la Justice.

Le deuxième principe essentiel est ambivalent car il constitue à la fois une protection et une interdiction, c’est celui de l’indépendance. C’est une protection car elle doit garantir à l’avocat les moyens, tout est respectant la liberté de son client, de ne pas être aux ordres de ce dernier. C’est une interdiction quand par exemple elle empêche l’avocat d’accepter des mandats qui le placerait dans une situation de conflit d’intérêts.
Pour le juge, la valeur d’indépendance est aussi très forte mais le risque n’est pas le même. Ici on craint que le magistrat puisse subir l’influence de membres du pouvoir exécutif. L’indépendance doit alors le prémunir de toute forme de pression verticale, ou de non respect du principe de séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire), indispensable au bon fonctionnement d’un Etat de droit.

Enfin, une troisième qualité se doit d’être partagée par les deux praticiens du droit, celle du respect. Valeur morale qui par principe nécessite d’être réciproque entre les deux protagonistes de la justice. Mais pour se respecter il faut avant tout se comprendre, ce qui passe avant tout par la connaissance de l’autre.
Pour arriver à se connaître, une formation commune semble alors être une des meilleures pistes, car comment mieux se connaître qu’en évoluant ensemble ?

Certes les études à l’université sont communes jusqu’au master en Droit, mais est-ce à cette étape, si longue soit-elle, qu’un juge ou un avocat est formé aux aspects techniques et pratiques de son métier ?
Les juristes savent bien qu’il n’en est rien, la déontologie et l’ensemble des règles pratiques des deux professions s’intégrant essentiellement lors des formations professionnelles post fac. En centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) ou à l’école nationale de la magistrature (ENM), dans des cours théoriques et surtout lors de stages obligatoires, qu’ils se déroulent en cabinet d’avocats ou en juridiction.

Déjà le rapport Darrois de 2009 préconisait une formation commune des professionnels du droit : « Créer des écoles de professionnels du droit après l’université et avant d’entrer au CRFPA/ENM pour permettre une formation commune. »

Certes, depuis le rapport des avancées ont été faites, avec par exemple la possibilité pour les élèves avocats d’effectuer leur stage PPI (Projet Pédagogique Individuel) au sein d’une juridiction. Mais le stage PPI n’est pas obligatoirement fait en juridiction, c’est un choix de l’élève avocat, et aujourd’hui une majorité d’élèves y préfèrent un stage dans le milieu de l’entreprise.

En outre, l’élève avocat peut envisager, encore dans le cadre de son PPI, de suivre pendant 6 mois la formation de l’ENM (mais les places sont délivrées au compte goutte avec une dizaine de stagiaires avocats par année).

Réciproquement, lors de la formation ENM les auditeurs de justice débutent par un stage en cabinet d’avocats de 6 mois. Chaque auditeur est accueilli par un cabinet d’avocats afin de participer au fonctionnement du cabinet et de se familiariser avec le monde judicaire et ses diverses fonctions. Mais le reproche que l’on peut faire est que ce stage, ayant lieu en début de formation, semble bien éloigné de l’entrée en fonction des magistrats débutants pour en garder un souvenir efficient le moment venu.

Maître Menesguen (directrice de l’EFB), lors de la Conférence Européenne du 7 novembre 2012 organisée par le Conseil Consultatif des juges européens (CCJE) et le barreau de Paris, a mis en avant trois pays européens qui ont su aller plus loin dans cette idée de formation commune.

En Allemagne par exemple, les acteurs de toutes les professions juridiques suivent la même formation pendant la quasi-totalité de leurs études. Se créé alors un sentiment d’appartenance à une communauté, qui par la suite ne sera pas remis pas en cause lors des choix professionnels. En fin de cursus, les juges seront alors recrutés parmi les étudiants ayant obtenu les meilleurs résultats à l’examen sanctionnant la fin des études.

En Finlande, le détenteur d’un diplôme d’études supérieures en droit qui a réussi à prouver par son action antérieure au sein d’un Tribunal ou d’une autre activité, qu’il possède les connaissances requises pour assumer la fonction, peut être nommé juge. L’avocat quant à lui doit être un magistrat accepté par l’Ordre des Avocats. Leurs cultures étant par essence communes, juges et avocats peuvent donc travailler ensemble avec une grande souplesse, une confiance mutuelle.

En Angleterre et au Pays de Galles, les juges professionnels sont choisis parmi les avocats les plus expérimentés. La loi fixe l’expérience minimale exigée à sept, dix ou quinze ans suivant le poste brigué. Là encore leur culture est commune.

Mais se pose alors la question de savoir si dans ces trois pays voisins la justice est meilleure, mieux rendue ? Difficile à dire, mais en tout cas il semble que les rapports entre les deux professions soient plus apaisés que dans l’hexagone.

Toujours est-il qu’à la sortie des IEJ ou d’autres institutions de préparation aux carrières judiciaires, futurs juges et futurs avocats se sont fréquentés pendant des années sur les bancs des facultés de droit. Mais certains ont passé un concours, celui de la magistrature, d’autres l’examen d’entrée du CRFPA.

Aux premiers, lors de la formation, on magnifiera les grandeurs et servitudes de la charge de rendre la justice, on apprendra tout sur les métiers de juge et de procureur, comment conduire les enquêtes, comment poursuivre les auteurs des infractions, comment instruire des dossiers, comment protéger ou sanctionner, comment juger, peut-être même comment bien juger ?

Aux seconds on apprendra à bien se conduire via la sacro-sainte déontologie de l’avocat, très riche et détaillée dans le RIN (Règlement intérieur national de la profession d’avocat), tout en étant entièrement basée sur le serment que doivent promettre de respecter les avocats avant de pouvoir commencer à exercer : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

Une formation commune peut donc apparaître comme délicate car certains secrets se doivent d’être gardés (méthodes d’instructions, usages des juridictions, secret professionnel).
On note d’ailleurs que depuis que la formation ENM est ouverte à une poignée d’avocats par année, les magistrats enseignants s’empêchent parfois, selon leurs dires, de dévoiler trop en profondeur les us et coutumes, particulièrement informels, de la profession. Et réciproquement, les cabinets d’avocats qui accueillent en stage des auditeurs de justice, s’auto censurent afin d’éviter que le futur magistrat, sciemment ou non, viole le secret du dossier.

Guy Canivet, ancien premier Président de la Cour de Cassation, propose quant à lui qu’une déontologie commune soit instaurée, que l’on appellerait la « déontologie judiciaire » : « réunissant les principes que partagent tous ceux qui concourent à la justice, des principes qui gouverneraient le comportement des professionnels de justice, des professionnels quels qu’ils soient, avocats, avoués, juges, procureurs et greffiers à l’égard de l’institution elle-même, à l’égard de ses usagers et à l’égard d’eux-mêmes, dans leurs rapports réciproques. »
Mais qui serait chargé de faire respecter cette déontologie commune : le bâtonnier, le conseil supérieur de la magistrature ?

En conclusion, dans un monde parfait, une formation commune des avocats et des juges serait un idéal. Un gain de temps, d’argent public, et conduirait sûrement à des procédures plus souples, plus rapides, grâce à la meilleure connaissance réciproque des deux acteurs de la justice.
Mais notre justice n’est t’elle pas conçue comme un rapport de force, où magistrats d’un côté et avocats de l’autre se doivent tous deux d’être caricaturalement opposés dans leurs rôles respectifs, comme ils peuvent l’être géographiquement à la barre ?

Chiens et Chats pourraient ils vraiment être eux-mêmes si on les éduquaient de la même façon ?

Benjamin Brame Rédaction Village de la Justice