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L’ouverture de comptes bancaires par des buralistes. Par Céline Burac, Avocat.
Parution : vendredi 21 février 2014
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A la question qui apparaît sur le site Internet de la Banque de France : « aucune banque n’accepte de m’ouvrir un compte : Que faire ? », la réponse pourra être dorénavant : ouvrez un compte dans un bureau de tabac !

Depuis le lancement de ce nouveau service le 11 février dernier, il est dorénavant possible d’ouvrir un compte bancaire auprès d’un … buraliste agréé.

En effet, la Société Financière des Paiements Electroniques (FPE) a mis en place un partenariat avec la Confédération Nationale des Buralistes de France lui permettant de proposer un service de compte de paiement (dénommé « Nickel ») ouvert à tous, sans conditions de revenus, de dépôts ou de patrimoine, et sans possibilité de découvert ni de crédit.

Des buralistes devenus banquiers

Dans le cadre de ce nouveau service bancaire, le buraliste est le premier point de contact du client pour l’ouverture du compte.

Pour ce faire, il suffit de se rendre dans un bureau de tabac ayant reçu l’agrément de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation (ACPR) avec votre carte d’identité et un numéro de téléphone portable.

Une borne qui permet de dématérialiser les informations vous concernant et notamment de scanner votre pièce d’identité est installée chez le buraliste et permet de créer instantanément votre dossier client. Une fois que vous aurez complété quelques informations personnelles (statut marital, profession, etc.), votre dossier sera constitué. Après que le buraliste ait vérifié la correspondance entre l’identité déclarée et le porteur de la carte d’identité, celui-ci associe une Mastercard à votre dossier client et active celle-ci sur son terminal de paiement électronique. Vous obtenez ainsi immédiatement votre numéro de compte, un RIB ainsi que votre carte de paiement utilisable en tous lieux.

Outre la facilité déconcertante de l’ouverture du compte, la société FPE semble proposer une tarification très abordable. De plus, la société FPE précise qu’aucun frais d’incident, d’intervention ou agios ne sera facturé aux clients.

La dérogation au monopole bancaire s’agissant des services de paiement

La dérogation au monopole bancaire s’agissant des services de paiement ne date pas d’aujourd’hui et a été favorisée par le plan SEPA (« Single Euro Payment Area » - Espace unique de paiements en euros) dont l’ambition est d’harmoniser et de créer une gamme unique de moyens de paiement au sein de l’espace européen.

C’est ainsi que la Directive sur les Services de Paiement adoptée le 13 novembre 2007 par la Commission européenne et entrée en vigueur en droit français en novembre 2009 a notamment permis d’encourager la concurrence sur le marché du paiement électronique en permettant à des institutions non bancaires d’entrer sur le marché des paiements avec la création d’ « établissements de paiement ».

Ces établissements, qui ne sont pas des banques, sont autorisés à proposer des services de paiement, à savoir notamment (article L.314-1, II du Code monétaire et financier) :

La création de ces nouveaux « Prestataires de Services de Paiement » a signé la fin du monopole bancaire s’agissant des services de paiement.

Ainsi, l’introduction de nouveaux acteurs sur le marché des services de paiement bénéficiera directement au consommateur qui devrait avoir un choix plus large et des prix et services plus compétitifs.

Il ne faut tout de même pas oublier que les établissements de paiement sont soumis à des règles légales et prudentielles allégées par rapport aux établissements de crédit. A titre d’exemple, le capital social initial est de 125.000 euros pour un établissement de paiement lorsqu’il est de 5 millions d’euros pour une banque. Le niveau de fonds propres minimal exigé est par ailleurs deux fois moins élevé pour les établissements de paiement. Enfin, alors que toutes les banques et établissements de crédit opérant en France ont l’obligation d’adhérer au fonds de garantie bancaire qui garantit les dépôts à hauteur de 100.000 € en cas de faillite d’un établissement, cette obligation ne s’applique pas aux nouveaux prestataires de services de paiement que sont les établissements de paiement.

Un accès simplifié au « droit au compte »

Enfin, la mise à disposition de ce type de moyens de paiement alternatifs conforte le principe du droit au compte défini par l’article L. 312-1 alinéa 1 du Code monétaire et financier qui dispose :

« Toute personne physique ou morale domiciliée en France, dépourvue d’un compte de dépôt, a droit à l’ouverture d’un tel compte dans l’établissement de crédit de son choix ou auprès des services. »

Cette disposition qui est également applicable à toute personne inscrite au FCC, FICP et qui, plus globalement, fait l’objet d’un interdit bancaire, ne sera plus du domaine exclusif de la Banque de France, en charge d’attribuer les comptes après qu’un client se soit vu notifier un ou plusieurs refus d’ouverture de compte par des établissements bancaires.

Ainsi, à la lecture des services bancaires de base qui doivent constituer l’offre faite au bénéficiaire du droit au compte (article D. 312-5 du Code monétaire et financier), nul besoin des services d’un établissement de crédit lorsqu’un simple établissement de paiement peut fournir ces mêmes services « bancaires ».

En effet, on entend par services bancaires de base :

« 1° L’ouverture, la tenue et la clôture du compte ;
2° Un changement d’adresse par an ;
3° La délivrance à la demande de relevés d’identité bancaire ;
4° La domiciliation de virements bancaires ;
5° L’envoi mensuel d’un relevé des opérations effectuées sur le compte ;
6° La réalisation des opérations de caisse ;
7° L’encaissement de chèques et de virements bancaires ;
8° Les dépôts et les retraits d’espèces au guichet de l’organisme teneur de compte ;
9° Les paiements par prélèvement, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire
10° Des moyens de consultation à distance du solde du compte ;
11° Une carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par l’établissement de crédit qui l’a émise ;
12° Deux formules de chèques de banque par mois ou moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services
 ».

En définitive, la mise en place de ces nouveaux services de paiement aura au moins pour mérite de proposer des services bancaires pour tous, sans discrimination, et de façon simplifiée compte tenu de l’absence de nécessité de justifier du refus d’ouverture d’un compte pour les personnes marginalisées ou en situation d’interdit bancaire, comme c’est actuellement le cas afin de bénéficier du droit au compte auprès de la Banque de France.

La pratique et l’évolution de l’offre des établissements de paiement nous permettront d’apprécier s’il convient de durcir ou non les règles légales et prudentielles de ces nouveaux prestataires.

Céline BURAC Avocat Associé RB Avocats [Mail->cburac@rb-avocats.com] www.rb-avocats.com