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Nouvelles précisions sur l’articulation entre référé précontractuel et le référé contractuel. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : vendredi 4 avril 2014
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Pour déterminer si la voie du référé contractuel est ouverte à un requérant évincé qui aurait déjà formé un référé précontractuel, le juge des référés doit seulement vérifier si le référé précontractuel a été notifié par le concurrent à l’acheteur public ou a été communiqué par le Tribunal avant la signature du marché litigieux.

En l’espèce, la région Réunion avait lancé plusieurs appels d’offres portant sur la réalisation de la nouvelle « route du littoral ».

La société Eiffage TP avait présenté des offres pour les lots n°2 et n°4.

Après avoir été informée par l’acheteur public de son intention d’attribuer ces deux lots à une entreprise concurrente, la société Eiffage TP avait formé par deux référés précontractuels tendant à l’annulation des deux procédures de passation du marché relatif aux lots n°2 et n°4.

La société requérante a appris en cours d’instruction que la région Réunion avait signé ces deux marchés, et a alors demandé au juge des référés d’annuler ces contrats sur la base de l’article L. 551-13 du Code de justice administrative, soit dans le cadre d’un référé contractuel.

Par deux ordonnances en date du 2 décembre 2013, le juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Denis, après avoir constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, a rejeté comme irrecevable les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 551-13 du même Code.

La société Eiffage TP a alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de ces deux ordonnances.

Après avoir aisément écarté le moyen tiré de de l’omission à statuer, le Conseil d’Etat à apporter de nouvelles précisions sur l’articulation entre référé précontractuel et référé contractuel.

En effet, si la formation d’un référé contractuel exclut en principe qu’un même requérant ait déjà formé un référé précontractuel en application des dispositions des articles L. 551-13 et L. 551-14 du Code de justice administrative, cette règle a fait l’objet de plusieurs pondérations et précisions au fil de la jurisprudence.

La Haute Assemblée a dès 2011indiqué que «  (…) le recours contractuel demeure ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur n’a pas respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ; qu’il en va toutefois différemment lorsque le recours contractuel, présenté par un demandeur qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel, est dirigé contre un marché signé durant la suspension prévue à l’article L. 551-4 alors que le pouvoir adjudicateur était dans l’ignorance du référé précontractuel en raison de la méconnaissance, par le demandeur, de ses obligations de notification prévues à l’article R. 551-1 (…) » [1].

Ainsi, en pareille hypothèse, le requérant était fondé à exercer un référé contractuel malgré son manque de diligence qui était couvert et régularisé par la notification de sa requête opérée par le Tribunal administratif

Le Conseil a également indiqué qu’il été possible de substituer un référé contractuel à un référé précontractuel au sein de la même demande et requête dès lors que la conclusion du contrat litigieux est intervenue avant que le juge des référés précontractuels se soit prononcé.

En effet, l’éventuel non-lieu à statuer sur la demande de référé précontractuel en raison de la signature du marché est sans incidence sur l’éventuelle demande en annulation qu’a pu également former le requérant dans le cadre d’un référé contractuel.

Ainsi, le Conseil d’Etat rappelle clairement le principe selon lequel un référé contractuel peut se substituer à un référé précontractuel au sein d’une même requête dès lors que la conclusion du contrat est intervenue avant même que le juge des référés n’ait pu se prononcer.

L’irrecevabilité du référé précontractuel du fait de la signature du contrat est alors sans incidence sur la demande en annulation de ce dernier au moyen d’un recours en référé contractuel quand bien même celle-ci aurait été initialement introduite conformément à l’article L. 551-1 du Code de justice administrative [2].

Dans la décision commentée, les juges du Palais Royal ont ainsi indiqué sur ce point dans le cadre d’un considérant de principe « (…) qu’il appartient au pouvoir adjudicateur, lorsqu’est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d’un contrat, de suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication de ce recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l’Etat ou l’auteur du recours agissant conformément aux dispositions de l’article R. 551-1 du code de justice administrative (…) ».

En application des dispositions de l’article L. 551-14 du Code de justice administrative, la méconnaissance de cette obligation de suspension par le pouvoir adjudicateur autorise le concurrent évincé qui aurait formé un référé précontractuel à faire usage du référé contractuel.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a également considéré que le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Saint-Denis n’avait pas entaché son ordonnance de dénaturation des faits ou d’insuffisance de motivation en considérant que la société requérante avait été informée des motifs financiers et techniques du rejet de son offre et qu’ainsi les dispositions de l’article 80 du code des marchés publics n’avaient pas été méconnues.

Toutefois, la Haute Assemblée a censuré les ordonnances attaquées sur un autre point en considérant que ces dernières étés entachées d’erreur de droit en raison du rejet pour irrecevabilité des référés contractuels de la société Eiffage TP.

En effet, il appartenait seulement au juge de vérifier si les recours précontractuels formaient par la société Eiffage TP avait été notifiés par cette société ou communiqués par le tribunal avant la signature des marchés litigieux.

Ainsi, c’est l’office même du juge des référés précontractuels qui est clairement circonscrit par cette décision et le degré d’analyse auquel doit se livrer ce dernier pour apprécier si les dispositions des articles L. 551-4, L. 551-14 et R. R. 551-1 du Code de justice administrative ont été méconnues.

Autrement dit, cette analyse n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait.

Le juge de cassation a ensuite relevé que les référés précontractuels litigieux n’avaient pas été communiqués par le greffe du Tribunal ni notifié par le concurrent évincé à la région Réunion et qu’ainsi cette dernière n’avait pas méconnu l’obligation de suspension précitée.

Il a ainsi substitué ce motif à celui retenu par le juge des référés du Tribunal pour fonder les ordonnances litigieuses.

Dès lors, le Conseil a écarté comme étant inopérants les moyens soulevés par la société requérante tirés de la dénaturation des pièces du dossier, de contradiction dans le raisonnement des ordonnances attaquées et d’erreur de droit, puis a rejeté la requête.

Références : CE, 5 mars 2014, Société Eiffage, n°374048 ; CE, 30 septembre 2011, Commune de Maizières-lès-Metz, n°350148 ; CE, 15 février 2013, Société SFR, n°363854

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1CE, 30 septembre 2011, Commune de Maizières-lès-Metz , n°350148

[2voir notamment en ce sens pour une confirmation récente de ce principe CE, 15 février 2013, Société SFR, n°363854