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Le régime d’application du délai de standstill. Par Laura Santiago, Juriste.
Parution : vendredi 8 août 2014
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Codifié à l’article 80 du Code des marchés publics, le délai de suspension de signature communément appelé « délai de standstill » trouve son origine dans la directive du 21 décembre 1989 modifiée par la directive n°2007/66/CE du 11 décembre 2007.
Le délai de standstill se définit comme un délai minimal de suspension pendant lequel le pouvoir adjudicateur ne doit pas signer le marché public afin de permettre aux candidats évincés d’exercer un recours contentieux avant la signature de ce contrat. Ce délai variable d’au moins 11 ou 16 jours court à compter de l’envoi par l’acheteur public des courriers de rejet aux candidats évincés.

Le principe

Le délai de standstill est un délai exclusif aux procédures de passation des marchés publics. Celui-ci arbore une caractéristique bien singulière : si ce délai peut apparaitre contraignant pour l’acheteur public qui, après avoir procédé au choix de l’attributaire et obtenu ses attestations fiscales et sociales, doit attendre plusieurs jours avant de pouvoir signer le marché public, il n’en demeure pas moins que ce délai de standstill se révèle être un outil stratégique efficace pour le candidat évincé qui souhaite soulever devant le juge et avant la signature du contrat, un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence.
En effet, il est essentiel que les candidats soient préalablement informés du rejet de leur offre ou de leur candidature avant la signature du marché afin de leur permettre d’exercer un référé précontractuel [1], que ce soit à l’encontre du contrat lui-même ou de la procédure de passation.

Caractéristiques et opposabilité du délai de standstill

L’article 80-1 du Code des marchés publics définit les modalités d’application du délai de standstill en commençant par poser le cadre juridique du rejet des candidatures et des offres :
« Pour les marchés et accords-cadres passés selon une procédure formalisée autre que celle prévue au II de l’article 35, le pouvoir adjudicateur, dès qu’il a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre, en leur indiquant les motifs de ce rejet ».

Il ressort de la lecture de cet article que l’obligation d’informer les candidats évincés du rejet de leurs candidatures ou de leurs offres n’est valable qu’en procédure formalisée (hors procédures de l’article 35-II tels les marchés complémentaires ou encore les marchés subséquents passés sur le fondement d’un accord-cadre [2]). Par conséquent, l’article 80 du Code des marchés publics relatif à l’information des candidats évincés et au délai de standstill n’est pas applicable aux marchés à procédure adaptée [3].

En fonction du mode de communication utilisé pour l’envoi des lettres de rejet aux candidats évincés, le délai de standstill pourra être soit de 16 jours, soit de 11 jours tel que nous l’indique l’article 80-I-1° en son troisième alinéa : « un délai d’au moins seize jours est respecté entre la date d’envoi de la notification prévue aux alinéas précédents et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l’ensemble des candidats intéressés ».

Concrètement, le délai de 16 jours est applicable aux envois par courrier postal (simple ou recommandé avec accusé de réception) et celui de 11 jours aux envois électroniques (plateforme dématérialisée, e-mail et télécopie).
Ces délais sont des délais minimums : rien n’empêche l’acheteur public de sursoir à signer pendant un délai plus long que 11 ou 16 jours.

Lorsque l’acheteur public a recours le même jour à plusieurs modes d’envoi pour le même marché, le délai le plus long - et donc le plus favorable aux candidats évincés - est celui qui trouve à s’appliquer : par exemple, si un seul courrier de rejet est envoyé par voie postale alors que tous les autres ont été envoyés le même jour par télécopie, le délai de standstill sera celui découlant de l’envoi postal c’est-à-dire 16 jours.
En revanche, si l’acheteur public envoie ses lettres de rejet par e-mail ou télécopie de manière anticipée avant de les envoyer ultérieurement par courrier, seul le premier envoi compte pour le calcul du délai. Le délai sera ici de 11 jours.

Il est significatif de noter une particularité afférant aux marchés allotis : en présence d’un marché alloti, chaque lot dispose de son propre délai de standstill dans la mesure où chaque lot est indépendant [4] et constitue un marché.

Contrairement à l’article R421-5 du Code de justice administrative qui prévoit que « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision », le délai de standstill est opposable même s’il n’a pas été notifié dans la décision administrative en cause c’est-à-dire la lettre de rejet [5].
En effet, s’il fut un temps où la mention des voies et délais de recours était obligatoire dans les courriers de rejet, notamment au sujet du délai de standstill, le régime est désormais assoupli : seul le délai de recours pour excès de pouvoir doit être obligatoirement mentionné.

La computation du délai

Le délai de standstill commence à courir à partir de la date d’envoi des courriers de rejet et non pas à partir de leur date de réception. Ce principe est applicable quel que soit le mode d’envoi utilisé.

Le jour d’envoi est inclus dans le délai qui se termine alors le onzième ou le seizième jour suivant à minuit.

La circulaire du 14 février 2012 relative au guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics rappelle que tous les délais mentionnés dans le Code des marchés publics sont des délais calendaires, incluant ainsi les jours chômés, fériés et les week-ends [6]. Autrement dit, le délai de standstill s’opère de date à date [7].
Par exemple, si un acheteur public envoie ses courriers de rejet un 10 décembre par courrier postal, le premier jour du délai sera le 10 décembre et le délai prendra fin le 25 décembre à 23h59. Le pouvoir adjudicateur pourra alors signer le marché à partir du 26 décembre (sauf cas d’introduction d’un recours contentieux).

Comme précisé ci-dessus, le délai de standstill est un délai minimum : par conséquent, rien n’empêche le pouvoir adjudicateur de laisser s’écouler un délai plus long avant la signature du marché. Toutefois, si un candidat évincé venait à introduire un référé précontractuel après la période du délai de standstill prévu par les textes mais avant la signature du marché, celui-ci serait recevable.

En revanche, si le marché est signé avant l’écoulement du délai de standstill, un candidat évincé qui souhaiterait exercer un référé précontractuel avant la signature du marché se retrouverait privé de son droit à exercer ce recours. Dans une telle hypothèse, le candidat évincé qui saisirait a posteriori le juge administratif en référé contractuel pourrait obtenir gain de cause quand bien même la procédure de passation ne porterait aucunement atteinte aux règles de publicité et de mise en concurrence [8]. En effet, le respect du délai de standstill est considéré comme une formalité substantielle dont l’omission entache d’irrégularité la décision de signer le marché [9] .
Dans une telle situation, le juge administratif dispose du pouvoir de condamner le pouvoir adjudicateur à une sanction pécuniaire pour violation du délai de standstill.

Cependant, cette violation est sans incidence sur la légalité du contrat c’est-à-dire que le juge ne prononcera pas l’annulation du marché ou de la procédure sur ce motif à moins que la procédure ou le contrat portent atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat [10]. Effectivement, le non-respect du délai de standstill a pour seule conséquence d’ouvrir une nouvelle voie de recours au candidat évincé en lieu et place du référé précontractuel [11] : le référé contractuel.
Le candidat évincé pourra également exercer un recours en plein contentieux pour demander soit une indemnisation (à condition de démontrer que l’illégalité invoquée l’a ôté d’une chance sérieuse de remporter le marché [12]), soit l’annulation du contrat en exerçant un recours en contestation de la validité du contrat dit « recours Tropic  [13] ».

Le cas particulier des marchés à procédure adaptée

Le délai de standstill n’est pas applicable en procédure adaptée. Cette affirmation résulte d’un arrêt du Conseil d’État en date du 11 décembre 2013 [14] confirmant à nouveau sa jurisprudence « Grand Port Maritime du Havre » de 2011 [15].

Il est important de préciser que certains TA et CAA [16]se refusent à appliquer cette jurisprudence et imposent le respect du délai de standstill en procédure adaptée. Ces juridictions estiment que le délai de standstill est une formalité essentielle pour le respect des principes de la commande publique qui s’appliquent aux pouvoirs adjudicateurs dès le premier euro dépensé [17].
Toutefois, ces juridictions n’appliquent pas le délai de standstill stricto sensu tel que défini par l’article 80 du Code des marchés publics mais plutôt au sens de l’ancienne notion de « délai raisonnable » qui est ici appréciée au cas par cas en fonction du montant du marché, de son objet, de la prise en compte de jours fériés et non-ouvrés dans le délai, etc.
A titre d’illustration, des délais de suspension de 5 jours comprenant un week-end et un jour férié [18] voire même de 8 jours [19] n’ont pas été jugés suffisants.

En pratique, les acheteurs publics ont tendance à respecter ce délai de standstill en MAPA notamment lorsque le montant du marché est compris dans une fourchette allant de 20 000 €HT à 100 000 €HT pour les marchés de fourniture et services et de 50 000 €HT à 1 000 000 €HT pour les marchés de travaux.
Les praticiens se calquent généralement sur l’ancienne notion de « délai raisonnable » comprenant un délai variant entre 7 et 10 jours afin que le candidat évincé puisse avoir le temps de déposer sa requête au greffe du tribunal administratif.

Dans tous les cas, il est conseillé de respecter un délai de standstill raisonnable en procédure adaptée : si la jurisprudence du Conseil d’État a pour effet de fermer le référé précontractuel aux candidats évincés en procédure adaptée, il n’en demeure pas moins que le candidat ayant consacré du temps à la rédaction et au montage de son offre technique et financière ne mérite pas de se voir privé de son droit à un recours. Ces sociétés candidates sont les fournisseurs des acheteurs publics et la relation entre ces deux cocontractants doit être entretenue au fil des relations contractuelles mais aussi - et surtout – au fil des situations où le fournisseur n’est pas retenu. Priver volontairement le candidat évincé d’une possibilité d’exercer un recours précontractuel est une pratique qui va à l’encontre des pratiques et de la culture « achats » qui tend à se développer ces dernières années.
Dès lors, il revient à chaque acheteur public de déterminer sa politique en matière de rejet des candidats évincés et des modalités d’application du délai de standstill (durée du délai, seuils d’application, etc.) en procédure adaptée afin qu’un juste équilibre soit trouvé entre les intérêts des acheteurs publics et ceux des sociétés candidates à un marché public.

Laura SANTIAGO Juriste en droit des contrats publics Gestionnaire des marchés publics en collectivité territoriale

[1CE, 19 déc. 2007, Syndical Intercommunal d’Alimentation en Eau potable du Confolentais (SIAEC), n°291487

[2CE, 1er juin 2011, Société Koné, n°346405

[3CE, 19 janv. 2011, Grand Port Maritime du Havre, n°343435 ; CE, 11 déc. 2013, Société antillaise de sécurité, n°372214 ; Circ. 14 févr. 2012, NOR : EFIM1201512C, Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, art. 17.2.12 ; CAA Nancy, 4e ch., 18 nov. 2013, n°12NC01181

[4Article 10 du Code des marchés publics

[5CE, 8 juin 1994, n°141026 ; Rép. Min. n°00667 : JO Sénat Q, 6 déc. 2012, p.2826

[6Article 10.2.2 de la circulaire du 14 févr. 2012 précitée

[7CE, 2 août 2011, Société Clean Garden, n°347526 ; Rép. min. n°18835 : JOAN Q. 2 avr.2013, p. 3581 ; TA Fort-de-France, ord. réf. 21 févr. 2011, n°1100060

[8TA Lyon, 26 oct. 2011, n°1106110

[9CE, 7 mars 2005, n°270778 ; CAA Versailles, 4e ch., 16 oct. 2007, n°06VE00855

[10Article L551-18, al. 3, du Code de justice administrative

[11Article L551-14 du Code de justice administrative

[12CE, 17 oct. 2007, Société Physical Networks Software, n°300419

[13CE, 16 juil. 2007, Société Travaux Tropic Signalisation, n°291545

[14CE, 11 déc. 2013, précité

[15CE, 19 janv. 2011, précité

[16CAA Marseille, 19 déc. 2011, n° 09MA02011 ; TA Limoges, ord., 26 janv. 2012, n° 1102083 ; CAA Bordeaux, 7 juin 2011, n°09BX02775 ; CAA Nancy, 18 nov. 2013, n°12NC01181 ; CAA Versailles, 15 juil. 2011, n°10VE01838

[17Rép. min. n° 66546 : JOAN Q, 21 mars 2006, p. 3133

[18TA Strasbourg, ord. réf., 26 juil. 2010, n°1003254

[19TA Paris, ord. réf., 30 juil. 2010, n°1012380

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