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De nouvelles garanties pour l’admission au séjour des étrangers malades ? Par Louis le Foyer de Costil, Avocat.
Parution : jeudi 25 septembre 2014
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Le projet de loi relatif au droit des étrangers présenté en conseil des ministres le 23 juillet 2014 devrait offrir de nouvelles garanties aux étrangers gravement malades sollicitant l’admission au séjour ou risquant d’être reconduits à la frontière.

Un projet de loi relatif au droit des étrangers a été présenté en conseil des ministres le 23 juillet 2014. Outre son ambition de réformer le droit d’asile et de créer des cartes de séjour pluriannuelles, il devrait offrir de nouvelles garanties aux étrangers gravement malades sollicitant l’admission au séjour ou risquant d’être reconduits à la frontière.

Les dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile protègent d’ores et déjà l’étranger gravement malade des expulsions (art. L.521-3 ) et des reconduites à la frontière (art. L.511-4). L’étranger malade peut obtenir une autorisation provisoire de séjour de six mois (art. R. 313-22) et s’il réside habituellement en France, il est éligible de plein droit à une carte de séjour temporaire portant mention « vie privée et familiale » (art. L. 313-11 alinéa 11°).

Dans ces quatre situations, deux conditions doivent être nécessairement remplies. La première a trait à l’état de santé de l’étranger, la seconde à l’indisponibilité des soins dans son pays d’origine.

1. L’appréciation de l’état de santé de l’étranger n’est pas modifiée par le projet de loi du 23 juillet 2014 ; il faut qu’il nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour l’étranger des conséquences d’une exceptionnelle gravité. A cet égard, une instruction n°DGS/MC1/DGEF/2014/64 du 10 mars 2014 a précisé que l’exceptionnelle gravité est caractérisée quand, en l’absence du traitement médical requis, il y a une « probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné, de mise en jeu [de son] pronostic vital, d’une atteinte à son intégrité physique ou d’une altération significative d’une fonction importante  ».

2. Le projet de loi du 23 juillet 2014 modifie en revanche l’appréciation de la disponibilité du traitement médical dans le pays d’origine. C’est la condition clé car si les préfets reconnaissent en pratique la gravité de la maladie, ils contestent en revanche l’indisponibilité des soins dans le pays d’origine.

Si le projet de loi est adopté en l’état, les préfets devront vérifier si « eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, [l’étranger] ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ».

Cette nouvelle formulation renoue avec l’esprit initial de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 qui disposait que l’étranger malade devait être dans l’impossibilité effective d’accéder au traitement dans son pays d’origine. Après plusieurs années de tergiversation, le Conseil d’État avait jugé que l’appréciation de la disponibilité du traitement ne devait pas être abstraite mais prendre en compte les coûts du traitement, l’existence de modes de prise en charge adaptés, et les circonstances exceptionnelles tirées des particularités de la situation personnelle de l’étranger qui l’empêcheraient d’y accéder effectivement [1].

Ce revirement de jurisprudence proche de l’esprit et de la lettre de la loi du 11 mai 1998 avait été remis en cause par la loi Besson du 16 juin 2011 qui, à l’impossibilité effective d’accès au traitement, avait substitué l’absence de traitement dans le pays d’origine. Une réécriture lourde de conséquences, car si de nombreux traitements ne sont pas « absents » d’un pays, ils sont en réalité inaccessibles à la quasi-totalité de la population. Les associations s’étaient émues de ce resserrement. Selon elles, les reconduites à la frontière d’étrangers malades risquaient de se transformer en condamnations à mort, faute pour l’étranger éloigné de pouvoir effectivement se soigner dans son pays d’origine.

La pratique de l’administration avait cependant atténué la rigueur de la loi Besson, avec des délivrances de cartes de séjour pour soins restées stables à environ 6 000 par an. Mais la loi Besson a néanmoins rendu les recours contre les refus de délivrance de cartes de séjour pour soins bien plus malaisés, car il est très difficile de prouver l’absence pure et simple d’un traitement médical dans un pays donné. La loi Besson a également eu pour effet d’accroitre les différences entre les préfectures dans l’octroi des cartes de séjour pour soins.

3. L’harmonisation des conditions de délivrances de ces cartes entre les préfectures constitue d’ailleurs le dernier apport du projet de loi du 23 juillet 2014.

Aujourd’hui, l’appréciation des critères d’admission au séjour pour soin est effectuée par le médecin de l’Autorité régionale de santé (ARS) ou, à Paris, par le médecin-chef de la préfecture de police. Ces derniers rendent un avis sur la base duquel les préfets prennent les décisions d’octroi ou de refus de délivrance des cartes de séjour. Cette déconcentration crée de graves inégalités entre étrangers avec des statistiques d’avis favorable qui varient du simple au triple selon les départements.

Pour résoudre ce problème, le projet de loi prévoit qu’en lieu et place des avis des médecins des ARS, la décision du préfet sera désormais basée sur un avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Ce dernier sera encadré par des orientations générales fixées par le ministre de la santé.

L’harmonisation souhaitée pourrait cependant rester inachevée car la pratique montre que certains préfets refusent de délivrer des cartes de séjours, malgré l’avis favorable des médecins des ARS. Qu’en sera-t-il des avis de l’OFII ?

Avocat en droit public au Barreau de Paris http://louislefoyerdecostil.fr

[1CE, Sect., 7 avril 2010, Ministre de l’Intérieur c/ M. Jabnoun, n°301640 et Mme Bialy, n°316625

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