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Qualification des moteurs de recherche et atteinte aux marques notoires : les récents apports de la Cour de cassation. Par Véronique Dahan, Avocat.
Parution : mercredi 11 mars 2015
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La Cour de cassation dans son arrêt du 20 janvier 2015 a apporté des précisions quant à la qualification des moteurs de recherche et l’atteinte aux marques notoires.
"Le prestataire d’un moteur de recherche doit être qualifié d’hébergeur lorsqu’il n’a aucun rôle actif sur les données stockées et ne peut voir sa responsabilité engagée en raison d’une reproduction à l’identique ou par imitation d’une marque notoire comme mot-clé."

La SNCF a constaté que la société Tuto4pc.com utilisait huit de ses marques à titre de mots-clés sur son moteur de recherche (notamment les marques « SNCF », « TGV », « Transilien », « Voyages-sncf.com » et « Voyages-sncf ») afin de diriger le consommateur, par l’affichage de liens commerciaux, vers des sites concurrents proposant des produits et services identiques ou similaires aux siens.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 28 octobre 2011 [1] , qui avait alors condamné la société Tuto4pc.com et son représentant pour avoir fait un usage illicite de ces signes, a été cassé par la Cour de cassation dans son arrêt du 20 janvier 2015.

Dans cette affaire trois questions ont été successivement abordées :
- la qualification d’éditeur ou d’hébergeur de la société Tuto4pc.com au regard de la loi n° 2004-175 du 29 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN),
- l’atteinte aux marques notoires de la SNCF en application du Code de la propriété intellectuelle,
- la caractérisation de pratiques commerciales déloyales telles que définies dans le Code de la consommation.

I. Sur la qualification de l’activité de la Société Tuto4pc.com.

La Cour de Cassation a tout d’abord censuré l’arrêt d’appel en ce qu’il qualifiait la société Tuto4pc.com et son représentant d’éditeurs. La Cour d’appel avait en effet estimé qu’ils ne pouvaient bénéficier du régime de responsabilité limitée de l’hébergeur (instauré par l’article 6, I-2 de la LCEN) en raison du rôle actif qu’ils jouaient dans le choix des contenus mis en ligne sur leur site. Selon la Cour, ce rôle actif se déduisait, d’une part, de l’insertion délibérée du mot clé SNCF sur la page d’accueil du site et de sa suppression aisée et, d’autre part, de la mise en place par les défendeurs de leur propre système d’annonces commerciales. Ces éléments n’ont cependant pas convaincu les Hauts magistrats qui les ont estimés insuffisants à caractériser un rôle actif, considérant en conséquence que les juges du fond avaient privé leur décision de base légale. La Cour de cassation, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure [2], se montre ici encore très réticente à engager la responsabilité de droit commun d’un prestataire lorsque la connaissance et le contrôle effectif exercé par ce dernier sur les données stockées n’est pas constaté avec certitude.

II. Sur l’atteinte aux marques notoires.

La Cour de cassation a ensuite cassé l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il avait condamné les défendeurs en contrefaçon de marques, sur le fondement de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle, pour avoir fait un usage des signes de la SNCF en tant que mots-clés sur leur site. La Haute juridiction a estimé, en s’appuyant sur la jurisprudence communautaire [3], que le simple stockage comme mot clé d’un signe identique à une marque et l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne constituaient pas un usage de ce signe au sens de l’article 5 de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 [4], et ce même s’il s’agissait de marques notoires.

III. Sur la question de la pratique commerciale trompeuse.

Enfin la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale en considérant que le fait que la société Tuto4pc.com présente sur son site, sous la rubrique « annonces Google », lorsque la marque « Voyages-SNCF » est mentionnée, des sites commerciaux parmi lesquels six sites de voyagistes, caractérisait une publicité fausse ou de nature à induire en erreur le consommateur, au sens de l’article L. 121-1 du Code de la consommation.

Véronique Dahan, Counsel, Cabinet August et Debouzy.

[1Cour d’Appel Paris, Pôle 5, chambre 2 du 28 octobre 2011n° 10/13084.

[2Voir en ce sens Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 Juillet 2010, N° 862, 06-20.230 ; Cour de cassation, Chambre commerciale, 29 Janvier 2013, N° 11-21.011, 11-24.713, 94 ; en sens inverse Cour de cassation, Chambre commerciale, 3 Mai 2012, N° 11-10.508, 483.

[3CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08.

[4"Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice".