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L’Ordre des médecins et la contestation de l’expertise psychiatrique ordonnée par le juge. Par Sahand Saber, Avocat.
Parution : lundi 13 avril 2015
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Le juge judiciaire à qui est soumis une affaire dont les constatations et les consultations sont insuffisantes pour l’éclairer peut ordonner la désignation d’un expert chargé de lui apporter toutes les informations et analyses utiles pour l’éclairer. Ainsi en disposent, en matière civile, les termes de l’article 263 du Code de procédure civile, et en matière pénale, les termes de l’article 156 du Code de procédure pénale.

En matière psychiatrique, les difficultés posées par les expertises résident dans le déroulé des entretiens menés par l’expert et le lien entre les questions posées, les développements retranscrits et les recommandations formulées par ce dernier au juge.

Ceci est particulièrement vrai dans les affaires de mœurs où l’expert psychiatre est appelé à déterminer la personnalité des parties en présence, la crédibilité de leur témoignage ou l’équilibre psychologique qu’elles sont en mesure d’assurer dans le cadre de leurs obligations parentales.

Il n’est dès lors pas anecdotique que l’expertise psychiatrique soit contestée devant l’Ordre des médecins, notamment lorsque les recours devant les juridictions judiciaires sont épuisés et que celles-ci ont refusé de faire droit à une contre-expertise.

Si les médecins experts assurent auprès du juge un rôle d’autorité scientifique, la rigueur que requièrent leur mission et l’importance de l’enjeu leur impose un exposé scientifique fiable et compréhensible du juge et des parties.

On peut regretter la tendance des magistrats à homologuer quasi-systématiquement les conclusions de l’expert, sans recul suffisant sur les conditions de réalisation de l’expertise, et ce malgré les dispositions de l’article 246 du Code de procédure civile qui disposent que « Le juge n’est pas lié par les constatations ou les concluions du technicien ».

A cet effet, en matière civile comme en matière pénale, les parties sont invitées à formuler leurs observations quant à l’expertise rendue, illustrant ainsi l’idée que le juge n’est pas tenu par ses conclusions et qu’une réflexion supplémentaire est nécessaire. Cela étant, les affaires courantes démontrent le poids de l’expertise psychiatrique dans la décision du juge, en ce que l’expertise est encore perçue comme nécessairement objective et impartiale.

Aussi, les dispositions de l’article 33 du Code de déontologie médicale énoncent :

« Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. »

A la lecture de cet article, et à la lumière des termes généraux qui le caractérisent (« avec le plus grand soin », « le temps nécessaire », « toute la mesure du possible »), il repose sur le médecin, a fortiori lorsqu’il intervient en qualité d’expert, une obligation de moyens dont il est possible de vérifier la mise en œuvre selon les dispositions prises pour la réalisation de l’expertise, mais aussi pour sa retranscription dans le rapport remis au juge.

Il convient également de noter que le médecin a pour obligation de s’aider « dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées ». Cette mention invite à tous les débats quant au caractère scientifique de la méthode mise en œuvre par l’expert et permet d’exiger de l’expert psychiatre que son rapport fasse état de la méthode qu’il a employée pour effectuer les investigations et parvenir aux conclusions formulées.

Or les formations de conciliation des Ordres des médecins peinent, en matière psychiatrique, à s’attarder sur ces dispositions.

Il est vrai que les contestations portées devant l’Ordre des médecins contre un expert psychiatre présentent les difficultés connues de tous les Ordres de toutes les professions : les représentants d’un Ordre peuvent se montrer réticents à l’idée de remettre en cause le travail d’un confrère et, en pareil hypothèse, le sanctionner, sauf erreur flagrante ou faute intentionnelle.

Les juridictions ordinales refusent également d’accueillir les contestations portées sur le caractère et la solidité scientifique de l’expertise, notamment dans le cas d’expertises psychiatriques en rapport avec la parole de l’enfant et le syndrome d’aliénation parentale.

La contestation devant l’Ordre des médecins se révèle d’autant plus difficile qu’elle est procédurale, en ce sens que les dispositions de l’article L. 4124-2 du Code de la santé publique ne permettent pas, à l’issue d’une procédure de conciliation infructueuse, un renvoi automatique de l’affaire devant la chambre disciplinaire de première instance :

« Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département, le procureur de la République ou, lorsque lesdits actes ont été réalisés dans un établissement public de santé, le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation. »

Si cette procédure spécifique aux experts médicaux permet d’éviter les actions abusives, elle permet également de filtrer des actions pour lesquelles un débat de fond serait utile, les insuffisances de l’expertise étant liées au travail du médecin qui intervient en telle qualité et non à la nature de la mission qui lui est confiée.

Il convient donc pour les acteurs de la justice, avocats comme magistrats, de réserver en toutes hypothèses au rapport d’expertise psychiatrique un débat rigoureux et approfondi, en rappelant, d’une part, que le droit positif concourt à l’idée qu’il ne saurait être une pièce maitresse du dossier et, d’autre part, qu’une bonne administration de la justice interdit toute économie d’une contre-expertise.

A défaut, le rapport d’expertise ne saurait plus éclairer le juge mais s’imposerait à lui.

Sahand Saber Avocat au Barreau de Paris s.saber@hiro-avocats.com [Mail->contact@saber-avocat.com]
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