Village de la Justice www.village-justice.com

Le lundi de Pentecôte ou les tribulations de la journée de solidarité. Par Benjamin Schil, Juriste.
Parution : jeudi 21 mai 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Lundi-Pentecote-les-tribulations,19686.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Créée par une loi du 30 juin 2004 en réaction à la canicule mortifère de l’été 2003, la journée de solidarité (envers les personnes âgées) initialement placée le lundi de Pentecôte est maintenant laissée au libre choix de l’employeur à défaut d’accord collectif, ce qui ne manque pas d’entraîner des confusions. L’approche du lundi de Pentecôte est l’occasion de faire un point sur l’évolution et l’état actuel de la législation.

I- La Genèse

La journée de solidarité est créée par la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées [1]. Cette journée de solidarité est « instituée en vue d’assurer le financement des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées ».

Mécanisme. Le raisonnement est alors simple, l’employeur verse une contribution de 0,3% de sa masse salariale brute aux URSSAF [2] . En compensation, les salariés travaillent un jour sans être rémunérés.

Le lundi de Pentecôte qui était férié depuis le Concordat de 1801, devint alors un jour travaillé par défaut. En effet l’ancien article L. 212-6 du Code du travail disposait qu’« en l’absence de convention ou d’accord, la journée de solidarité est le lundi de Pentecôte » .
Cependant un accord de branche, ou une convention ou un accord d’entreprise pouvait prévoir que la journée de solidarité s’effectue un autre jour que le lundi de Pentecôte (par exemple un jour férié précédemment chômé autre que le 1er mai ou un jour de RTT).

Contestation populaire et légitimation judiciaire. Ce passage d’un jour férié à un jour travaillé ne s’est pas fait sans heurt. De nombreuses protestations s’élevèrent, notamment de la part de syndicats comme la CFTC, pour qui « un travail sans rémunération correspond à du travail obligatoire ou forcé ».
Le Conseil d’Etat eut alors l’occasion d’affirmer que la journée de solidarité « fait partie des obligations civiques normales » et ne méconnaît pas les stipulations de la Convention n°29 de l’OIT et l’article 4 de la CEDH relatifs au travail forcé [3]. Le Conseil Constitutionnel jugea quant à lui la journée de solidarité constitutionnelle et affirma notamment que la différence de traitement entre les salariés (seuls concernés par la journée de solidarité) et les retraités et les personnes exerçant leur activité de façon indépendante « est en rapport direct avec l’objet de la loi » [4].

Bilan mitigé. Malgré l’efficacité financière du dispositif (en 2007, ce sont 2,1 milliards d’euros qui ont été ainsi collectés soit 14% du budget total de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) le bilan du déroulement de la journée de solidarité apparaît mitigé.
En effet, le renvoi systématique au Lundi de Pentecôte à défaut d’accord collectif, n’était pas sans poser des difficultés d’ordre pratique, « principalement pour la garde des enfants et les entreprises de transport routier » [5].
Ainsi, si en 2007 elle est accomplie par 86% des salariés, la journée de solidarité prend cependant diverses formes (fractionnement, RTT, etc.), de sorte que la majorité des salariés (52%) n’est pas à son poste de travail le lundi de Pentecôte [6].
En outre, nombreux effets pervers seraient constatés, « notamment une baisse d’activité de 20 à 40 % dans l’hôtellerie-restauration et la remise en cause de milliers de manifestations traditionnelles, telle la Féria de Nîmes » [7].

C’est à ces dysfonctionnements que le rapport Besson, puis la loi du 16 avril 2008 entendent remédier.

II- L’assouplissement

Les améliorations. L’article 1 de la loi n° 2008-351 du 16 avril 2008 relative à la journée de solidarité vient assouplir considérablement les modalités de détermination de la journée de solidarité. Si priorité est toujours donnée à la négociation collective, la référence au lundi de Pentecôte à défaut d’accord disparaît, remplacée par une décision unilatérale de l’employeur après consultation du Comité d’entreprise (ou à défaut des délégués du personnel).
Ainsi, à défaut d’accord collectif, la décision unilatérale de l’employeur prise après consultation des IRP devient la règle.

En outre, la possibilité de déterminer le déroulement de la journée de solidarité par la voie d’un accord d’établissement est introduite dans le nouvel article L. 3133-8 du Code du travail, ce qui assouplit d’autant plus le dispositif en permettant aux partenaires sociaux de s’adapter de manière optimale aux "réalités du terrain". Une circulaire DRT [8] qui prévoyait cette possibilité avait été censurée par le Conseil d’Etat [9] car la loi du 30 juin 2004 était muette à ce sujet.

Les solutions actuelles. Par conséquent il existe un large panel de solutions afin d’effectuer cette journée de solidarité, via la négociation collective ou par décision de l’employeur. Ces solutions incluent :

- la fixation d’un autre jour que le lundi de Pentecôte (exception faite du 1er mai) [10],
- le travail d’un jour de RTT,
- le fractionnement de la journée de solidarité en 7 heures de travail (en deux demi-journées de travail ou même en 7 fois une heure etc...),

Il arrive également que l’employeur décide « d’offrir » la journée de solidarité aux salariés, n’exigeant alors pas une journée travaillée sans rémunération.

Le cas particulier du changement d’employeur. L’article L. 3133-12 du Code du travail prévoit le cas ou le salarié est amené à effectuer plusieurs journées de solidarité en raison d’un changement d’employeur.
Ainsi, lorsqu’un salarié a déjà accompli, au titre de l’année en cours, une journée de solidarité, s’il doit s’acquitter d’une nouvelle journée de solidarité en raison d’un changement d’employeur, les heures travaillées ce jour donneront lieu à rémunération supplémentaire, s’imputeront sur le contingent annuel d’heures supplémentaires (ou sur le nombre d’heures complémentaires) et donneront lieu à contrepartie obligatoire en repos.
Dans cette situation, le salarié peut aussi refuser d’exécuter cette journée supplémentaire de travail sans que ce refus constitue une faute ou un motif de licenciement. Afin que les salariés aient la preuve qu’ils ont bien exécuté la journée de solidarité, l’employeur peut la faire apparaître sur leur bulletin de salaire.

RH - Droit Social

[1Loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

[2C. action sociale et des familles, art. L 14-10-4.

[3CE, 3 mai 2005, ref n°279999, CE, 9 nov. 2007, n°293987.

[4Cons. Const., 22 juill 2011, n° 2011-148/154 QPC.

[5Info. DGT, 10 avr. 2008, n° 2008-04 relative à la mise en œuvre de la journée de solidarité.

[6E. Besson, Rapport d’évaluation de la journée de solidarité pour l’autonomie, 18 déc. 2007.

[7J-L Christ, questions au gouvernement Séance du mercredi 26 mars 2008.

[8Circ. DRT, 15 dec. 2004 n°2004-10.

[9CE, 6 sept. 2006, n° 281711.

[10C. Trav., art. L. 3133-8 1°.