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L’incidence du public de référence dans l’appréciation du risque de confusion par Camille Bertin et Vincent Varet, Avocats.
Parution : mardi 8 septembre 2015
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Le 25 juin 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt intéressant sur l’appréciation de la similarité des signes, et donc du risque de confusion, entre des marques composées de mots écrits en caractères latins et arabes, visuellement similaires mais phonétiquement et conceptuellement différents en langue arabe.

Dans cette affaire, la société LOUFTI était titulaire de deux marques communautaires suivantes :

Elle reprochait à la société MEATPRODUCTS d’avoir procédé à l’enregistrement, au Benelux, de la marque < EL BAINA >, sous la forme suivante :

La société LOUFTI avait saisi les juridictions belges pour demander l’interdiction de la commercialisation des produits revêtus de la marque < EL BAINA >.

Dans ce contexte, la Cour d’appel de Bruxelles a constaté que les marques en conflit, qui portaient sur des produits identiques ou similaires (i.e. des produits alimentaires), présentaient des ressemblances visuelles résultant de la présence dominante des éléments verbaux < EL BNINA >, < EL BENNA > et < EL BAINA >, mais que la prononciation et la signification de ces mots arabes étaient substantiellement différentes (les termes < EL BNINA > < EL BENNA > et < EL BAINA > signifiant respectivement la douceur, le goût et la vue).

Dès lors, la Cour d’appel de Bruxelles a décidé de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : Faut-il, pour apprécier le risque de confusion entre ces marques, qui présentent une similarité visuelle, tenir compte - au nom des principes de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique posés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, des dissemblances phonétiques et conceptuelles qui existent entre les mots arabes dominants au sein de ces signes, bien que la langue arabe ne soit pas une langue officielle de l’Union Européenne ni des Etats membres ?

Dans l’arrêt rapporté, la CJUE répond par l’affirmative à cette question, au motif que le litige s’inscrit dans un contexte où le public pertinent des marques en conflit, dont la détermination relève de l’appréciation des juges nationaux, a une connaissance de base de la langue arabe écrite, et que ce public est par conséquent susceptible de percevoir les différences de prononciation et de signification entre les termes < EL BNINA > < EL BENNA > et < EL BAINA >.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour relève d’abord que la langue ou l’alphabet utilisé dans une marque est indifférent dans l’appréciation du risque de confusion, l’article 9 du règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire n’y faisant pas référence.

Elle rappelle ensuite que le risque de confusion entre deux marques doit s’apprécier globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents et notamment du degré de similitude entre les signes en conflit, ce qui implique de procéder à une comparaison visuelle, phonétique ou conceptuelle entre ces signes, en s’attachant en particulier à leurs éléments distinctifs et dominants.

La CJUE ajoute enfin que l’appréciation du risque de confusion doit s’effectuer en fonction du public pertinent des marques en conflit : il faut s’attacher à l’impression globale que produisent les marques en conflit sur le public pertinent pour apprécier si celui-ci est susceptible de les confondre ou d’effectuer un rapprochement entre les marques litigieuses.

Par suite, il incombe à la juridiction nationale de déterminer le public pertinent des marques en conflit, étant rappelé que le public pertinent est composé des consommateurs susceptibles d’utiliser tant les produits et services de la marque antérieure que ceux de la marque contestée (Trib. UE, 26 juin 2014, aff. T-372/11, Basic AG Lebensmittelhandel c/ OHMI, « basic c/ Basic », pt 27 et Trib. UE, 13 février 2007, aff. T 256/04, Mundipharma/OHMI – Altana Pharma (RESPICUR), point 42).

Or, la Cour d’appel de Bruxelles avait considéré, au vu du mode de préparation « halal » des produits alimentaires commercialisés sous les trois marques litigieuses, que le public pertinent de ces marques était composé de consommateurs musulmans d’origine arabe qui consomment des produits alimentaire halal dans l’Union Européenne et qui auraient, selon elle, à tout le moins, une connaissance de base de la langue arabe écrite.

Par suite, dès lors que ce public d’origine arabe est susceptible de comprendre la signification des mots < EL BNINA > < EL BENNA > et < EL BAINA >, et de connaître la prononciation de ces mots en arabe, la CJUE estime qu’il y a lieu de prendre en compte, dans l’appréciation du risque de confusion, les dissemblances phonétiques et conceptuelles qui existent entre les signes.

En effet, la Cour de justice estime qu’au cas contraire, cette appréciation serait parcellaire, car effectuée « sans tenir compte de l’impression globale que produisent les marques communautaires et le signe considéré sur le public pertinent ».

On comprend que si, a contrario, la Cour d’appel de Bruxelles n’avait pas jugé que le public de référence des marques était un public de consommateurs musulmans arabe « ayant au moins une connaissance de base de la langue arabe écrite », les différences phonétiques et conceptuelles existant entre les signes auraient été indifférentes dans l’appréciation du risque de confusion entre les marques en conflit.

C’est dire combien la définition du public de référence est déterminante dans l’appréciation du risque de confusion en matière de contrefaçon par imitation de marques.

Camille Bertin & Vincent Varet Avocats Cabinet Vincent Varet