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Modifier le permis de construire pour le régulariser : précisions sur la notion de conception générale du projet. Par Charles Soublin, Avocat.
Parution : vendredi 5 février 2016
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Dans son arrêt SCI Riviera Beauvert (30 décembre 2015, n° 375276), le Conseil d’Etat affine encore le champ d’application du permis de construire modificatif et rappelle les mécanismes de régularisation du permis de construire initial.

L’arrêt commenté (C.E., 30 décembre 2015, n° 375276, SCI Riviera Beauvert) poursuit l’ouvrage du Conseil d’Etat tendant à préciser les modalités de régularisation des permis de construire.

Il s’inscrit dans la droite ligne de sa précédente jurisprudence du 1er octobre 2015 (n° 374338), laquelle rappelait les conditions d’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. Ces dispositions sont assez récentes puisqu’elles sont issues de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.

L’objet est d’ajouter à la fonction utile du procès dirigé contre le permis de construire en permettant sa régularisation.

Selon les termes de ces articles :

Article L. 600-5 :

« Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation. »

Article L. 600-5-1 :

« Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».

Dans l’application de ces dispositions, le raisonnement à tenir s’opère ici par une arborescence précise laquelle peut se définir comme suit :
1. Le permis est-il entaché d’un vice ou d’un ensemble de vices ?
2. Si oui, les autres moyens sont-ils fondés ?
3. Si non, le vice affecte-t-il l’ensemble du projet ?
4. Si non, y a-t-il des éléments au dossier permettant de douter de l’achèvement du projet ?
5. Si non, les modifications à apporter au projet pour régulariser le vice remettent-elles en cause sa conception générale ?

Si la réponse négative à cette dernière question, le juge administratif dispose des options suivantes.

Si le projet est indivisible :
• L. 600-5 :
-  L’annulation partielle (« ou en tant que », selon la formule habituelle) ;
-  L’annulation partielle avec fixation d’un délai imparti au pétitionnaire pour demander la régularisation (par le dépôt d’une demande de permis de contre modificatif)
L’on notera d’ailleurs que le vice de légalité externe neutralisera l’application de cet article puisque, dans l’immense majorité des cas, il concerne l’ensemble du projet.

• L. 600-5-1 :
Le sursis à statuer, après avoir invité les parties à présenter des observations sur ce sursis, avec fixation d’un délai imparti au pétitionnaire pour demander la régularisation pour ensuite statuer au regard de la régularisation après nouvelles observations des parties.
Si le projet aurait pu faire l’objet d’autorisations distinctes :

• Annulation partielle en raison de sa divisibilité (C.E., 1er mars 2013, n° 350306).
Lesdites options sont à l’initiative du juge (C.E., 15 octobre 2014, commune d’Annecy, n° 359175 et 359182) mais les parties (collectivité et pétitionnaire) ont bien évidemment tout intérêt à l’inviter à faire usage de ce dispositif.

L’arrêt du Conseil d’État du 30 décembre 2015, après avoir exposé le raisonnement, s’intéresse plus particulièrement au point n° 5, relatif à l’identification d’un permis de construire modificatif.

Les faits sont les suivants.

Par un arrêté du 9 avril 2010, le maire de Menton a autorisé la SCI Riviera Beauvert à édifier un ensemble immobilier composé de trois bâtiments comprenant des bureaux, des commerces, 117 logements et trois niveaux de sous-sols pour des parkings.

Le tribunal administratif de Nice a annulé l’arrêté, pour méconnaissance de l’article UB 7 du règlement du plan d’occupation des sols de Menton.

Par un arrêt du 5 décembre 2013, la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé le jugement et a fait le constat de ce que la régularisation de la méconnaissance de l’article UB 7 conduirait à un déplacement de 4 m de la construction en cause de sorte que le permis de construire modificatif était exclu.

Le Conseil d’Etat censure le raisonnement, considérant :
« Après avoir relevé que le permis en litige méconnaissait l’article UB 7 du règlement du plan d’occupation des sols de Menton, relatif à l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives, la cour a estimé que la régularisation de ce vice conduirait à un déplacement de l’implantation de la construction projetée d’au moins quatre mètres. En déduisant de ce déplacement que le vice ne pouvait être régularisé par la délivrance d’un permis modificatif, sans rechercher s’il était de nature à remettre en cause la conception générale du projet, la cour a commis une erreur de droit. »

La Haute Juridiction, sans qu’il soit besoin de rappeler que le projet n’était pas achevé dès lors qu’il bénéficie d’une présomption de non achèvement (en ce sens, les conclusions du rapporteur public Xavier de Lesquen sous l’arrêt Commune de Toulouse n° 374338 du 1er octobre 2015 : «  Sauf si la déclaration d’achèvement figure au dossier, le juge peut donc présumer que les travaux ne sont pas achevés pour se concentrer sur le caractère régularisable de l’autorisation attaquée »), s’attache à la seconde condition du permis de contre modificatif.

Elle fait reproche à la cour administrative d’appel de Marseille de s’être bornée à déduire du déplacement du projet l’impossibilité de régularisation par le biais d’un permis de construire modificatif.

Les juges d’appel ont effectivement fait l’impasse sur l’étape intermédiaire tenant à examiner si la modification était de nature à remettre en cause la conception générale du projet.

Cette dernière notion est jurisprudentielle (C.E., 26 juillet 1982, n° 23604) et le permis est modificatif s’il est sans influence sur la conception générale du projet initial.

A défaut, c’est un nouveau permis de construire, souvent délivré en méconnaissance des règles qui le régissent.

Au contraire, le permis est modificatif si les modifications n’affectent pas la totalité du projet initial et l’on rejoint ainsi les dispositions de l’article L. 600-5 qui conditionnent les pouvoirs de juge à la circonstance que les vices d’illégalité n’affectent qu’une partie du projet.

Ainsi, c’est en définissant le champ d’application du permis de construire modificatif que le Conseil d’État précise les conditions d’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.

Charles Soublin Avocat