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Marchés publics : la preuve de la détention des capacités des entités liées au candidat. Par Sébastien Palmier, Avocat.
Parution : mardi 9 février 2016
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Dans un récent arrêt du 14 janvier 2016, Otas Celtnieks SIA Aff.C-234/14, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’un candidat à un contrat public est libre de choisir, d’une part, la nature juridique des liens qu’il entend établir avec les autres entités dont il fait valoir les capacités financières, techniques et professionnelles aux fins de l’exécution d’un marché déterminé (groupement et/ou sous-traitance) et, d’autre part, le mode de preuve de l’existence de ces liens

L’acheteur public a l’obligation de contrôler les capacités des candidats

L’attribution des marchés publics se fait toujours après vérification des capacités financières, techniques et professionnelles des opérateurs économiques non exclus conformément à l’article 45 du Code des marchés publics et de l’arrêté du 28 août 2006 pris pour son application.

Un acheteur public doit donc contrôler les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l’attribution d’un marché public (CE 12 novembre 2015, SAGEM, req.n°386578, CE 26 mars 2008, Communauté urbaine de Lyon, req.n°303779).

A ce titre, il ne peut pas limiter son contrôle à la complétude du dossier de candidature dès lors qu’il lui appartient de vérifier la qualité intrinsèque des pièces produites par les candidats pour démontrer leurs capacités professionnelles, techniques, et financières à exécuter les prestations (CE 29 avril 2011, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, n°344617).

Ce contrôle est nécessaire puisqu’en cas de contentieux, il appartiendra à l’acheteur public de démontrer qu’il s’est réellement mis en mesure de contrôler les capacités techniques et financières des candidats ainsi que les justificatifs de ce contrôle (CE 17 septembre 2014, Société Delta Process, req. n°378722) peu importe que le candidat retenu soit une entreprise nouvellement créée (CE 9 mai 2012, Commune de Saint-Benoit, req. n°359455).

Un candidat qui ne dispose pas des capacités suffisantes est libre de faire valoir les capacités d’autres entités soit en répondant en groupement soit en présentant un sous-traitant.

Les règles de la commande publique n’exigent pas que l’opérateur économique qui conclut un contrat avec un acheteur public soit en mesure de réaliser directement, avec ses propres moyens, les prestations visées par l’objet du marché. Il suffit qu’il soit à même de faire exécuter la prestation dont il s’agit, en fournissant les garanties nécessaires à cet effet. C’est la raison pour laquelle tant de la réglementation en vigueur que de la jurisprudence admettent à soumissionner ou à se porter candidat à un marché public un opérateur économique qui, au vu des conditions énoncées dans les cahiers des charges, se considère apte à assurer l’exécution de ce marché, directement - entendu candidat individuel ou membre d’un groupement - ou indirectement, en recourant à la sous-traitance.

Lorsque, pour démontrer ses capacités financières et économiques ainsi que techniques et/ou professionnelles en vue d’être admise à participer à une procédure d’appel d’offres, une société décide de faire état des capacités d’organismes ou d’entreprises auxquels elle est directement ou indirectement liée, quelle que soit la nature juridique de ces liens, il lui incombe d’apporter la preuve qu’elle dispose « effectivemen t » des moyens de ces organismes ou entreprises qui ne lui appartiennent pas en propre et qui sont nécessaires à l’exécution du marché (CJUE 2 décembre 1999, Holst Italia, C 176/98, point 29).

Il appartient alors à l’acheteur public de procéder à la vérification de l’aptitude du soumissionnaire à exécuter un marché déterminé. Cette vérification a, notamment, pour objet de lui donner l’assurance que le soumissionnaire en question aura effectivement l’usage des moyens de toute nature dont il se prévaut pendant toute la durée d’exécution du marché. Dans son arrêt du 14 janvier 2016, Otas Celtnieks SIA Aff.C-234/14 la Cour de justice considère que qu’il résultent des articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 que le soumissionnaire doit rester libre de choisir, d’une part, la nature juridique des liens qu’il entend établir avec les autres entités dont il fait valoir les capacités aux fins de l’exécution d’un marché déterminé et, d’autre part, le mode de preuve de l’existence de ces liens.

Le candidat est libre de prouver la mise à dispositions des capacités d’autres entités par tout moyen

En effet, pour la Cour de justice, si les articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 (article 45 du Code des marchés publics dans sa version actuelle au niveau national) indiquent que, « par exemple », la production de l’engagement d’autres entités de mettre à la disposition du soumissionnaire les moyens nécessaires constitue un mode de preuve acceptable, ces dispositions ne peuvent en aucune manière exclure d’autres modes de preuve.

Ainsi que le relève l’avocat général dans ses conclusions sur cette affaire, ces dispositions prévoient expressément que ce n’est « qu’à titre d’exemple » que la production de l’engagement d’autres entités de mettre à la disposition du soumissionnaire les moyens nécessaires à l’exécution du marché constitue une preuve acceptable du fait qu’il disposera effectivement de ces moyens. De ce fait, ces dispositions n’excluent en aucune manière que le soumissionnaire établisse « autrement » l’existence des liens qui l’unissent aux autres entités dont il fait valoir les capacités aux fins de la bonne exécution du marché auquel il soumissionne.

En l’occurrence, un pouvoir adjudicateur imposait aux soumissionnaires qui souhaitaient faire valoir les capacités d’autres entités, d’établir avec ces entités des liens d’une nature juridique précise, de sorte que seuls ces liens particuliers étaient susceptibles, aux yeux du pouvoir adjudicateur, de prouver qu’il disposait effectivement des moyens nécessaires pour mener à bien l’exécution des prestations du marché. Plus précisément, le pouvoir adjudicateur exigeait que les soumissionnaires concluent un accord de partenariat avec ces entités ou crée avec celles-ci une société en nom collectif.

Ce faisant, les cahiers des charges ne prévoyaient que deux modalités permettant aux soumissionnaires d’établir qu’ils disposent des moyens d’autres entités pour la bonne exécution des prestations du marché, à l’exclusion de tout autre mode de preuve. La Cour considère qu’une telle restriction est irrégulière en ce qu’elle conduit manifestement à vider de tout effet utile les dispositions des articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18. Les règles de la commande publique s’opposent donc à ce qu’un pouvoir adjudicateur puisse, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, imposer à un soumissionnaire qui fait valoir les capacités d’autres entités l’obligation, avant la passation du marché, de conclure avec ces entités un accord de partenariat ou de créer avec celles-ci une société en nom collectif. Ce dernier doit être libre d’apporter la preuve par tout moyen qu’il dispose des capacités des entités dont il entend se prévaloir.

L’acheteur public doit être en mesure de justifier la forme du groupement imposé pour exécuter le marché

Cette affaire est également intéressante en ce qu’elle rappelle qu’un acheteur public ne peut pas imposer n’importe quel type de groupement pour l’exécution des prestations du marché : la forme du groupement doit être justifiée par l’objet du marché et la nature des prestations à exécuter.
Pour rappel, en cas de groupement conjoint, chaque cotraitant est responsable des prestations qui lui ont été confiées. En cas de groupement solidaire, chaque cotraitant est engagé financièrement pour la totalité du marché et doit pallier une éventuelle défaillance de ses partenaires.

L’article 51 du Code des marchés publics tout comme l’article 4 paragraphe 2 de la directive 2014/18 indiquent que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas exiger que les groupements d’opérateurs économiques aient une forme juridique déterminée pour participer à la procédure. En revanche, ils peuvent exiger que le groupement retenu puisse être contraint de revêtir une forme juridique déterminée si le marché lui a été attribué, mais uniquement dans la mesure où cette transformation est nécessaire pour la bonne exécution des prestations du marché.
Dans cette affaire, l’avocat général profite de l’occasion pour rappeler que cette obligation de revêtir une forme juridique déterminée après la passation du marché « constitue une exigence exceptionnelle qui n’est imposée que lorsqu’elle s’avère objectivement nécessaire et dans le respect du principe de proportionnalité ».

Les opérateurs économiques qui participent à une procédure de marché sont donc libres du choix du mode de coopération avec d’autres entités pour satisfaire aux exigences des capacités exigés par l’acheteur public (groupement ou sous-traitance) tout comme il sont libre du mode de preuve pour justifier auprès de l’acheteur qu’ils disposeront des capacités d’autres entités.

CJUE 14 janvier 2016, Otas Celtnieks SIA Aff.C-234/14

Me Sébastien PALMIER-Spécialiste en Droit Public Cabinet Palmier & Associés- Experts en marchés publics http://www.sebastien-palmier-avocat.com