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Marchés publics : l’exclusion possible d’un candidat qui ne respecte pas le salaire minimal fixé par la loi. Par Thibault Saint-Martin, Elève-Avocat.
Parution : lundi 29 février 2016
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Par un arrêt du 17 novembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une loi nationale pouvait imposer aux soumissionnaires dans le cadre d’une procédure de marché public le respect d’un salaire minimal pour les salariés participant à l’exécution de la prestation.

La directive 2004/18/CE [1] prévoit un certain nombre de règles visant à la coordination des procédures de passation des marchés publics.

Parmi les dispositions contenues dans cette directive, l’article 26 intitulé « Conditions d’exécution du marché » prévoit que :
« Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger des conditions particulières concernant l’exécution du marché pour autant qu’elles soient compatibles avec le droit communautaire et qu’elles soient indiquées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges. Les conditions dans lesquelles un marché est exécuté peuvent notamment viser des considérations sociales et environnementales ».

Cette disposition a été transposée à l’article 14 du Code des marchés publics de 2006 et figure à l’article 38 de l’ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), par un arrêt du 17 novembre 2015 [2], a précisé que l’exigence du respect d’un salaire minimal pouvait être une condition au sens de l’article 26 de la directive.

Les faits à l’origine de cette affaire étaient les suivants : la ville de Landau en Allemagne a lancé à l’échelle de l’Union européenne un appel d’offre pour un marché public de services postaux. L’avis de marché précisait que les soumissionnaires devaient respecter la loi du land de Rhénanie-Palatinat relative pour partie au salaire minimal dans l’attribution des marchés publics.
Pour justifier de leur respect de ce texte, les soumissionnaires devaient fournir une déclaration à cet effet sous peine d’être exclus de la procédure.

L’entreprise RegioPost était candidate et soutenait que ces déclarations étaient contraires au droit des marchés publics. Elle refusait donc de fournir sa déclaration. Face à son refus persistant, la ville de Landau fut contrainte de l’exclure de la procédure et attribua le marché à d’autres entreprises.
RegioPost a introduit un recours contre cette décision qui fut rejeté en première instance.

Saisi en appel, le tribunal régional supérieur de Coblence a estimé que se posait une question d’interprétation du droit de l’Union européenne et a effectué un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Suivant les conclusions de l’avocat général, la Cour a écarté les moyens visant à déclarer la demande irrecevable et a reformulé les questions posées.

En effet, si les gouvernements allemand et italien soutenaient qu’il n’y avait aucun élément transfrontalier, la Cour a répondu que dans la mesure où l’application de la directive 2004/18 n’était pas discutée et qu’en tout état de cause, la valeur du marché dépassait les seuils d’application du marché et qu’il présentait donc un intérêt transfrontalier certain.

Sur le fond de l’affaire, au terme de son raisonnement, la Cour considère que l’exigence du respect d’un salaire minimum par les candidats pouvait être considérée comme une condition au sens de l’article 26 de la directive 2004/18.
Pour qu’une telle condition soit valable, l’article 26 prévoit qu’elle doit être inscrite dans l’avis de marché et compatible avec le droit de l’Union. Si la condition de l’inscription était remplie, restait la question de sa comptabilité avec le droit de l’UE.

Sur ce point, l’enjeu était qu’une mesure nationale comme celle de l’espèce constituait une entrave au marché intérieur et donc une potentielle violation de l’article 56 du TFUE sur la libre prestation de service et pouvait être contraire aux dispositions de la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs dans l’Union.
La Cour constate rapidement la compatibilité de la mesure avec la directive 96/71 et vérifie plus longuement son articulation avec l’article 56 du TFUE. En filigrane, on peut observer le raisonnement classique des juges de Luxembourg en matière d’entrave à une liberté de circulation.

La Cour constate que l’exigence d’un salaire minimal vise à la protection des travailleurs à un moment où il n’y avait pas de salaire minimal applicable aux entreprises en Allemagne.
De plus, le fait que cette mesure soit applicable seulement aux marchés publics et non aux marchés privés n’est pas de nature à rendre la mesure discriminatoire car le droit de l’Union ne s’applique pas aux marchés privés (la Cour marque une différence avec l’arrêt Rüffert [3] portant sur une espèce similaire où elle avait déclaré incompatible avec le droit de l’UE l’exigence d’un salaire minimal non applicable aux marchés privés mais surtout, limité au secteur de la construction).
Enfin, s’agissant de la déclaration exigée des soumissionnaires, la Cour la considère aisée à satisfaire et ne pénalisant pas les entreprises. La mesure est donc proportionnée et son non-respect peut justifier l’exclusion des candidats.

Ainsi, par cet arrêt la Cour de justice rappelle que si des règles tendent à harmoniser les procédures de marchés publics au niveau communautaire, les Etats gardent une marge de manœuvre s’ils l’exercent dans le respect des principes fondamentaux du marché intérieur.

Thibault Saint-Martin Élève-avocat

[1Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.

[2CJUE, 17 novembre 2015, RegioPost GmbH & Co. KG / Stadt Landau in der Pfalz, C-115/14.

[3CJUE, 3 avril 2008, Dirk Rüffert contre Land Niedersachsen, C-346/06.