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Imputabilité des lésions à un accident du travail ou une maladie professionnelle : articulation des procédures entre contentieux général et technique. Par Marlie Michalletz, Avocat.
Parution : lundi 4 avril 2016
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Le 10 mars 2016, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt susceptible d’intéresser les praticiens du droit de la sécurité sociale (Cass. 2ème civ., 10 mars 2016 : n° 14-29.145). Sa structure révèle, en partie, son intérêt. Bien qu’étant de rejet, il est publié au bulletin. Il est composé de deux chapeaux intérieurs intéressant :
-  la répartition des compétences entre les juridictions du contentieux général et celles du contentieux technique ; (1ère partie).
-  la communication de « l’entier rapport médical » devant les juges du contentieux technique . (2nde partie)

Pédagogique, cet arrêt rappelle des règles déjà connues des praticiens.

Répartition des compétences. – Une organisation du contentieux général (CSS, art. L. 142-1) et une organisation du contentieux technique (CSS, art. L. 143-1) ont été instituées en droit de la sécurité sociale. Plusieurs juridictions interviennent. Le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) est la juridiction de droit commun. Il règle les différends auxquels donnent lieu l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et qui ne relèvent pas, par leur nature, d’un autre contentieux.
L’organisation du contentieux technique règle les contestations relatives « 2°) à l’état d’incapacité permanente de travail et notamment au taux de cette incapacité en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle ». Ce sont les tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) et la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail qui sont compétents (CNITAAT).

Imbrication des procédures. - L’employeur qui conteste un accident du travail ou une maladie professionnelle peut agir devant le TASS pour solliciter :

a. l’inopposabilité de la décision de prise en charge ;
b. la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire afin de contester l’imputabilité des lésions au sinistre professionnel.

L’employeur peut également saisir le TCI pour :

c. contester l’opposabilité de la décision attributive de rente ;
d. contester le taux d’IPP fixé par le médecin-conseil à la consolidation de l’état de santé de l’assuré.

Ces procédures (b. et d.), de nature médico-judiciaire, sont étroitement liées. Les débats devant le TCI sont susceptibles d’influencer la solution rendue par le TASS et inversement. Une stratégie préalable doit être définie pour articuler ces procédures. A titre d’exemple, les délais d’audiencement devront nécessairement être pris en compte. Lorsqu’une décision attributive de rente est notifiée, l’employeur dispose d’un délai de deux mois pour la contester. Généralement, les délais d’audiencement devant le TCI sont plus courts que ceux devant le TASS. Le dossier sera évoqué devant le TCI avant de l’être devant le TASS.

Influence de la procédure TCI sur la procédure TASS. – L’employeur qui sollicite la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire doit convaincre le TASS de la nécessité de mettre en œuvre une telle mesure. Il doit apporter un faisceau d’indices démontrant l’existence d’un litige d’ordre médical. Les pièces médicales communiquées devant les juridictions du contentieux technique constituent des éléments de preuve. Parmi elles, l’analyse du rapport d’évaluation des séquelles par le médecin mandaté par l’employeur est déterminante. Les débats entre ce praticien et le médecin consultant près le TCI, repris dans le jugement du TCI, peuvent justifier la demande d’expertise. Tel est le cas lorsque ces deux praticiens mettent en évidence un problème d’imputabilité des lésions. Seul le TASS est compétent pour trancher cette difficulté. C’est ce que rappelle la deuxième chambre civile dans la présente espèce.

Un salarié avait déclaré une maladie professionnelle du tableau n° 57. Un taux d’IPP de 15% lui avait été attribué. L’employeur avait saisi le TCI. Lors des débats devant les juridictions du contentieux technique (TCI – CNITAAT) les deux médecins consultants avaient considéré «  qu’il n’était pas possible de déterminer avec certitude que la limitation de l’épaule droite résultait effectivement de la tendinopathie prise en charge par la caisse, celle-ci pouvant fort bien être imputée à d’autres affections extra-professionnelles développées par la victime ».
Selon le pourvoi, il appartenait au juge du contentieux technique « d’identifier les séquelles imputables à la maladie afin d’être en mesure de fixer le taux d’IPP ». Le moyen est logiquement rejeté. Le principe selon lequel les difficultés relatives au caractère professionnel d’une lésion relèvent de la compétence des juridictions du contentieux général de la sécurité sociale est ainsi rappelé.

Articulation des procédures. - Lorsqu’une difficulté d’imputabilité des lésions est révélée devant les juridictions du contentieux technique, il appartient à l’employeur de « saisir les juridictions du contentieux général s’il entend contester l’imputabilité à la maladie professionnelle de certaines des séquelles retenues par le médecin conseil de la caisse ». En parallèle, il convient de solliciter un sursis à statuer devant les juridictions du contentieux technique dans l’attente de l’issue de la procédure initiée devant les juridictions du contentieux général. Une copie des éléments de procédure attestant de l’état d’avancement de la procédure peut être annexée à cette demande (recours amiable, saisine du TASS, accusé de réception de la juridiction, convocation à l’audience).

En l’espèce, l’employeur aurait pu saisir la commission de recours amiable puis le TASS afin de contester l’imputabilité des lésions à la maladie professionnelle. Au soutien de son argumentaire, il aurait fait état des difficultés identifiées par les deux médecins consultants. Ces deux analyses médicales concordantes, dépourvues de toute ambiguïté, caractérisaient une difficulté sur l’imputabilité des lésions à la maladie professionnelle déclarée.

Dans ces conditions, une expertise aurait probablement été ordonnée. L’expert judiciaire aurait eu pour mission de se prononcer sur les lésions imputables à la maladie professionnelle. Une fois le rapport homologué par les juridictions du contentieux général, l’employeur pourra s’en prévaloir devant les juridictions du contentieux technique afin d’obtenir une baisse du taux d’IPP. Seules les séquelles résultant des lésions consécutives à la maladie professionnelle doivent être prises en compte dans l’évaluation du taux d’IPP.

Marlie MICHALLETZ, chargée d'enseignement, docteur en droit, avocat