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Le retour de l’exigence d’un « aménagement » pour les biens affectés à l’usage direct du public ? Par Morgan Laffineur, Juriste.
Parution : mardi 27 décembre 2016
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A la lecture de l’article L2111-1 du CGPPP en vigueur : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».

Et pourtant, aussi clair que puisse paraître cet article, non modifié depuis 2006, le Conseil d’État a réussi à brouiller les pistes de l’incorporation des biens affectés à l’usage direct du public.

Bien avant l’édiction du CGPPP, un bien dit « ouvert au public » était considéré de domanialité publique s’il appartenait à une personne publique et s’il était affecté à l’usage direct du public.

- Le bien devant lui appartenir en pleine propriété (CE, 11 février 1994, Compagnie d’assurances Préservatrice Foncière ; n° 109564)
- L’affectation devant résulter d’un acte de volonté, d’une « détermination » d’un but assigné à un bien, et non d’un simple usage (CE, 28 Août 1935 Marécar ; Concl. Latournerie).

La jurisprudence administrative, impulsée par le célèbre arrêt en la matière (CE, Ass, 11 mai 1959 Dauphin), a très largement retenu l’existence d’un « aménagement spécial » comme critère d’appartenance d’un bien au domaine public, du moins pour les biens affectés à un service public.

Le juge avait pourtant étendu l’exigence d’un tel aménagement spécial aux dépendances directement affectées au public. Parmi les quelques illustres exemples, on peut citer :
- les promenades publiques (CE, 22 avril 1960 Berthier ; Lebon p.264),
- les parcs publics (CE, 13 juillet 1961, Lauriau ; Lebon p.486),
- les plages publiques (CE 30 MAI 1975 Gozzoli ; Lebon p.325).

Depuis l’entrée en vigueur du CGPPP, la domanialité publique des biens affectés à l’usage direct du public ne dépend plus d’un aménagement. L’article L.2111-1 impose, certes, une condition plus restrictive, « l’aménagement indispensable », mais ce dernier n’incombe qu’aux dépendances affectées à un service public.

A ce titre, vient de sortir le numéro bimensuel de l’AJCT, consacré spécialement au « Patrimoine, domaine des collectivités et CGPPP ».
Les auteurs y rappellent, à la lecture du L2111-1 du CGPPP, qu’il n’est pas utile de constater un aménagement particulier du bien pour déterminer son affectation à l’usage direct du public (C. Mondou, La définition du domaine public des collectivités territoriales depuis le CGPPP ; AJCT 2016 p.600).

Et pourtant, le Conseil d’État, saisi d’un litige opposant la commune de Fresnes-sur-Marne à un particulier, vient de rappeler, certes, que l’affectation d’un bien à l’usage direct du public doit résulter de la volonté de la collectivité de l’affecter à cet usage, mais la dernière précision est assez troublante :
« qu’en se fondant sur la simple accessibilité physique de la parcelle en cause et sur le fait qu’un stationnement occasionnel était possible, toléré et constaté, pour en déduire son affectation à l’usage direct du public, le tribunal administratif s’est fondé sur une situation de fait sans rechercher si la commune pouvait être regardée comme ayant manifesté sa volonté d’affecter cette parcelle à l’usage direct du public, notamment en réalisant un aménagement nécessaire à cet usage » (Conseil d’État, 5 décembre 2016 ; n°401013)

Que faut-il alors comprendre de cet « aménagement nécessaire » ?
1) Doit-il être entendu comme un simple indice d’affectation ?
2) Doit-il être retenu comme un nouveau critère cumulatif et restrictif d’entrée dans le domaine public, alors que le CGPPP ne le prévoit pas expressément ?

Cette dernière hypothèse semble peu envisageable.

En effet, dans une affaire visant à caractériser l’appartenance d’une parcelle au domaine public par voie d’affectation directe (CE, 2 novembre 2015, commune de Neuves-Maisons, n°373896), le rapporteur public s’est penché sur l’existence d’un « aménagement » à cet effet.
Selon lui, en ce qui concerne les dépendances affectées à l’usage direct du public : « L’aménagement spécial n’est pas un critère cumulatif - ce serait contra legem - mais un indice de l’existence d’une « affectation » au sens fort » (Concl. LESSI sous l’arrêt du CE du 2 novembre 2015, n°373896 ; AJDA 2016 p. 204).

La première hypothèse semble dès lors la plus raisonnable mais elle reste à surveiller de près pour les prochaines jurisprudences en la matière.
Une clarification de l’article L2111-1 visant à confirmer ou à infirmer ce récent arrêt serait également la bienvenue à ce sujet.

Morgan Laffineur Juriste