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GPA : que reste-t-il de la prohibition française ? Par Flora Labrousse, Avocat.
Parution : samedi 22 septembre 2018
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Alors que les tribunaux français ont pendant longtemps refusé de faire droit à toute demande d’adoption formée par la ou le conjoint(e) du père de l’enfant né d’une GPA, ils ont ensuite faire preuve d’un fléchissement en acceptant d’ouvrir la porte de l’adoption simple au « parent d’intention ». De manière tout à fait inédite, la Cour d’appel de Paris a fait droit, par une décision du 18 septembre 2018 à la demande d’adoption plénière par l’époux du père biologique de jumelles nées en 2011 d’une GPA réalisée au Canada.
Retour sur les épisodes les plus marquants de la jurisprudence française en matière d’adoption d’enfants nés de GPA…

Un peu d’histoire…

Si la maternité pour autrui est une pratique ancienne, l’émergence des techniques d’assistance médicale à la procréation a fait naître un nouveau type de GPA, artificielle, avec au moins trois intervenants, voire parfois plus.

Il existe ainsi plusieurs types de GPA :
- la GPA par laquelle la « mère de substitution », qui porte l’enfant est aussi sa mère biologique,
- et celle par laquelle la « mère de substitution » consent à porter et à mettre au monde l’embryon du couple d’intention, conçu au préalable par fécondation in vitro avec les gamètes de la « mère d’intention ». Dans ce cas, la « mère d’intention » est la mère biologique de l’enfant, même si ce n’est pas elle qui en a accouché.

Or, l’enfant ne pouvant établir un lien de filiation qu’à l’égard de deux parents, historiquement un père et une mère, cette multi-parentalité implique nécessairement un morcellement de la fécondation, de l’enfantement et de la filiation au plan juridique.

A l’ère du « droit à l’enfant » et des progrès bioéthiques, le statut juridique d’une telle pratique diffère selon les pays.

Un peu de droit comparé...

Aux Pays-Bas, en Belgique, en Finlande, en Afrique du Sud et en Inde, cette pratique ne fait l’objet d’aucune interdiction mais n’est pas non plus encadrée. En Inde, elle est même en plein essor depuis la création de cliniques spécialisées en gestation pour autrui, car les femmes préfèrent s’engager dans le processus de la maternité de substitution plutôt que d’être exploitées dans des usines où les risques pour leur santé sont parfois plus élevés.

D’autres pays, tels que le Danemark, la Grèce, la Hongrie, la Géorgie, l’Israël, le Canada et la Russie ont choisi de la légaliser. Aussi, la gestation pour autrui est autorisée dans plusieurs États américains, notamment en Californie, contre rémunération et elle est encadrée au Royaume-Uni où la gratification est toutefois prohibée. Mais, dans ces circonstances, les femmes qui se prêtent à une telle gestation le font généralement pour des raisons altruistes, car elles se sentent utiles en vivant une grossesse pour autrui.

En France, bien qu’une telle technique de procréation soit interdite, elle n’en est pas moins inexistante ; c’est la raison pour laquelle il y a eu un véritable « forçages des tribunaux », amenés à concilier l’intérêt de l’enfant qui est né d’une telle pratique avec la non-reconnaissance française.

Entre 1994 et 2013.

En France, le principe irréfragable « mater semper certa est », qui gouverne la filiation maternelle, veut que la mère soit celle qui accouche ; c’est pourquoi l’article 16-7 du Code civil prévoit que les conventions de « location d’utérus » sont frappées d’une nullité d’ordre public.

Les dispositions de l’article 227-12 du code pénal répriment le fait de provoquer les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître.

En France, le rempart de cette prohibition, naguère vu comme inflexible, consistait à priver l’enfant issu d’une telle technique de procréation de son lien de filiation maternelle, si bien qu’il n’y avait aucune reconnaissance du parent « d’intention » et que les enfants nés d’une GPA à l’étranger étaient traités comme des « petits fantômes de la République ».

Le principe posé était clair : La transcription de l’acte de naissance de l’enfant ne pouvait être ordonnée à l’égard de la « mère d’intention » car ce n’était pas elle qui avait accouché de l’enfant.

En 1991, la Cour de cassation avait refusé de faire droit à la demande d’adoption formée par le conjoint du parent de l’enfant, en expliquant que « cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce processus constituait un détournement de l’institution de l’adoption » [1].

Une telle tendance jurisprudentielle avait prospéré pendant plusieurs années, aussi bien concernant une adoption simple que plénière :
- La Cour de cassation avait également affirmé que l’adoption simple ne pouvait pas non plus être envisagée pour la même raison du détournement d’institution puisque la maternité pour autrui est illicite. [2].
- Plusieurs cours d’appel avaient considéré que, dans de telles circonstances, l’adoption était détournée de sa raison d’être, « cette institution n’ayant pas pour finalité de créer des enfants abandonnés mais de donner une famille à des enfants qui n’en ont pas » [3].

D’autres Cours d’appel, en marge, avaient toutefois pu retenir que la décision concernant l’adoption devait être prise indépendamment des circonstances de la conception et de la naissance de l’enfant et que le tribunal devait seulement vérifier si les conditions prévues par la loi étaient remplies et si l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant. [4].

De 2013 à 2017.

Sans autoriser ouvertement le recours à la GPA, le droit français a fait preuve d’un affaiblissement depuis la circulaire relative à la délivrance des certificats de nationalité française convention de mère porteuse du 25 janvier 2013, validée par une décision du Conseil d’État en date du 12 décembre 2014, laquelle porte recommandation aux tribunaux de ne plus refuser la délivrance des certificats de nationalité française pour des enfants nés à l’étranger au seul motif qu’ils concernent des enfants issus d’une gestation pour autrui.

De manière plus notoire encore, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, dans plusieurs décisions rendues en 2014 et en 2016 [5] au motif que le refus d’établir le lien de filiation violait le droit au respect de la vie privée et familiale contenu à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

A partir de 2017.

Alors que les tribunaux avaient pendant longtemps refusé de faire droit à toute demande d’adoption formée par la ou le conjoint(e) du père de l’enfant, ils ont ensuite, en 2017, fait preuve d’un fléchissement en acceptant d’ouvrir la porte de l’adoption simple au « parent d’intention ».

En effet, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence concernant une demande d’adoption simple, par le conjoint de l’un des parents, de l’enfant obtenu d’une mère porteuse à l’étranger, en affirmant que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » [6].

Le Tribunal de Grande Instance de Evry avait par la suite indiqué, à plusieurs reprises que l’enfant né dans de telles circonstances n’était pour l’heure toutefois pas adoptable plénièrement au motif que l’« état du droit positif français contient toujours l’interdiction de la gestation pour autrui en France » et que, selon les termes de la Cour de cassation elle-même dans ses décisions du 6 avril 2011, « il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour autrui » [7].

En France, tant l’enfant que les parents d’intention et la mère porteuse se retrouvent dans un contexte d’insécurité juridique le plus total, dans la mesure où les droits de chacun et les conditions d’accès à une telle technique ainsi que les modalités d’établissement de la filiation sont laissés à l’appréciation des tribunaux.

En tout état de cause, la jurisprudence est encore incertaine et divergente puisqu’une telle appréciation diffère d’un juge à un autre en fonction de la conception qu’ils ont de la notion de « famille ».

Mais alors : que reste-t-il de la prohibition française face à l’intérêt de l’enfant ?

De manière tout à fait inédite, la Cour d’appel de Paris a fait droit, par une décision du 18 septembre 2018 à la demande d’adoption plénière par l’époux du père biologique de jumelles nées en 2011 d’une GPA réalisée au Canada. Il est à noter qu’une telle adoption est irrévocable et rompt la possibilité pour l’enfant de faire établir, un jour, tout lien de filiation entre lui et sa mère biologique.

Ce faisant, il en ressort que l’établissement du lien de filiation de l’enfant à l’égard de son « parent d’intention » est désormais conforme à l’intérêt de l’enfant.

La Cour d’appel a considéré en l’espèce qu’il n’y avait pas lieu de recueillir le consentement de la mère porteuse, « celle-ci ayant renoncé à tout droit de filiation avec les enfants et ne figurant pas sur les actes de naissance canadiens des fillettes, sur lesquels seul le père biologique est mentionné ».

Il convient de rappeler que, par un arrêt du 30 janvier 2018, la Cour d’appel de Paris avait refusé une adoption plénière par le conjoint du père en énonçant que « Faute de pouvoir s’assurer que la mère a bien consenti à cette adoption ou qu’elle a volontairement décidé de renoncer à tout droit de filiation, il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de prononcer son adoption plénière par le conjoint de son père ».

En réalité, les juges avaient estimé qu’il fallait recueillir un minimum d’informations sur la mère biologique et, ainsi, rapporter la preuve que cette dernière avait volontairement renoncé à tout droit de filiation sur l’enfant, avant de pouvoir faire droit à une demande d’adoption plénière par le conjoint du père biologique de cet enfant.

Il convient donc de rester prudent en matière d’établissement de la filiation de l’enfant né à l’étranger d’une GPA avec son « parent d’intention » dans la mesure où les juges apprécient les faits et le contexte de la naissance de l’enfant au cas par cas.

Par ailleurs la GPA réalisée en France reste interdite, même si, dans un récent arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen le 31 mai 2018 [8], les juges du fond ont estimé que l’intérêt de l’enfant était de vivre avec les parents qui l’ont élevé depuis sa naissance, indépendamment de la méthode par laquelle il avait été conçu.

En l’espèce, un couple d’hommes avait conclu une convention de gestation pour autrui avec une femme, laquelle avait accepté de pratiquer une insémination artisanale avec l’un d’eux et de leur remettre l’enfant 9 mois plus tard en l’échange de 15.000 euros. Elle était finalement revenue sur sa décision et avait convenu avec un autre couple, qui s’était vu refuser l’agrément en vue de l’adoption qu’elle le leur confiera dès sa naissance, moyennant la même somme d’argent.

Bien que la cour ait jugé qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de rester vivre avec le second couple, qui l’avait pourtant acheté à la naissance, au motif qu’ils l’ont élevé depuis sa naissance, les 5 protagonistes ont été condamnés pénalement, la mère porteuse pour escroquerie et fraude aux prestations sociales et les 4 « parents d’intention » pour provocation à l’abandon d’enfant né ou à naître.

Affaire à suivre, car la Cour de cassation doit prochainement réexaminer le dossier des époux Mennesson, qui demandent depuis près de 18 ans la transcription en droit français des actes de naissance de leurs jumelles nées par GPA en Californie en 2000 ! Pour rappel, dans cette affaire, la France avait été condamnée par la CEDH au motif que le refus d’établir le lien de filiation violait le droit au respect de la vie privée et familiale contenu à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Flora LABROUSSE, Avocat au Barreau de Paris Consultation : https://consultation.avocat.fr/cabinets/cabinet-flora-labrousse-75009-41967a87ce.html Site internet : https://9trevise-avocat.com/

[1Cass. Ass. Plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105.

[2Cass. Civ. 1ère., 29 juin 1994, n° 92-13.563 ; Cass. Civ. 1ère, 9 déc. 2003, n° 01-03.927.

[3CA Rennes, ch. cons., 4 juill. 2002, n° 01/02471 ; CA Dijon, 3e ch. civ., 24 mars 2016, n° 15/00057.

[4CA Pau, 2ème ch., 19 févr. 1991, n° 3238/90 ; CA Poitiers, 22 janv. 1992.

[5CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c./ France ; n° 65941/11, Labassée c/ France ; CEDH, 21 juill. 2016, n° 9063/14, Foulon c./ France ; n° 10410/14, Bouvet c./ France.

[6Cass. Civ. 1ère, 5 juill. 2017, n° 16-16.455.

[7TGI Evry, 4 sept. 2017, n° 16/06684 ; TGI Evry, 2 oct. 2017, n° 17/01775.

[8N° 17/02084.