Village de la Justice www.village-justice.com

La faute inexcusable à l’épreuve du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Par Cécile Ride, Avocat.
Parution : mardi 27 novembre 2018
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/faute-inexcusable-epreuve-principe-autorite-chose-jugee-penal-sur-civil,30094.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La chose définitivement jugée au pénal s’imposant au juge civil, l’employeur condamné pour homicide involontaire doit être considéré par le tribunal des affaires de sécurité sociales comme ayant commis une faute inexcusable au regard de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil implique que ce qui a été définitivement jugé par le juge répressif (qualification pénale des faits, culpabilité ou innocence) s’impose au juge civil.

Ce principe a pour but d’éviter que le juge pénal, qui a statué sur la culpabilité d’un individu, ne soit démenti par le juge civil, parmi lesquels le juge du tribunal des affaires de sécurité sociales.

La 2ème Chambre civile de la Cour de Cassation rappelle dans son arrêt du 11 octobre 2018 [1] que :

« Mais attendu que, la chose définitivement jugée au pénal s’imposant au juge civil, l’employeur définitivement condamné pour un homicide involontaire commis, dans le cadre du travail, sur la personne de son salarié et dont la faute inexcusable est recherchée, doit être considéré comme ayant eu conscience du danger auquel celui-ci était exposé et n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

En d’autres termes, lorsqu’un accident du travail justifie devant la juridiction pénale la condamnation de l’employeur, le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’applique à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduite devant le tribunal des affaires de sécurité sociales.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur permet à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ou à ses ayants droit, d’obtenir une majoration de rente et une indemnisation complémentaire, versées par la caisse mais récupérées par celle-ci auprès de l’employeur.

En principe, pour que soit reconnue l’existence d’une telle faute au sens des dispositions de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, le demandeur doit prouver que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l’en protéger.

L’analyse des juridictions de sécurité sociale n’est cependant pas totalement autonome, puisque l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux décisions des juridictions pénales statuant sur le fond de l’action publique s’impose à elles lorsqu’elles sont saisies aux fins de reconnaissance et d’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur [2].

Il en résulte que l’existence d’une condamnation pénale pour non-respect des règles relatives à la sécurité implique que l’employeur a nécessairement eu conscience du danger auquel il exposait son salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger, commettant ainsi, au sens du code de la sécurité sociale, une faute inexcusable.

Les ayants droits de la victime d’un homicide involontaire reconnu comme tel par la juridiction pénale se voient donc en conséquence dégagés de la charge de la preuve de la conscience du danger de l’employeur, et bénéficient d’une présomption irréfragable de faute de ce dernier.

La condamnation pour homicide ou blessures involontaires de l’employeur devant la juridiction pénale équivaudrait ainsi à une quasi condamnation préalable pour faute inexcusable devant le tribunal des affaires de sécurité sociales.

On rappellera cependant qu’à l’inverse, la relaxe pénale est sans incidence sur la qualification de la faute inexcusable au sens de la réparation de l’accident du travail et de la maladie professionnelle… le législateur ayant mis fin, avec la loi du 10 juillet 2000, au principe de l’unité des fautes pénale et civile [3].

La Cour de cassation considère ainsi que la faute inexcusable de l’employeur peut être retenue même en l’absence de condamnation pénale [4].

Dans cette hypothèse, donc, le tribunal des affaires de sécurité sociales garde toute son autonomie pour caractériser l’existence – ou non – d’une faute inexcusable.

Cécile Ride, avocat

[1C. Cass. Civ. 2ème, 11 octobre 2018, n°17-18712.

[2Cf par exemple : Cass. Soc. 8 février 2001 n°99-15034 ; Cass. Civ. 2ème 12 mai 2010 n°08-21991 ; Cass. Civ. 2ème 25 avril 2013 n°12-12963 ; Cass. Civ. 2ème 7 mai 2015, n°13-25984.

[3Art. 4-1 du code de procédure pénale.

[4Cass. Civ. 1ère, 30 janvier 2001, n°98-14368 ; Cass. Civ. 2ème 15 mars 2012, n°10-15503 ; Cass. Soc. 30 janvier 2003, n°01-13692 ; Cass. Civ. 2ème. , 16 septembre 2003 n°01-16715.