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Maladies professionnelles : restauration de l’orthodoxie. Par Renaud Deloffre, Magistrat.
Parution : vendredi 28 juin 2019
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Dans un important arrêt du 20 juin 2019, destiné à la publication au Bulletin, la Cour de Cassation vient de prendre une position totalement contraire à celle retenue dans un arrêt du 24 janvier 2019 qui bouleversait la définition traditionnelle de l’imputabilité d’une maladie à un employeur déterminé ainsi que le cadre d’appréciation du caractère professionnel des maladies et elle restaure ainsi l’orthodoxie de la matière sur ce point.

De manière plus secondaire pour la pratique judiciaire, la Cour réaffirme, sur la question de la compétence juridictionnelle en matière d’inscription au compte spécial, les solutions posées par une jurisprudence déjà ancienne.

Article mis à jour par l’auteur en août 2019.

Dans un article paru sur ce site le 26 février 2019 nous avons commenté deux arrêts de la 2ème Chambre Civile des 11 octobre 2018 n° 17-24.346 et du 24 janvier 2019 n° 17-31.531 en indiquant en substance que ces arrêts remettaient totalement en cause la distinction traditionnelle entre inopposabilité et imputabilité ainsi que les critères de cette dernière.

Jusqu’à ces arrêts, et sans rentrer ici dans le détail des solutions jurisprudentielles pour lequel il est renvoyé à notre article précité, on peut retenir que le contentieux de l’opposabilité et celui de l’imputabilité apparaissaient bien distincts dans la jurisprudence de la Cour de Cassation et que le régime juridique de ces deux notions semblait relativement bien fixé.

On rappellera que l’inopposabilité à l’employeur d’une décision de prise en charge permet à l’employeur d’obtenir de la Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT) et auparavant de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie (CRAM) que les dépenses de la maladie ne soient pas inscrites sur son compte employeur et que, dans le contentieux de la faute inexcusable, elle lui permet de ne pas supporter la charge de la majoration de l’article L452-2 et des indemnisations de l’article L452-3 du Code de la sécurité sociale.

Jusqu’en 2016, toutes les inopposabilités qu’elles soient consécutives à une irrégularité de procédure commise par la caisse ou à une prise en charge injustifiée d’un AT/MP faisaient obstacle à l’action récursoire de la caisse pour recouvrement des sommes versées à la victime sur le fondement des articles L452-2 et L452-3 du Code de la sécurité sociale et à partir d’un certain nombre d’arrêts rendus dès le début de 2016 à la suite de l’introduction dans le code de la sécurité sociale d’un nouvel article L452-3-1 du code de la sécurité sociale résultant de l’article 86 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 on peut retenir, en simplifiant une jurisprudence particulièrement foisonnante, que seules les inopposabilités dites de fond, c’est à dire consécutives à une prise en charge injustifiée, continuent à faire obstacle à l’action récursoire des caisses (pour la présentation de la jurisprudence sur ce point on se reportera à notre article sur “les incertitudes persistantes concernant l’action récursoire des caisses” paru sur ce site le 18 juin 2018).

Aux termes de la jurisprudence antérieure aux deux arrêts des 11 octobre 2018 n° 17-24.346 et du 24 janvier 2019 n° 17-31.531, la notion d’imputabilité joue un rôle très important en matière de faute inexcusable et dans le contentieux de la tarification et s’est développée dans ces deux contentieux de manière totalement indépendante et distincte de la notion d’opposabilité.

En matière de faute inexcusable, la reconnaissance de cette dernière suppose en premier lieu que soit établi le caractère professionnel de la maladie, lequel s’apprécie sur la totalité de l’activité du salarié au service de ses employeurs successifs puis, en second lieu, que la maladie soit imputable à l’employeur ce qui implique que le salarié ait été exposé au risque chez ce dernier et enfin que cette exposition au risque soit intervenue dans ces conditions constitutives d’une telle faute.

En matière de contentieux de la tarification, la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant la date de première constatation médicale de la maladie, sauf à ce qu’il rapporte la preuve que la victime a été exposée chez un précédent employeur.

L’employeur peut bien évidemment toujours rapporter la preuve qu’il n’a pas exposé la victime au risque et la présomption ne lui est alors pas applicable.

Les deux notions d’inopposabilité et d’imputabilité sont totalement distinctes.

Dans le dernier état de la jurisprudence antérieure aux arrêts des 11 octobre 2018 n° 17-24.346 et du 24 janvier 2019 n° 17-31.531, les juges du fond sont cassés pour avoir prononcé l’inopposabilité à l’employeur d’une décision de prise en charge au motif que la maladie ne lui est pas imputable.

C’est ce que décide l’arrêt du 19 décembre 2013 N°12-19.995 publié au Bull Civ 2013, II n° 245. qui casse un arrêt ayant déclaré inopposable à l’employeur la prise en charge d’une maladie médicalement constatée à une date antérieure à l’embauche du salarié en relevant qu’il n’avait pas été constaté d’irrégularité de la procédure d’instruction conduite par la caisse à l’égard du dernier employeur de la victime.

L’arrêt indique, dans ce que l’on pourrait considérer comme un obiter dictum pédagogique, que la prise en charge d’une maladie au titre de la législation professionnelle ne prive pas l’employeur à laquelle elle est opposable de la possibilité, en démontrant qu’elle n’a pas été contractée à son service, d’en contester l’imputabilité si une faute inexcusable lui est reprochée ou si les cotisations d’accident du travail afférente à cette maladie sont inscrites à son compte.

La solution retenue par l’arrêt de 2013 en ce qui concerne la charge de la preuve de l’absence d’imputabilité, qu’il fait supporter à l’employeur, est confirmée par un arrêt du 15 juin 2017 tandis que la solution qu’il retient en ce qui concerne la séparation nette des notions d’inopposabilité et d’imputabilité est confirmée par la décision de non admission et l’arrêt rendus le 15 février 2018 dont il résulte, dans les deux affaires, que l’absence alléguée d’exposition du salarié au risque chez l’employeur ne peut justifier que la décision de prise en charge lui soit déclarée inopposable.

En définitive, cette construction jurisprudentielle formalisée par cet arrêt de 2013 et par les arrêts intervenus dans son sillage apparaît cohérente, même si elle remet en cause certaines décisions antérieures faisant peser dans le contentieux de la faute inexcusable la charge de la preuve sur le salarié (arrêt du 8 novembre 2012 n° 11-20977 et arrêt du 20 décembre 2012 n° 11-26655) ou, semble-t-il, sur le juge (arrêts du 28 février 2002 N° 99-17201 publié au Bulletin Civil 2002, V, n° 81, du 10 mai 2012 n° 11-15406 et du 12 juillet 2012 n° 11-19.127).

Il convient d’en retenir que le caractère professionnel de l’affection tant dans le contentieux de l’opposabilité que dans celui de la faute inexcusable, de même que dans les rapports caisse-salarié, s’apprécie au regard de l’ensemble de l’activité professionnelle du salarié et non pas au regard de sa seule activité au service de l’employeur en cause, qu’il s’agisse de la durée minimale d’exposition éventuelle requise, du délai de prise en charge ou de la liste limitative des travaux, et que l’employeur peut, dans le contentieux de la faute inexcusable et en dehors de ce contentieux lorsqu’est en cause l’imputation à son compte des dépenses de la maladie, démontrer que la maladie ne lui est pas imputable soit en établissant qu’il n’a pas exposé au risque soit que le salarié a été exposé dans d’autres entreprises sans qu’il soit possible de déterminer celle dans laquelle il a contracté la maladie, justifiant ainsi une inscription des dépenses au compte spécial.

Cette construction jurisprudentielle a été totalement remise en cause par les deux arrêts de la 2ème Chambre Civile des 11 octobre 2018 n° 17-24.346 et du 24 janvier 2019 n° 17-31.531, analysés dans notre article du 26 février 2019, qui retiennent tous deux que l’absence d’imputabilité de la maladie à l’employeur justifie que la prise en charge de cette dernière lui soit déclarée inopposable, rompant ainsi totalement avec la jurisprudence antérieure.

Mais l’apport essentiel de cette nouvelle jurisprudence résulte indiscutablement de l’arrêt du 24 janvier 2019 qui prend le contre-pied de la définition de l’imputabilité qui prévalait communément jusqu’alors et qui était finalement la sœur jumelle de l’exposition au risque chez l’employeur en cause.

Aux termes de cet arrêt, il y a désormais imputabilité à un employeur déterminé lorsque la maladie revêt un caractère professionnel à l’égard de cet employeur.

Dans l’affaire tranchée par la Cour, il était constant que le salarié avait été exposé à l’amiante lors de son activité au service du dernier employeur, ce qui constituait l’imputabilité requise au regard de la jurisprudence traditionnelle en la matière.

Cependant, l’imputabilité de la maladie à cet employeur n’est pas retenue et ce au motif que la victime n’était plus exposée chez lui dans les conditions prévues au tableau 30 bis, les travaux effectués par elle ne ressortissant pas de la liste limitative des travaux prévue à ce tableau.

Comme nous l’indiquions dans l’article précité du 26 février 2019, cet arrêt rejoignait ainsi la solution retenue par la Cour de Cassation dans un arrêt jusqu’alors isolé du 12 mai 2011 dans lequel elle retenait que la condition tenant au délai de prise en charge, c’est à dire le délai séparant la date de fin d’exposition au risque de la date de première constatation médicale de la maladie, s’appréciait à l’égard de l’employeur actionné en reconnaissance de sa faute inexcusable et qu’il convenait donc de retenir la fin de l’exposition au risque chez cet employeur comme point de départ du délai, peu important que le salarié ait ensuite été exposé au risque chez un autre employeur.

Cette jurisprudence revenait en définitive dans les rapports caisse employeur et très certainement dans les rapports salarié employeur, sous couvert de la notion d’imputabilité, à substituer à l’appréciation du caractère professionnel de la maladie en fonction de l’activité professionnelle du salarié une appréciation fondée sur l’activité de ce dernier au service d’un employeur déterminé.

Les incidences pratiques d’une telle jurisprudence étaient bien évidemment considérables puisqu’elle entrainait l’absence d’imputabilité à cet employeur déterminé dans toutes les hypothèses où le caractère professionnel de la maladie ne serait pas établi à l’égard de l’employeur considéré, soit que la durée d’emploi du salarié chez ce dernier ne satisfasse pas la durée minimale prévue au tableau, soit que la condition tenant au délai de prise en charge ne soit pas satisfaite à l’égard de cet employeur soit que l’activité exercée au service de ce dernier par le salarié ne corresponde pas à l’une des activités prévues à la liste limitative du tableau.

S’agissant ainsi des maladies ressortissant par exemple du tableau 30 bis prévoyant une durée d’exposition minimale de 10 ans ou du tableau 30 qui prévoit pour un certain nombre de maladies qui y sont désignées une durée minimale allant de 2 à 5 ans ou des tableaux 97 et 98 qui prévoient une durée minimale d’exposition de 5 ans, on pouvait émettre l’hypothèse que cette nouvelle jurisprudence allait priver désormais les salariés n’ayant pas l’ancienneté requise par le tableau de toute possibilité d’obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de leur employeur, faute d’imputabilité ou plutôt de caractère professionnel de la maladie en ce qui les concerne et peu important que la durée d’emploi cumulée du salarié chez des employeurs successifs remplisse la durée minimale d’exposition requise.

Ce sont peut-être de telles perspectives et sans doute également les implications de l’arrêt du 24 janvier 2019 en ce qui concerne l’imputation des dépenses aux employeurs, qui ont amené la Cour de Cassation à effectuer avec l’arrêt du 20 juin 2019 n° 18-17.049 un spectaculaire revirement de jurisprudence quelques mois seulement après son arrêt du 24 janvier 2019 n° 17-31.531.

Le litige ayant donné lieu à cet arrêt précité du 20 juin 2019 portait sur une demande d’inopposabilité d’une décision de prise en charge d’une maladie 57 B à un employeur au service duquel le salarié avait travaillé du 18 janvier 2011 au 31 mars 2012 puis du 17 septembre au 9 novembre 2012 et qui soutenait que, compte tenu de la date de première constatation médicale de la maladie au 1er juillet 2012 alors que le salarié travaillait dans une autre entreprise, le délai de prise en charge de 14 jours prévu au tableau n’était pas satisfait en ce qui le concernait.

Par un jugement du 11 juillet 2006, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Strasbourg avait retenu le bien fondé de cette argumentation et déclaré la décision de la caisse inopposable à l’employeur en cause au motif que les conditions du tableau 57 B n’étaient pas remplies à l’égard de ce dernier.

Sur appel de la caisse, la Cour d’Appel de Metz, dans un arrêt du 13 mars 2013, relève qu’à la date du 1er juillet 2012 le salarié était encore exposé chez un autre employeur aux risques prévus au tableau n° 57 et que la condition tenant au délai de prise en charge prévue au tableau était donc remplie et elle relève également qu’il n’était pas contesté que la procédure d’instruction avait été régulièrement diligentée par la caisse à l’encontre de l’employeur en cause en sa qualité de dernier employeur à la date de la déclaration de la maladie ce dont elle déduit, infirmant la décision en sens contraire des premiers juges, que la décision de prise en charge devait être déclaré opposable à ce dernier.

Ce raisonnement est approuvé par la Cour de Cassation qui relève que la Cour d’Appel a, au terme de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, parfaitement caractérisé cette opposabilité de la décision de prise en charge et elle rejette le pourvoi dirigé de ce chef contre cet arrêt.

La Cour avait également à trancher une toute autre problématique que celle tirée des conditions d’appréciation du caractère professionnel de la maladie et qui portait sur la demande de l’employeur en retrait de son compte employeur des dépenses de la maladie litigieuse et subsidiairement en inscription de ces dépenses au compte spécial.

L’employeur avait fait valoir dès le stade de la commission de recours amiable que la maladie ne pouvait être inscrite à son compte dès lors qu’il n’était pas le dernier employeur ayant exposé le salarié au risque à la date de première constatation médicale de la maladie et il soutenait que la juridiction du contentieux général était compétente pour se prononcer sur sa demande dès lors qu’elle avait été formulée avant toute notification par la CARSAT d’un taux de cotisation prenant en compte les dépenses afférentes à la maladie litigieuse.

La Cour d’Appel de Metz s’était déclarée incompétente pour connaître de cette demande et de celle relative à l’inscription au compte spécial au motif qu’elles étaient de la compétence exclusive de la CARSAT dont les décisions relèvent en cas de contestation du contentieux technique de la sécurité sociale.

L’arrêt est cassé de ce chef au visa des articles L142-1, L143-1 4°, L143-4 et D242-6-3 du Code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable au litige au motif que si la contestation des décisions des caisses régionales d’assurance maladie devenues les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) en matière de tarification d’accident du travail relève de la compétence exclusive des juridictions du contentieux technique, les litiges relatifs à l’inscription au compte spécial sont de la compétence des juridictions du contentieux général en l’absence de décision de la CARSAT, c’est à dire avant notification de son taux de cotisation à l’employeur et qu’en se déclarant incompétente pour connaître de la demande de l’employeur la Cour avait violé les textes susvisés.

L’apport principal de l’arrêt pour la pratique judiciaire n’est bien évidemment pas dans ce rappel d’une solution antérieure portant sur la compétence juridictionnelle en matière de demande d’inscription au compte spécial.

Il réside dans l’invalidation totale de la solution qui avait été retenue par l’arrêt du 24 janvier 2019 précité puisqu’il pose la règle selon laquelle il convient de se prononcer sur le caractère professionnel de la maladie au regard de l’activité professionnelle du salarié et non, comme le faisait ce dernier arrêt en se référant à la notion d’imputabilité, au regard de son activité au service de l’employeur concerné.

L’on peut donc considérer que sur ce point la jurisprudence antérieure a été restaurée de manière particulièrement claire et dans une formulation dépourvue de toute ambiguïté.

Par ailleurs, il n’est pas contestable que la nouvelle jurisprudence ne porte que sur les critères de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, qu’elle est donc étrangère à la problématique de l’intégration des demandes et moyens relatifs à l’imputabilité dans le contentieux de l’opposabilité et qu’elle n’invalide donc pas expressément la solution inaugurée sur ce point par les deux arrêts des 11 octobre 2018 n° 17-24.346 et du 24 janvier 2019.

En ce qui concerne maintenant l’affirmation de la compétence du juge du contentieux général pour connaître d’une demande d’inscription au compte spécial tant qu’une décision de la CARSAT n’est pas intervenue, l’on rappellera qu’elle est relativement ancienne puisqu’elle a été affirmée pour la première fois, avec la formulation reprise à l’identique par l’arrêt du 20 juin 2019, par un arrêt du 16 décembre 2011 n° de pourvoi 10-26.886 puis par un arrêt du 14 Mars 2013 n° de pourvoi 12-17.766.

L’on notera que l’arrêt du 16 décembre 2011 casse un arrêt de Cour d’Appel s’étant déclarée incompétente pour connaître d’une demande d’inscription au compte spécial au motif que l’appréciation de l’affectation des dépenses de la maladie professionnelle sur le compte spécial constitue une question relative à la tarification qui relève de la compétence des juridictions du contentieux technique et que l’arrêt du 14 mars 2013 confirme un arrêt de Cour d’Appel s’étant au contraire déclarée compétente pour connaître d’une telle demande au motif que “ la question relative au principe même de l’inscription de la maladie au compte spécial ne relève pas, contrairement à ce qu’ont pu considérer les premiers juges, du contentieux technique, mais bien du contentieux général de la sécurité sociale et par conséquent de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale ».

Force est cependant de constater que la jurisprudence de la Cour de Cassation laisse subsister un relative incertitude en ce qui concerne la répartition des compétences entre la juridiction du contentieux technique de la tarification et celle chargée du contentieux général de la sécurité sociale.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2019, la partie du litige faisant l’objet des présents développements portait en réalité à titre principal sur la demande de retrait du compte employeur et seulement à titre subsidiaire sur la demande d’inscription au compte spécial.

La Cour ne répond donc pas expressément à la question précise qui lui était posée et dont elle indique qu’elle était bien saisie puisqu’elle rappelle que les juges d’appel se sont déclarés incompétents pour connaître de l’imputation des coûts afférents à une maladie professionnelle « au compte employeur ou au compte spécial ».

Pour autant, la formulation retenue ne concerne que la demande d’inscription au compte spécial.

Mais puisque la Cour a décidé que les premiers juges avaient méconnu leur compétence en se déclarant incompétents pour connaître de la demande de non imputation au compte employeur et subsidiairement d’imputation au compte spécial des dépenses litigieuses, il n’est pas interdit de penser que pour la Cour les deux demandes principale et subsidiaire présentent un caractère indifférencié en ce qui concerne la compétence juridictionnelle et qu’elles suivent le même régime.

Il ne semble en outre y avoir aucune raison de prévoir des compétences juridictionnelles distinctes en matière de demande d’inscription de dépenses ou coûts moyens au compte spécial et inversement en matière d’exclusion de ces derniers du compte employeur, ces deux problématiques tendant aux mêmes fins, à savoir l’exclusion de dépenses de l’assiette de calcul du taux de cotisations des dépenses ou coûts moyens litigieux.

L’on peut ainsi raisonnablement penser qu’il résulte des trois arrêts précités que pour la Cour de Cassation la demande de retrait des coûts de la maladie du compte employeur est, comme celle d’inscription au compte spécial, de la compétence des juridictions du contentieux général sauf lorsqu’est intervenue une décision de la CARSAT portant sur un taux de cotisations affecté par les coûts litigieux, étant rappelé qu’en application de l’arrêt de la 1ère Chambre Civile du 17 juin 2003 ( publié au Bull Civ 2003 I n°143 p 112 pourvoi n°02 19733 ) la compétence de la juridiction s’apprécie lors de l’introduction de l’instance.

Cette solution apparaît conforme à la lettre des articles L142-1 et L143-1 du Code de la sécurité sociale dans leur rédaction antérieure à la loi du 18 novembre 2016 puis à la lettre des articles L142-1, L142-2 du même Code dans leur rédaction résultant de cette loi et de la loi du 27 janvier 2017, qui énoncent que les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale sont compétentes pour connaître des différends auxquels donnent lieu l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole qui ne relèvent pas par leur nature d’un autre contentieux, et qui prévoient notamment la compétence des juridictions du contentieux technique de la tarification pour connaître des litiges portant sur les décisions des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail et des caisses de mutualité sociale agricole concernant, en matière d’accident du travail agricole et non agricole, la fixation du taux de cotisation, l’octroi de ristournes, l’imposition de cotisations supplémentaires et, pour les accidents régis par le livre IV du Code de la sécurité sociale, la détermination de la contribution prévue à l’article L437-1 du présent Code.

Il apparaît en effet conforme à ces textes de retenir que la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale est seule compétente pour connaître d’une demande de retrait de dépenses ( et désormais des coûts moyens correspondants) du compte employeur ou d’une demande d’inscription au compte spécial puisque ces demandes relèvent de différents auxquels donnent lieu l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole » et que n’est pas en cause une des décisions limitativement énumérées par l’article L143-1 4° puis par l’article L142-4° précités.

A partir du moment en effet où la demande de retrait d’un coût du compte employeur ou d’inscription au compte spécial porte sur l’application des textes de sécurité sociale et n’est pas énumérée expressément dans les compétences de la juridiction de la tarification, il apparaît en effet logique de décider que la juridiction du contentieux général est compétente pour en connaître.

La Cour de Cassation ne s’est cependant pas arrêtée à ce stade du raisonnement et a estimé nécessaire de prévoir qu’à partir du moment où est intervenue une décision sur le taux de cotisations, la juridiction de la tarification doit se voir reconnaître compétence exclusive pour se prononcer sur les demandes l’inscription des dépenses au compte employeur ou au compte spécial puisque ces questions ont une incidence directe sur l’assiette de calcul du taux de cotisation et que le maintien de la compétence de la juridiction du contentieux général pour connaître des demandes précitées, lorsque le taux de cotisation est contesté, serait source d’importantes complications procédurales.

La compétence exclusive de la juridiction de la tarification lorsqu’est intervenue une décision sur le taux de cotisation ne s’accompagne cependant pas de sa plénitude de juridiction pour connaître de toutes les contestations pouvant s’élever à l’occasion de la contestation de ce taux.

L’on rappellera en effet qu’en application de l’article D242-6-4 alinéa 4 du Code de la sécurité sociale, il appartient aux CARSAT, pour déterminer la valeur du risque, de prendre en compte les dépenses qui leur sont communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l’application des décisions de justice ultérieures.

Il s’ensuit, en application de ce texte et d’une jurisprudence constante, que le juge de la tarification ne peut se prononcer sur le bien fondé des décisions de la caisse primaire transmettant aux Caisses régionales d’assurance maladie devenues CARSAT le montant des dépenses afférentes à l’AT/MP.

Ainsi, le juge de la tarification n’est pas compétent pour vérifier le caractère effectif des dépenses notifiées par la caisse primaire à la CRAM, comme le rappelle la Cour de Cassation dans un arrêt du 11 juillet 2005 (pourvoi n° 04-30.204) dans lequel elle approuve la CNITAAT d’avoir décidé que la CRAM était tenue d’inscrire sur le compte employeur de la société requérante toutes sommes notifiées par la CPAM (et dont il était contesté qu’elles aient été « versées »au salarié) sans avoir à se faire juge du bien fondé de celles-ci.

De même, si le juge de la tarification est bien compétent pour déterminer si l’imputation au compte employeur est bien intervenue en conformité avec la décision de la caisse primaire transmettant le montant des dépenses, il ne l’est pas pour se prononcer sur le taux d’incapacité retenu pour le calcul d’une rente et sur le montant de cette dernière, comme le retient la Cour de Cassation dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 22 janvier 2009 (n° de pourvoi 08-11132).

De même, la Cour de Cassation rappelle que le juge de la tarification ne peut se prononcer sur le bien fondé de l’attribution par une caisse primaire d’une rente d’AT/MP et d’indemnités journalières au salarié et approuve en conséquence un arrêt de la CNITAAT du chef de ses dispositions rejetant la demande de l’employeur de retrait de son compte du capital représentatif de la rente mais casse cet arrêt du chef de ses dispositions ordonnant à la Caisse Régionale de retirer du même compte des indemnités journalières prétendument indues ( arrêt du 2 avril 2009 n° de pourvoi 08-11811).

A l’issue de ces quelques développements, inspirés par l’arrêt du 20 juin 2019, sur les textes et la jurisprudence en matière de répartition des compétences entre la juridiction du contentieux général et celle de la tarification, le lecteur ne perdra pas de vue que l’apport essentiel de cet arrêt, au delà de cette dernière problématique technique, est constitué par le retour de la Cour de Cassation à sa conception traditionnelle des critères de reconnaissance de la maladie professionnelle.

Renaud Deloffre. Conseiller à la Chambre de la protection sociale de la Cour d'Appel d'Amiens.