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Le droit des marques en Turquie. Par Belgin Özdilmen Gürhan, Avocat.
Parution : vendredi 26 juillet 2019
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La Turquie aspirant depuis des décennies à devenir membre de l’Union Européenne, ses dispositions législatives dans le domaine des marques sont conformes aux exigences européennes.
La protection de la marque est conditionnée, comme dans de nombreux pays, par un dépôt auprès de l’autorité compétente.
Toutefois, si une marque ne remplit pas les critères subjectifs pour rester enregistrée, le titulaire de celle-ci peut perdre tous ses droits.

La Turquie qui occupe le deuxième rang après la Chine en matière de contrefaçon s’est pourtant dotée d’un système de protection des marques dès le 19e Siècle.

Alors même que la notion de droit de propriété industrielle commençait à voir le jour en Europe à cette époque avec la révolution industrielle, la Turquie, jadis l’Empire Ottoman, a dès 1871 adopté une ordonnance réglementant la notion de marque.
Il s’agit de l’« Alameti Farika Nizamnamesi ».

Cette ordonnance était inspirée par la Loi du 23 juin 1857, régissant alors le droit des marques en France. Elle a ensuite été codifiée avec la Loi relative aux Marques numérotée 551 et datée du 3 mars 1965.
Cette loi, ne répondant plus aux nouveaux besoins dans ce domaine, a été abrogée pour être remplacée par le Décret numéroté 556 en date du 24 juin 1995 (ci-après, le « Décret »), qui a réglementé pendant de longues années les droits relatifs aux marques. Enfin, plus récemment, a été adoptée la Loi numérotée 6769 datée du 10 janvier 2017 sur la Propriété Industrielle (ci-après, la « Loi ») qui a abrogé en grande partie le Décret précité.

Sur le plan international, la Turquie a adhéré en 1925 à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883.
Elle est également partie contractante de la Convention de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, en vigueur depuis le 12 mai 1976.
Ainsi, l’Office Turc des Brevets et des Marques (en Turc « Türk Patent ve Marka Kurumu » et ci-après « l’Office »), l’organisme public chargé de l’administration des droits de propriété industrielle, participe régulièrement aux programmes de coopération de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, mais aussi de l’Office Européen des Brevets et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (ci-après EUIPO).
Aussi, est-elle partie à dix sept Traités Internationaux relatifs aux droits de propriété intellectuelle.

Le gouvernement Turc mène, par ailleurs, une politique de soutien à l’innovation et à l’investissement qui repose pour la période 2015-2018 sur une « Stratégie nationale et un plan d’action en matière de droits de propriété intellectuelle ». En effet, en 2015 ont été adoptés un document stratégique exhaustif sur la propriété intellectuelle et un plan d’action qui prévoient quatre domaines prioritaires de développement : le renforcement des capacités, la commercialisation, la sensibilisation et l’élaboration d’une législation relative à la propriété intellectuelle.

L’article 1 de la Loi spécifie avoir pour objectif « la protection des droits relatifs aux marques […] afin de contribuer au développement social, économique et technologique ».
Les dispositions spécifiques au droit des marques sont prévues aux articles 4 à 32 de la Loi.
Avec cette Loi, de nombreuses modifications sont apportées au droit des marques de ce pays qui, par la même occasion, a codifié la jurisprudence existante en la matière.

La Turquie aspirant depuis des décennies à devenir membre de l’Union Européenne, ses dispositions législatives dans le domaine des marques sont conformes aux exigences européennes.

Ainsi, il s’avère intéressant d’exposer dans un premier temps la protection de la marque en Turquie (I), pour ensuite s’attarder sur la fin des droits assurés par la protection de la marque (II), tout en signalant les nouveautés apportées par la Loi.

I. La protection de la marque en Turquie.

La protection de la marque est conditionnée, comme dans de nombreux pays, par un dépôt auprès de l’autorité compétente, à savoir, en Turquie, l’Office Turc des Brevets et des Marques. Cette protection concerne un domaine dont les limites ont été plus ou moins élargies par la Loi (A).
Une fois déposée conformément aux conditions exigées par la Loi, le titulaire de la marque bénéficie de nombreux droits ainsi que d’actions destinées à les faire respecter (B).

A.Domaine de la protection

Sous la condition (i) qu’il puisse permettre de distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises et (ii) prendre place au registre des marques tenu par l’Office sous une forme permettant de distinguer de façon claire et nette le sujet de la protection, (iii) une marque peut être constituée de tout type de signe.
Ces signes sont notamment les mots, y compris les noms de personnes, les formes, les lettres, les nombres, les formes des produits ou de leur emballage et depuis la Loi, les couleurs et les sons. Avant cela, le signe pouvant être qualifié de marque devait pouvoir être représenté graphiquement. La nouvelle définition de la marque se trouvant dans la Loi qui, certes a été complétée, est moins exhaustive que celle existant en droit français. Ce manque d’exhaustivité ne signifie nullement que les signes pouvant constituer une marque sont moins nombreux.
Le Décret ainsi que la Loi ne font pas une énumération stricte des signes pouvant être qualifiés de marque. Il s’agit d’une liste indicative. Les sons, les mélodies, les phrases musicales, les dispositions, les combinaisons ou les nuances de couleurs ainsi que les odeurs pouvaient déjà, sous l’empire du Décret, être déposées en tant que marque. Par exemple, pour les sons, la retranscription de ceux-ci par des notes de musique ou un sonagramme permettaient leur représentation graphique et donc remplissaient les exigences du Décret.

Pour qu’un signe puisse être enregistré en tant que marque, il est essentiel que celui-ci présente un caractère distinctif. Un signe en est dépourvu et fera l’objet d’un refus d’enregistrement de la part de l’Office lorsqu’il désigne l’espèce, la variété, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ou les autres caractéristiques du bien ou de la prestation de service ou désigne exclusivement le produit ou la prestation de service ou en constitue l’élément principal.
De tels signes se voient opposer un motif absolu de refus d’enregistrement, leur enregistrement étant source de concurrence déloyale.
Les autres motifs absolus de refus prévus par la Loi sont :
- les signes identiques ou d’une ressemblance ne permettant pas de les distinguer d’une marque enregistrée antérieurement ou ayant fait l’objet d’une requête d’enregistrement auprès de l’Office pour des produits ou des services identiques ou semblables,
- les signes qui doivent être refusés en vertu de l’article 6bis de la Convention de Paris,
- les signes qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs,
- les signes qui sont de nature à tromper le public sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service,
- les signes comportant les valeurs ou les symboles religieux.
Concernant le signe identique ou d’une ressemblance ne permettant pas de le distinguer d’une marque enregistrée antérieurement ou ayant fait l’objet d’une requête d’enregistrement auprès de l’Office pour des produits ou des services identiques ou semblables, la Loi prévoit désormais la possibilité de l’enregistrer en tant que marque à la condition de soumettre à l’Office le consentement écrit avec authentification notariale du titulaire de la marque enregistrée antérieurement. La Loi vise également les motifs relatifs de refus, au titre desquels, nous pouvons citer (i) l’identité ou la ressemblance d’une marque avec une marque enregistrée antérieurement pour des produits ou des services identiques ou semblables de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public, y compris le risque d’association avec la marque antérieure, (ii) la marque dont l’enregistrement est requis en son propre nom par l’agent ou le représentant commercial du titulaire de la marque enregistrée antérieurement et qui est identique ou semblable au point de prêter à confusion, sans l’autorisation du titulaire de la marque antérieure et aucun motif valable, (iii) la demande d’enregistrement d’une marque faite de mauvaise foi. Dans le cas des motifs relatifs de refus, le refus est prononcé suite à l’objection du titulaire de la marque antérieure.

Une fois la marque enregistrée, le titulaire de celle-ci a la possibilité d’interdire aux tiers, en l’absence de son consentement :
- l’usage d’un signe identique avec la marque enregistrée pour des produits ou services entrant dans le cadre de la protection,
- l’usage d’un signe identique ou semblable à la marque enregistrée pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits et services pour lesquels la marque est enregistrée de nature à créer un risque de confusion par le public, y compris le risque d’association avec la marque antérieure,
- lorsque la marque enregistrée jouit d’une renommée en Turquie, l’usage sans juste motif d’un signe qui tirerait profit de ladite renommée, lui portant préjudice ou portant atteinte au caractère distinctif de la marque,

Concernant les signes remplissant les conditions énumérées ci-dessus, de les apposer sur le produit ou l’emballage, de mettre sur le marché les produits portant de tels signes, de faire une offre de ces produits, de les stocker, d’offrir ou de fournir des services sous de tels signes, d’importer ou d’exporter des produits sous de tels signes, les utiliser sur les documents d’affaires ou la publicité de l’entreprise, d’utiliser de tels signes en tant que nom de domaine, de code directif, de mots clés ou sous d’autres formes semblables sur internet, de les utiliser en tant que dénomination sociale ou nom commerciale, de les utiliser dans des publicités comparatives illicites.

Les droits énumérés ci-dessus sont intégralement identiques à ceux qui sont prévus aux alinéas 1, 2 et 3 de l’article 10 de la Directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (ci-après la « Directive »). La Loi permet au titulaire de la marque enregistrée d’intenter une action en justice pour l’obtention de dommages et intérêts à l’encontre des tiers qui portent atteinte aux droits qui lui sont conférés.

Par ailleurs, suite à son enregistrement, si une marque ne fait pas l’objet d’un usage sérieux en Turquie par son titulaire pour les produits et les services pour lesquels elle est enregistrée pendant une période de cinq ans et ce sans aucun motif valable ou si son usage est suspendu pendant une période ininterrompue de cinq ans, l’annulation de la marque est alors prononcée.

B. L’enregistrement de la marque et les droits résultant de cet enregistrement.

Pour être titulaire des droits prévus par la Loi sur une marque, il faut que celle-ci soit enregistrée.
L’enregistrement de la marque se fait auprès de l’Office dont la dénomination a changé avec la Loi. En effet, avant la Loi, cet office s’appelait l’Institut Turc des Brevets, cette ancienne dénomination ne reflétant pas réellement toutes ses fonctions. Cet Institut avait vu le jour avec le Décret-Loi daté du 24 juin 1994. Avant cette date, c’est le Ministère du Commerce et de l’Industrie qui était en charge des droits de propriété industrielle.

Une requête doit ainsi être déposée à l’Office afin qu’un signe puisse être enregistré en tant que marque. Elle peut être déposée soit par le requérant lui-même, soit par les agents de marque et brevet.

L’Office procède à l’examen des conditions de forme et des conditions de fond pour rendre sa décision. S’agissant des conditions de forme, lorsque le dépôt est réalisé, le requérant doit, conformément au principe de la spécialité de la marque, préciser les biens ou les services pour lesquels il souhaite l’enregistrement de la marque conformément à la classification des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques qui a été instituée en vertu d’un arrangement conclu lors de la Conférence diplomatique de Nice le 15 juin 1957 et révisé à plusieurs reprises et auquel la Turquie a décidé de participer en date du 12 juillet 1995.

Il faut également que la demande d’enregistrement contienne des informations sur l’identité du demandeur, une représentation de la marque, la liste des produits ou des services concernés et le justificatif de paiement des redevances. Si des lettres non issues de l’alphabet latin ont été utilisées dans la représentation de la marque, il faut également spécifier leur équivalent dans l’alphabet latin. De même, si la requête est faite dans le cadre du droit de priorité dont dispose le requérant, il doit également fournir le justificatif de paiement concernant l’utilisation de ce droit.

Le droit de priorité est réservé aux personnes ayant la nationalité des pays qui sont parties à la Convention de Paris et à l’Accord instituant l’Organisation Mondiale du Commerce ou, si elles n’ont pas la nationalité de ces pays, aux personnes qui y sont établies.
Ce droit permet à la personne qui a régulièrement fait une demande d’enregistrement de marque auprès de l’autorité compétente dans l’un des pays décrits ci-dessus ou dans un autre pays d’avoir la priorité pour le dépôt de la même marque en Turquie pendant un délai de six mois à partir de la date de dépôt initial. Il faut que cette demande soit faite pour les mêmes biens ou services pour pouvoir jouir du droit de priorité. L’Office exige la présentation d’un document de droit de priorité délivré par l’autorité compétente du pays dans lequel un dépôt antérieur a été effectué. La requête ainsi déposée auprès de l’Office à l’appui d’un droit de priorité entraine un refus d’enregistrement des marques déposées pendant l’intervalle qui sont identiques ou similaires à la marque du titulaire du droit de priorité et qui concernent des produits ou services identiques ou similaires.

La Loi comprend également des dispositions relatives à l’enregistrement international des marques dans le cadre du Protocole relatif à l’Arrangement de Madrid daté du 14 avril 1891 et modifié le 28 septembre 1979. Une demande internationale produira ainsi les mêmes effets qu’une demande faite directement auprès de l’Office.

L’Office qui a procédé à l’examen des conditions de forme accordera un délai supplémentaire de deux mois au requérant si les conditions de forme ne sont pas remplies. Une fois les conditions de forme remplies, l’Office s’attardera sur les conditions de fond. La requête tendant au dépôt d’une marque doit concerner un signe qui permette de distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises et prendre place au registre des marques, tenu par l’Office, sous une forme permettant de distinguer de façon claire et nette le sujet de la protection. Aussi, ce signe ne doit pas être constitutif d’un motif absolu de refus. Suite à cet examen, le refus peut être prononcé pour l’intégralité ou une partie des biens ou services pour lesquels la protection est requise.

Une fois toutes les conditions de forme et de fond remplies, la demande de dépôt d’une marque sera publiée dans le Bulletin Officiel des Marques (en Turc, « Resmi Marka Bülteni »). Cette publication permet aux personnes tierces d’émettre des observations et des objections relatives à la marque dont l’enregistrement est requis. Toutes personnes tierces peuvent ainsi émettre des observations selon lesquelles il n’est pas possible d’enregistrer la marque pour des motifs absolus de refus à l’exception de celui relatif à l’identité ou la similitude du signe ne permettant pas de le distinguer d’une marque enregistrée antérieurement ou ayant fait l’objet d’une requête d’enregistrement auprès de l’Office pour des produits ou des services identiques ou semblables. L’émission de telles observations ne leur octroie pas la qualité de partie à la procédure devant l’Office. Concernant l’opposition à l’enregistrement d’une marque, celle-ci peut être faite par écrit par le titulaire d’une marque antérieure dans un délai de deux mois suivant la date de publication de la demande d’enregistrement de la marque dans le Bulletin Officiel des Marques.
Une telle opposition doit bien évidemment être motivée. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, il est également requis du titulaire de la marque antérieure qui fait opposition d’apporter la preuve d’un usage sérieux de la marque en Turquie pendant la période de cinq ans qui précède la date de demande d’enregistrement de la marque qui fait l’objet de l’opposition. Si la preuve de l’usage sérieux de la marque n’a pu être apportée que pour une partie des produits ou des services qui font l’objet de la protection, l’opposition ne sera examinée que pour ces produits ou services utilisés. Suite à l’examen de l’opposition, l’Office pourra refuser d’enregistrer la marque pour une partie ou l’intégralité des produits ou des services pour lesquels la demande est faite ou rejeter l’opposition. La décision ainsi rendue par l’Office peut également être contestée par écrit dans un délai de deux mois suivant la signification de celle-ci. Suite à l’examen de la contestation faite en bonne et due forme, l’Office rendra sa décision définitive. Le constat qui peut être fait concernant la procédure d’opposition est sa conformité avec celle prévue aux articles 43 et 44 de la Directive.

La marque dont la demande d’enregistrement (i) remplit toutes les conditions de forme et de fond prévues par la Loi, (ii) est publiée dans le Bulletin Officiel des Marques, (iii) n’a fait l’objet d’aucune opposition ou les oppositions faites ont été rejetées par l’Office, est publiée dans le Bulletin Officiel des Marques. La marque fait alors l’objet d’une protection pour les biens ou services requis pendant un délai de dix ans à partir de la date de demande d’enregistrement faite auprès de l’Office. Ce délai de protection est renouvelable pour des périodes de dix ans, comme en France. La demande de renouvellement peut être faite que pour une partie des produits ou services jouissant de la protection.

Une fois la marque déposée, le titulaire de celle-ci dispose d’un monopole d’exploitation sur les produits et les services protégés par ladite marque. Celui-ci peut alors, s’il le souhaite, concéder une licence d’exploitation exclusive ou non exclusive sur la marque sur l’intégralité ou une partie des produits ou services jouissant de la protection. En cas d’atteinte au monopole ainsi constitué, le titulaire de la marque dispose d’un bouclier juridique efficace lui permettant de protéger sa marque. Il peut intenter aussi bien une action civile pour l’obtention de dommages et intérêts qu’une action pénale. Pour ce qui est des sanctions pénales prévues contres les personnes à l’origine de la fabrication, la vente, la distribution de produits contrefaits, celles-ci peuvent prendre la forme d’une peine d’emprisonnement allant de un an à trois ans et de 20.000 jours amendes maximum.

II. La perte du droit de marque.

L’enregistrement d’un signe en tant que marque auprès de l’Office ne signifie nullement que les tiers ne peuvent plus exercer aucun acte à son encontre. Si une marque ne remplit pas les critères subjectifs pour rester enregistrée, le titulaire de celle-ci peut perdre tous ses droits suite à une procédure de déchéance ou de nullité à son encontre (A). Les droits assurés par la protection de la marque peuvent également s’éteindre par la volonté du titulaire de celle-ci (B).

A. Déchéance et nullité de la marque.

Tout comme la Directive, la Loi consacre uniquement trois articles à la déchéance et à la nullité d’une marque.

Contrairement à ce qui est préconisé par la Directive, la procédure de déchéance existant en Turquie n’est pas de nature administrative. En effet, la requête de déchéance d’une marque n’est pas présentée à l’Office ; c’est le juge en propriété industrielle du lieu du domicile du titulaire de la marque dont la déchéance est demandée qui est compétent. En Turquie, la procédure de déchéance a donc une nature judiciaire. En tout état de cause, la Directive qui consacre une procédure administrative de déchéance pour les Etats membres de l’Union européenne n’empêche pas le recours judiciaire en la matière.

L’article 45, alinéa 1 de la Directive dispose à cet effet :

« Sans préjudice du droit des parties de former un recours devant les juridictions, les Etats membres prévoient une procédure administrative efficace et rapide devant leurs offices permettant de demander la déchéance ou la nullité d’une marque ».

Le droit français prévoit également – et ce avant la transposition de la nouvelle Directive – une procédure judiciaire pour la déchéance d’une marque, l’article L 714-5, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle disposant : « La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée (…) ».

L’action en justice tendant à l’obtention de la déchéance d’une marque peut être introduite par le procureur de la République, par les autorités administratives intéressées et par toute personne intéressée à l’encontre du ou des titulaire(s) de la marque concernée. Il n’est pas possible que l’Office soit partie à une telle procédure.

La déchéance d’une marque peut être requise en présence des motifs absolus de refus ou des motifs relatifs de refus d’enregistrement d’une marque de la part de l’Office. Néanmoins, si une marque a été enregistrée alors même (i) qu’elle ne présentait pas un caractère distinctif, (ii) qu’elle désignait l’espèce, la variété, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ou les autres caractéristiques du bien ou de la prestation de service ou exclusivement le produit ou la prestation de service ou en constituait l’élément principal, (iii) ou qu’elle est constituée de signes utilisés dans le domaine commercial par tout le monde ou servant à distinguer les membres d’une profession, d’un domaine artistique ou commercial et qu’elle acquière un caractère distinctif pour les produits ou les services pours lesquels elle a été enregistrée, il n’est plus possible de prononcer la déchéance d’une telle marque.
La Loi dispose également que le titulaire d’une marque antérieure ne peut obtenir la déchéance d’une marque postérieure dont il aurait dû avoir connaissance de l’utilisation s’il est resté silencieux pendant une période ininterrompue de cinq ans, dès lors que la marque postérieure n’a pas été enregistrée de mauvaise foi.

Aussi, si la déchéance est requise en raison de l’identité ou la similitude de la marque enregistrée pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits et services avec une marque antérieure de nature à créer un risque de confusion par le public, y compris le risque d’association avec la marque antérieure, il appartient au titulaire de la marque antérieure à l’origine de l’action en justice en déchéance de prouver qu’il a fait un usage sérieux de sa marque pour tous les produits ou services jouissant de la protection pendant une période ininterrompue de cinq ans précédant la date d’introduction de l’action en justice.

La déchéance peut être prononcée pour une partie seulement des produits ou des services qui jouissent de la protection.

Nous constatons que la procédure de déchéance prévue par le droit turc ne s’applique pas pour les mêmes motifs que ceux prévus par la Directive. En effet, les motifs de déchéance prévus par cette dernière sont l’absence d’usage sérieux d’une marque, la marque devenue générique ou l’indication trompeuse.

En Turquie, les motifs prévus par la Directive pour la déchéance sont ceux pouvant entrainer la nullité d’une marque. La procédure de nullité existant en droit turc est, pour le moment, également de nature judiciaire. La Loi prévoit une procédure de nullité de nature administrative. Toutefois, les dispositions relatives à la procédure administrative de nullité n’entreront en vigueur que sept ans après la publication de la Loi , soit le 10 janvier 2024. Une telle procédure assurera la rapidité et l’efficacité de celle-ci.
Il est possible pour toute personne intéressée de requérir la nullité d’une marque enregistrée :
- si la marque ne fait pas l’objet d’un usage sérieux en Turquie par son titulaire pour les produits et les services pour lesquels elle est enregistrée pendant une période de cinq ans et ce sans aucun motif valable ou si son usage est suspendu pendant une période ininterrompue de cinq ans,
- la marque est devenue, en raison de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée,
- la marque, suite à l’usage qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, induit en erreur le public tout particulièrement sur leur nature, leur qualité ou leur provenance géographique.
- La nullité peut également être prononcée pour une partie seulement des produits ou des services qui jouissent de la protection.

Lorsque les dispositions relatives à la procédure administrative de nullité entreront en vigueur, les procédures en cours devant les juridictions continueront devant celles-ci jusqu’au prononcé d’une décision définitive. Puis, la juridiction signifiera d’office la décision à l’Office.

Concernant la procédure de nullité prévue par la Loi, suite à la signification de l’action en nullité qui lui est faite, le titulaire de la marque disposera d’un délai d’un mois pour soumettre ses conclusions en réponse et les preuves à l’appui de ses arguments, ce délai pouvant être prolongé pour un mois en cas de demande en ce sens. Enfin, l’Office rendra sa décision par écrit.

La nullité prévue dans la Directive est prononcée dans les cas de déchéance prévus par le droit turc. On constate donc que le législateur turc a inversé les cas de déchéance et les cas de nullité en comparaison avec la Directive. Quelle peut-être la motivation du législateur turc ? Pour répondre à cette question, il s’avère intéressant de s’attarder sur les effets de la déchéance et de la nullité.

Si la déchéance d’une marque est prononcée, celle-ci a un effet rétroactif qui remonte à la date de demande d’enregistrement de la marque. Autrement dit, en cas de déchéance, la protection assurée par la Loi à la marque déchue sera considérée comme n’ayant jamais eu lieu. Alors que dans le cas de l’annulation d’une marque, les effets de la nullité remontent uniquement jusqu’à la date de l’action en nullité. Toutefois, il est possible, si une demande est faite en ce sens, que les effets de la nullité remontent à une date antérieure dès lors qu’il est prouvé que la situation nécessitant la nullité est née avant. Il s’agit des effets qui sont prévus par la Loi. Or, dans la Directive, les effets de la déchéance et de la nullité sont différents et une fois de plus inversés. En effet, selon l’article 47 de la Directive : « Une marque enregistrée est réputée n’avoir pas eu, à compter de la date de la demande en déchéance, les effets prévus dans la présente directive, dans la mesure où le titulaire est déclaré déchu de ses droits. Une date antérieure, à laquelle est survenu un motif de déchéance, peut être fixée dans la décision sur la demande en déchéance, sur requête d’une partie.
Une marque enregistrée est réputée n’avoir pas eu, dès l’origine, les effets prévus dans la présente directive, dans la mesure où elle a été déclarée nulle.
 »

Finalement, la déchéance en droit turc de la propriété industrielle correspond à la nullité européenne et la nullité prévue par la Loi n’est rien d’autres que la déchéance européenne.

B. Autres cas de perte du droit de marque.

La protection assurée par le dépôt d’une marque n’est pas illimitée dans le temps. En effet, comme il a déjà été précisé, la durée de la protection est de dix ans. Le titulaire de la marque qui souhaite continuer de jouir des droits résultant de l’enregistrement de la marque pour les biens ou services qui ont été spécifiés auprès de l’Office doit donc renouveler l’enregistrement. La demande de renouvellement doit être faite dans un délai de six mois avant la fin de la période de protection de dix ans. Si la demande de renouvellement n’est pas faite dans ce délai, la Loi offre toujours la possibilité de la faire dans un délai de six mois qui suit la fin du délai de protection sous la condition de faire un paiement supplémentaire. A défaut de renouvellement, la marque redevient disponible pour les tiers. Le titulaire de la marque perd donc tous les droits qui lui étaient assurés par la marque enregistrée.

Le renouvellement peut également être demandé uniquement pour une partie des biens ou services qui bénéficiaient de la protection. Dans ce cas là aussi, le titulaire de la marque perd ses droits pour les biens ou services qui ont été exclus du domaine du renouvellement.

Il est également possible pour l’auteur d’une demande d’enregistrement ou le titulaire d’une marque enregistrée de renoncer aux effets de cette demande ou de cet enregistrement pour tout ou partie des produits ou services auxquels s’applique la demande. Cette renonciation doit être portée à la connaissance de l’Office par écrit qui publie alors la fin de la protection dans le Bulletin Officiel des Marques. Toutefois, il n’est pas possible pour le titulaire d’une marque de renoncer à ses droits s’il a consenti une licence sur celle-ci sans l’autorisation du bénéficiaire de la licence.

Article publié dans la Revue Francophone de la Propriété Intellectuelle, juin 2019, numéro 8.

Belgin Özdilmen Gürhan Avocat