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Vers une harmonisation du droit du travail en droit administratif et droit privé, à propos de la Directive 199/70/CE du 28 juin 1999. Par Abdelnour Bouaddi, Avocat.
Parution : jeudi 26 septembre 2019
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La Cour Administrative d’Appel de Paris a, par arrêt en date du 26 juin 2019 considéré que le décret n° 95-569 du 6 mai 1995 relatif aux médecins, aux pharmaciens et aux chirurgiens-dentistes recrutés par les établissements publics santé était incompatible avec les objectifs assignés aux Etats Membres par la directive 1999/70/CE du Conseil de l’Union Européenne du 28 juin 1999, faute pour le décret de prévoir une durée maximale d’emploi en CDD et un nombre maximal de renouvellement.

Le décret n° 95-569 du 6 mai 1995 permet aux établissements publics de santé de recruter en contractuel des médecins, pharmaciens ou chirurgiens-dentistes titulaires de diplôme étranger (Hors CEE).

En l’espèce, Mme X a été engagée en qualité de praticien adjoint contractuel par un établissement de santé publique dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée pour une durée de trois ans lequel a été renouvelé deux fois par décision expresse et une fois tacitement.

A l’issue du denier CDD, et après 12 ans d’emploi, le CDD de Mme X n’a pas été renouvelé.

En droit du travail privé, notamment devant les juridictions prud’homales, la question n’aurait fait aucune difficulté, le CDD aurait été requalifié en CDI et le non-renouvellement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais en droit administratif, les autorités administratives opposaient systématiquement aux contractuels, notamment aux praticiens adjoints titulaire de diplômes étrangers, le régime dérogatoire du service public pour refuser la requalification du CDD en CDI.

C’est dans ces conditions que Mme X a contesté devant le tribunal administratif de Melun la décision de non-renouvellement dont elle a fait l’objet en 2015 en faisant notamment valoir que le décret n° 95-569 du 6 mai était incompatible avec les objectifs assignés aux États Membres par la directive 1999/70/CE du Conseil de l’Union Européenne du 28 juin 1999, faute pour le décret de prévoir une durée maximale d’emploi en CDD et un nombre maximal de renouvellement.

Elle sollicitait en conséquence la requalification de son CDD en CDI et sa réintégration.

Le tribunal administratif a considéré que, faute de dispositions légales expresses en ce sens, il ne pouvait faire droit à la demande de requalification du CDD en CDI de Mme X.

Néanmoins, le tribunal administratif annulait la décision de non-renouvellement en considérant qu’elle n’était pas motivée, faute d’invoquer l’intérêt du service ou le comportement de l’agent.

Le Tribunal administratif n’avait fait qu’appliquer une jurisprudence constante du Conseil d’État.

L’établissement de santé a cru bon d’interjeter appel de la décision du tribunal administratif de Melun, Mme X a alors formé appel incident en reprenant l’argumentation qu’elle avait développée par devant les premiers juges et notamment le caractère incompatible du décret du 6 mai 1995 avec la Directive de l’Union Européenne du 28 juin 1999.

En cause d’appel, et après que la Cour ait ordonné la réouverture des débats pour permettre à l’établissement public de santé de répondre à ce moyen auquel il n’avait pas répondu dans ses différents mémoires, l’établissement de santé faisait notamment valoir que le décret du 6 mai 1995 n’entrait pas dans le champ de la directive en ce qu’il répondait à un double objectif de service public : pallier le manque de personnel et assurer la garantie sanitaire.

Or, la Cour Administrative d’Appel de PARIS a considéré que :
- La transposition en droit interne des directives communautaires est une obligation de résultat du Traité instituant la Communauté Européenne.
- La transposition en droit interne des directives communautaires revêt, au vu de l’article 88-1 de la Constitution, le caractère d’une obligation constitutionnelle.

Il appartient, selon la Cour, au juge national, juge de droit commun de l’application communautaire, de garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligations à l’égard des autorités publiques.

Tout justiciable peut demander l’annulation des dispositions réglementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives par voie de l’action ou par voie de l’exception.

A noter qu’il est fait mention du juge national et non du juge administratif de sorte que ce moyen pourrait être invoqué devant les juridictions judiciaires.

Or, la Cour considérant que :
- La directive n° 1999/70/CE du Conseil de l’Union Européenne du 28 juin 1999 imposait aux Etat Membres de prévoir une durée maximale pour les CDD et un nombre maximal de renouvellement ;
- Le décret du 6 mai 1995 ne prévoyait ni de durée maximale ni un nombre maximal de renouvellement.

A justement annulé la décision de non-renouvellement de Mme X, requalifié son CDD en CDI et ordonné la réintégration avec effet rétroactif.

Cet arrêt, contre lequel aucun pourvoi n’a été formé, a un double intérêt :
- Il confirme la tendance d’une harmonisation du droit du travail en droit administratif et droit privé ;
- Le rôle accordé au juge national pour s’assurer de l’effectivité d’une directive européenne précise à qui il confère le caractère d’une obligation constitutionnelle.

Un tel arrêt ouvrirait la voie, si d ‘aventure il était confirmé par d’autres décisions, à des questions prioritaires de constitutionnalités dans l’hypothèse où des Directives européennes n’étaient pas transposées en droit national par les autorités publiques.

CAA PARIS. 26 juin 2019. N°17PA01226. Inédit au Recueil Lebon.

Abdelnour BOUADDI Avocat à la Cour