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Droit au renouvellement du bail commercial conclu sur un terrain à bâtir. Par Chloé Fischer, Avocat.
Parution : jeudi 13 février 2020
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Dans son arrêt du 23 janvier 2020, la Cour de cassation réaffirme le principe de l’application du statut des baux commerciaux en cas d’édification ultérieure d’un local sur un terrain tout en précisant qu’il n’existe pas, dans une telle hypothèse, « d’exception » à la règle subordonnant le droit au renouvellement du bail à l’immatriculation du preneur. [1]

Dans l’affaire portée devant la Cour de cassation, un bail avait été conclu au profit d’une société commerciale sur un terrain nu et cette dernière y avait édifié des constructions avec l’autorisation du bailleur.

Au terme du bail, la société bailleresse avait fait délivrer un congé au preneur avec refus de renouvellement sans indemnité d’éviction pour défaut d’immatriculation. La société preneuse, laquelle avait par la suite régularisé son immatriculation, avait assigné le bailleur en nullité du congé ainsi qu’en paiement d’une indemnité d’éviction.

La Cour d’appel de Colmar avait débouté le preneur de ses demandes.

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel et rejette le pourvoi formé par le preneur au motif que « le preneur à bail d’un terrain nu sur lequel sont édifiées les constructions ne peut bénéficier du droit au renouvellement du bail que confère le statut des baux commerciaux que s’il remplit les conditions exigées au premier alinéa de l’article L 145-1-I du code de commerce tenant à son immatriculation et à l’exploitation du fonds de commerce ».

Par cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme le principe de l’application du statut des baux commerciaux en cas d’édification ultérieure d’un local sur un terrain nu tout en précisant qu’il n’existe pas, dans une telle hypothèse, « d’exception » à la règle subordonnant le droit au renouvellement du bail à l’immatriculation du preneur.

- L’application du statut des baux commerciaux aux terrains nus ultérieurement bâtis :

Le statut protecteur des baux commerciaux s’applique impérativement lorsque les trois conditions suivantes sont réunies (article L 145-1 du code de commerce) :
1° une location (c’est-à-dire la jouissance d’un bien contre un loyer),
2° un local durable,
3° un fonds de commerce exploité par un commerçant ou un artisan immatriculé.
S’agissant de la condition relative au local, le code de commerce a expressément prévu qu’il pouvait s’agir d’un local « à édifier » sur un terrain nu et avec l’accord du propriétaire (L 145-1 2° du code de commerce).

Les commerçants ou artisans preneurs à bail de terrains nus ultérieurement bâtis bénéficient donc de l’application impérative du statut des baux commerciaux sous réserve qu’ils aient pris soin de recueillir l’autorisation expresse du bailleur relativement à l’édification des constructions. En effet, la Cour de cassation a d’ores et déjà écarté l’application du statut en l’absence d’un tel accord exprès du propriétaire (Cour de cassation. 3ème chambre civile.9 avril 2014, n° 13-10.725).

A contrario, le statut des baux commerciaux ne trouvera pas à s’appliquer en présence d’un bail relatif à un terrain nu sur lequel aucune construction pérenne et fixe n’est édifiée (Cour de cassation 3ème chambre civile, 1er octobre 2014, n° 13-16.806).

Enfin, il convient d’apporter une attention particulière à la rédaction des baux prévoyant la réalisation de constructions par le preneur exploitant d’un fonds de commerce afin d’éviter des difficultés de qualification du contrat entre bail commercial et bail à construction. Ainsi, dans une telle hypothèse, l’application du statut des baux commerciaux nécessite-t-elle que soit expressément spécifiée au contrat la commune intention des parties de se soumettre à ce régime (Cour de cassation 3ème chambre civile, 2 juillet 2008, n° 07-16.071). A défaut, le preneur risquera de voir le contrat qualifié de bail à construction et ne bénéficiera alors pas des garanties offertes par le statut des baux commerciaux notamment du droit au renouvellement de son bail.

- Perte du droit au renouvellement du bail commercial à défaut d’immatriculation du preneur :

Le droit au renouvellement du bail à son échéance (prévu par l’article L 145-15 du code de commerce) est une des garanties majeures offertes au preneur par le statut des baux commerciaux.

Toutefois, le bénéfice de cette « propriété commerciale » nécessite la réunion par le preneur de plusieurs conditions à savoir :
- l’exploitation effective d’un fonds de commerce au cours des 3 années précédant la date d’expiration du bail,
- l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers à la date du renouvellement.

Dans le cadre de l’affaire portée devant la Cour de Cassation, la société preneuse invoquait le fait que la disposition de l’article L 145-1 2° du code de commerce étendant le bénéfice du statut des baux commerciaux aux baux des terrains nus sur lesquels sont élevées des constructions constituait une situation « autonome » dans le cadre de laquelle la condition d’immatriculation du preneur lors du renouvellement ne trouvait pas à s’appliquer.

La Cour de cassation écarte cette argumentation en confirmant que l’article L 145-1 2° du code de commerce ne crée aucun régime « dérogatoire » permettant aux preneurs de terrains devant être bâtis de bénéficier du droit au renouvellement à défaut d’immatriculation.

La solution semble logique. Une position inverse aurait été difficilement justifiable : à quel titre le preneur à bail d’un local commercial construit après la signature du bail aurait-il bénéficié de plus de droits que son homologue dont le local serait existant à la date de conclusion du contrat ?

Dans le même sens, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser que l’article L. 145-1 2°du code de commerce relatif aux baux de terrains nus n’apportait aucune dérogation à la règle générale suivant laquelle ne bénéficient du droit au renouvellement que les seuls locaux nécessaires à l’exploitation du fonds (Cour de cassation, chambre commerciale. 4 novembre 1959).

La Cour de cassation rappelle par ailleurs qu’une régularisation de l’immatriculation postérieurement au renouvellement est inopérante. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante en la matière que cette condition d’immatriculation doit être appréciée à la date de délivrance du congé par le bailleur (Cour de cassation, 3ème chambre civile. 4 novembre 1998, n° 97-12.247) ou à celle de la demande de renouvellement formée par le preneur (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 25 octobre 1983, n° 81-14.926). Il n’est toutefois pas nécessaire que le locataire ait été immatriculé pendant toute la durée de l’exploitation, seule la date de renouvellement étant prise en compte dans l’appréciation de cette condition.

Il convient enfin de souligner que, pour bénéficier du droit au renouvellement prévu par le statut des baux commerciaux, le preneur doit non seulement être immatriculé mais l’être précisément (une erreur dans l’adresse rendant impossible l’identification du local dans lequel est exploité le fonds de commerce pouvant être assimilée à un défaut d’immatriculation).

Compte tenu de la gravité des conséquences induites par le défaut ou l’inexactitude d’immatriculation (absence de droit au renouvellement du bail et de ce fait éviction du local sans indemnité), il est par conséquent essentiel que les exploitants de fonds commerciaux et artisanaux en soient informés et puissent ainsi systématiquement vérifier la régularité de leur immatriculation à l’approche du terme de leur bail.

Chloé Fischer, Avocat Cabinet Adaltys

[1Cour de cassation. 3ème chambre civile. 23 janvier 2020. N° de pourvoi 19-11.215