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La réforme du Code pénal algérien et ses conséquences. Par Jordana Dray, Avocat.
Parution : vendredi 26 juin 2020
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La réforme du Code pénal algérien qui a eu lieu en pleine pandémie et dans une totale indifférence, confirme la volonté du pouvoir en place d’accentuer la répression contre les membres du Hirak et laisse place à une inquiétude certaine au regard des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales en Algérie.

Alors que le monde entier est paralysé par l’épidémie de Covid-19, l’Algérie vient de réaliser une réforme de son code pénal dans une quasi-indifférence, laissant place à l’inquiétude de nombreux observateurs attentifs aux Droits de l’Homme et la démocratie.

L’Assemblée Nationale puis le Conseil de la Nation (Sénat) algériens ont voté, mercredi 22 et jeudi 23 avril, les amendements du gouvernement pour « moraliser la vie publique ».

Les dispositions de cette réforme se déclinent en trois axes : l’incrimination de certains faits portant atteinte à la sécurité de l’Etat et à l’unité nationale, l’incrimination de certains faits susceptibles de porter atteinte à l’ordre et à la sécurité publics et l’incrimination de certaines pratiques déloyales [1].

Cependant, le vote de cette loi en pleine pandémie du virus de la Covid-19 révèle une atteinte caractérisée au principe de légalité et à la liberté d’expression, confirmant la fermeté du nouveau Gouvernement algérien et agitant le spectre d’une nouvelle dictature.

1. Le nouvel article 144 du Code pénal algérien.

Aux termes d’un nouvel article 144 du Code pénal, les autorités sécuritaires et judiciaires auront le droit d’interpeller et d’emprisonner des manifestants :
pour punir « d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d’une amende de 100 000 DA à 500 000 DA, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, dans l’intention de porter atteinte à leur honneur, à leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité, outrage dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire, un officier public, un commandant ou un agent de la force publique, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d’objet quelconque, soit par écrit ou dessin non rendu public ».

Cet article étend de manière considérable le champ réservé à la sanction des troubles à l’ordre publiques puisqu’il inclut :
- l’intention de porter atteinte à leur honneur, à leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité,
- l’outrage.

A l’encontre d’un magistrat, un fonctionnaire, un officier public, un commandant ou un agent de la force publique, dans l’exercice de leur fonction ou à l’occasion de cet exercice, sous des formes différentes :
- paroles,
- gestes,
- menaces,
- envoi ou remise d’objet quelconque,
- par écrit ou dessin non rendu public.

La liste des moyens utilisés pour définir l’atteinte témoigne d’une volonté caractérisée des autorités de durcir l’arsenal répressif, contrevenant aux principes même de la liberté d’expression et de la liberté de la Presse.

En effet, sa rédaction laisse à penser que le périmètre de qualification de l’infraction est suffisamment étendu pour pouvoir avec une certaine latitude, condamner et incarcérer toute personne qui exprimerait une critique ou une opposition.

« Nullum crimen, nulla poena sine lege » : il n’y a pas de crime, il n’y a pas de peine sans une loi qui les prévoie.

En effet selon les principes démocratiques hérités des Lumières et notamment renforcés par le Traité des délits et des peines de Beccaria, la base d’un système démocratique repose sur un pouvoir judiciaire où le juge n’est que « la bouche de la loi » et où la précision de la définition des infractions comme de leur sanction ne laisse pas de part à l’interprétation ou à l’incertitude : garanties du procès équitable et protection contre l’abus de pouvoir. Conformément au principe de légalité, le droit pénal ne peut pas réprimer un comportement sans que l’interdiction n’ait été préalablement et clairement établie par la loi.

Ce principe est rappelé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme signée et transposée par l’Algérie par l’article 11 de la Constitution algérienne de 1963.

Or, le champ de l’article 144 nouveau est par trop général, et absolu. Il s’inscrit dans la logique de fermeté choisie par les autorités algériennes concernant la sanction des manifestations du Hirak [2] et de tous les médias critiques envers le régime actuel.

D’après certains organismes de protection des droits de l’Homme et des libertés individuelles [3], plusieurs personnes ont été arrêtées après l’interruption du Hirak à partir du 17 mars 2020, alors que le pays en pleine pandémie de Covid-19 se préparait au confinement, soit même antérieurement à l’adoption du nouveau Code pénal.

Les récents événements en Algérie accroissent l’inquiétude de nombreux observateurs internationaux quant aux libertés fondamentales et à leurs garanties. Les faits dénoncés par de nombreuses ONG révèlent des arrestations massives de personnes ayant exprimé une opinion critique envers le régime. Leurs procès comportaient des chefs d’accusations issus du nouveau Code pénal alors même qu’il n’était pas encore adopté, bafouant l’équité et les droits de la défense, rappelant les périodes les plus sombres de l’histoire du pays.

Le site Algeria Watch précise en effet que :


- « si certains procès ont été ajournés pour cause d’épidémie, les personnes concernées, si elles sont en prison, sont maintenues en détention malgré le danger qu’elles encourent.
- Pour d’autres, aucune date de procès n’a été fixée et il est possible qu’elles doivent attendre longtemps avant sa programmation.
- Les procès qui ont été maintenus se sont déroulés à huis clos pour cause d’épidémie, ce qui est une entrave aux droits des prisonniers.
- Les demandes incessantes de libération des prisonniers d’opinion en raison des dangers de contamination en prison n’ont pas été entendues
 ».

Par ailleurs, Human Right Watch indique que les tribunaux ont condamné des personnalités du mouvement comme Karim Tabbou et Abdelouahab Farsaoui, à un an de prison chacun pour des chefs d’inculpation « vagues » comme « l’atteinte à l’unité nationale ». Le journaliste et activiste Khaled Drareni, qui couvrait les manifestations depuis le début, a été emprisonné le 27 mars et fait face aujourd’hui à des accusations similaires. Les autorités ont bloqué des sites web critiques et arrêté des individus qui avaient poursuivi le Hirak, pacifiquement, sur Internet [4].

2. La répression des « fake news ».

Dans cette même logique de répression, le nouveau Code pénal prévoit ainsi une peine d’un à trois ans de prison, et une amende pouvant aller jusqu’à 300 000 dinars algériens (2 160 euros) à l’encontre de « toute personne jugée coupable de propagation de fausses informations » La peine est doublée en cas de récidive.

Les peines peuvent être plus lourdes, de trois à cinq ans de prison « si ces actes sont commis durant les périodes de confinement sanitaire ou d’une catastrophe naturelle, biologique ou technologique ou de toute autre catastrophe ».

Ce qui est intéressant et largement dénoncé par le Syndicat de la magistrature algérien et les médias c’est l’absence totale de définition de ce qui est qualifié de « fausse information » tout comme l’absence de mention d’un seuil de diffusion. Or, Plusieurs personnes ont été arrêtées pour avoir diffusé des "fake news" avant même l’adoption de ces textes.

Début avril, trois journalistes d’un quotidien arabophone ont été placés sous contrôle judiciaire et inculpés "d’atteinte à l’unité nationale" et de "diffusion de publications pouvant porter atteinte à l’intérêt national" pour avoir publié une information sur des erreurs présumées liées au dépistage du coronavirus par l’Institut Pasteur [5].

Pour le procureur général de la cour d’Alger, Mourad Sid Ahmed, « désormais chacun est responsable devant son clavier ». « On doit être responsable de nos faits, mais cela n’a rien à voir avec la liberté. Au contraire, la personne qui ramène une vraie information, documentée et matérialisée, comment peut-on la réprimer ?

Démocratiquement, c’est impossible », a insisté le représentant du parquet algérois en défendant le projet de loi qui est passé devant les députés [6] - d’aucun apprécieront.

Pour rappel « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Le Pacte international relative aux droits civils et politiques de 1976 a été ratifié par l’Algérie le 16 mai 1989.

D’apres Issad Mabrouk, président du Syndicat national des magistrats : « Il aurait fallu à notre sens que cet amendement soit retardé et présenté à débat au sein de toute la société algérienne et notamment chez les spécialistes du droit. Même la manière dont le texte a été amendé est inopportune et pose problème à notre sens puisque les choses sont floues. La criminalisation des actes est imprécise : quant on parle de la sécurité nationale et sûreté publique, ce sont des notions qui peuvent recouvrir beaucoup de significations. En ce sens que ces notions ne sont pas clairement définies » [7].

Et le Président du syndicat national d’ajouter : « Compte tenu de l’imprécision dans la définition des concepts et des articles, il se pourrait que lors de l’application du texte de loi pour un simple acte, la personne peut prendre une condamnation. De même que pour un fait grave, elle peut échapper à la condamnation. Parce qu’en matière pénale, il est impératif que les crimes soient bien définis sous toutes leurs coutures » [8].

Il n’y a donc pas d’équivoque quant à la dérive dénoncée.

La réforme s’attaque également au financement intérieur et de l’étranger susceptible, selon le ministre de la Justice, « de porter préjudice à la sécurité de l’Etat ». Le nouvel article prévoit ainsi une peine de cinq à sept ans de prison contre les auteurs du délit, ainsi que la confiscation de leurs biens et moyens matériels. Il est interprété, par nombre d’observateurs, comme la volonté de tarir le financement des activités politiques - celles des partis d’opposition notamment -, et celui des ONG, régulièrement accusées d’ingérence.

Les propos du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer, vont dans ce sens. "Reporters sans frontières, bien que ce soit une ONG, est un élément de la chaîne d’expression du soft power français à travers le monde", écrit le responsable dans un communiqué du 23 avril, l’accusant de soutenir des journalistes "qui sont en réalité des activistes et des professionnels de la subversion, sont distingués en raison de leurs attaques acharnées contre les symboles de l’Etat algérie" [9].

Le même texte évoque une autre association, l’américaine National endowment for democracy (NED), "cheval de Troie par excellence des révolutions colorées dans le monde, Maghreb et monde arabe en première ligne", selon Belhimer [10].

La nouvelle disposition pénale sur les financements étrangers est adoptée alors que le ministère de la Communication entend se pencher sur les comptes des médias algériens. « Les financements étrangers de la presse nationale, tous supports confondus, sont strictement interdits, quelles que soient leur nature et provenance », insiste le ministre. A ce jour, le site Maghreb Emergent et la radio libre Radio M sont suspendus à titre conservatoire par le gouvernement, qui les accuse d’avoir bénéficié de fonds venus de l’étranger, ce que les responsables de ces publications démentent catégoriquement.

3. Les premières condamnations prononcées conformément à la loi nouvelle :

Une série de condamnation en application des nouvelles infractions « définies » par le Code pénal réformé sont dénoncées par des observateurs des Droits de l’Homme :

Une peine de 9 ans de prison ferme et un million de dinars d’amende a été requise, mercredi 20 mai, par le parquet du tribunal de Aïn Témouchent contre le détenu Hicham Sahraoui, qui selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), est accusé d’outrage à corps constitué, atteinte à la personne du président de la République et utilisation de la tragédie nationale dans le but d’atteinte aux institutions de la République. Le verdict est pour le mercredi 27 mai [11].

Une peine de 5 ans de prison ferme, a été requise jeudi 21 mai par le procureur du tribunal de Bordj Bou Arréridj, contre Ghessoul Chérif, accusé d’avoir reçu des financements de l’étranger à des fins de propagande politique, incitation à attroupement, détention de documents destinés pour la publication [12].

M. Aimed Meharbache, a été condamné à un an de prison ferme par le tribunal d’El Aouinat. Le jeune activiste était poursuivi pour outrage à corps constitué et outrage et atteinte à la personne du président de la République. Le procureur avait requis 3 ans de prison fermes.

À Alger, l’activiste Soheib Debaghi a été condamné en comparution immédiate à un an de prison ferme par le tribunal de Chéraga. Il est accusé d’incitation à attroupement, outrage à corps constitué et publications sur Facebook pouvant porter atteinte à l’intérêt national. Le procureur avait requis 18 mois de prisons ferme à son encontre, toujours selon le CNLD.

Le 18 mai dernier, Larbi Tahar et Boussif Mohamed Boudiaf, sont respectivement condamnés à : 18 mois de prison ferme et une amende de 100 000 Da, alors que le procureur avait requis 3 ans de prison ferme. Tahar Larbi est, lui, poursuivi pour « outrage à corps constitué, atteinte à la personne du président de la République et publications sur Facebook pouvant porter atteinte à l’intérêt national » et Boussif Mohamed Boudiaf est accusé d’« outrage à corps constitué et publication de fausses informations pouvant porter atteinte à la sécurité et l’ordre public » [13].

Il semblerait donc que le nouveau Gouvernement algérien utilise la crise sanitaire en cours pour réduire au silence toute opposition en mettant en œuvre un arsenal législatif extrêmement répressif, portant atteinte de manière inquiétante aux principes les plus fondamentaux d’une démocratie, que ce soit en matière de liberté d’expression, de procès équitable et de droits de la défense, tout comme de non rétroactivité des lois pénales plus sévères ou du principe de légalité pénale.

En effet, les récents événements confirment, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de solidarité, au moins une soixantaine de détenus d’opinion sont actuellement derrière les barreaux, la plupart pour des publications sur Facebook. Samedi 13 juin, trois militants du Hirak, Merzoug Touati, Yanis Adjila et Amar Beri, ont été incarcérés après avoir tenté de participer à un rassemblement de soutien aux prisonniers politiques à Béjaïa, au nord-est d’Alger. Ils sont notamment accusés d’« incitation à attroupement non armé » et « mise en danger de la vie d’autrui durant la période du confinement », selon Kaci Tansaout, porte-parole du CNLD.

Jordana Dray, Avocat au Barreau de Paris

[2Le Hirak8 (en arabe : الحراك, Mouvement) désigne une série de manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 22 février 2019 en Algérie pour protester dans un premier temps contre la candidature d’Abdelaziz
Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel, puis contre son projet, également contesté par l’armée, de se maintenir au pouvoir à l’issue de son quatrième mandat dans le cadre d'une transition et de la mise en œuvre de réformes. Par la suite, les protestataires réclament la mise en place d’une Deuxième République, et le départ des dignitaires du régime, notamment parce que ceux-ci organisent le prochain scrutin avec les candidatures de caciques du régime, ce qui mène à l’élection de l’ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, lui-même contesté par les manifestants.(source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hirak_(Alg%C3%A9rie)#cite_ref-16).

[3Human rights watch Algérie, Algeria watch.

[9Source Algéria watch

[10Source Algéria watch