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Responsabilité du vétérinaire : décision de la Cour d’appel de Rennes du 17 janvier 2020. Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.
Parution : mardi 15 décembre 2020
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La responsabilité du vétérinaire peut être engagée dans le cadre des soins qu’il prodigue à un cheval. Sauf exception, sa responsabilité s’apprécie en termes de perte de chance de soigner l’animal laquelle est appréciée par le Juge en fonction de l’état de santé du cheval avant l’intervention et de ses chances de survie. Le praticien a droit au paiement de ses honoraires, sauf s’il est démontré que les soins facturés étaient inutiles. (CA de Rennes, N°RG : 16/06450).

Si la responsabilité du Vétérinaire est aujourd’hui davantage recherchée dans le cadre de son obligation de conseil et d’information à l’occasion des visites d’achat, elle peut également l’être dans le cadre des soins prodigués par le praticien. Sauf cas exceptionnels tels que faute thérapeutique, le vétérinaire n’est tenu qu’à une obligation de moyens dans les soins qu’il administre.

Par ailleurs s’il s’agit d’un animal dont la santé est altérée lors de la consultation initiale du praticien, sa responsabilité ne pourra s’apprécier qu’en terme de perte de chance de garder le cheval en vie. En revanche la responsabilité du vétérinaire sera plus facilement admise et l’indemnisation pourra être totale, lorsqu’il s’agit d’interventions de convenances comme peut l’être une castration, ou encore un suivi gynécologique.

Sur les faits et la procédure.

La propriétaire d’une jument consulte en urgence une clinique vétérinaire après avoir constaté des symptômes inquiétant, tels qu’amaigrissement, abattement et hyperthermie. Malgré les soins de la clinique, son état ne s’améliore pas et la propriétaire décide un mois plus tard, de transférer sa jument dans une Ecole Vétérinaire laquelle diagnostique une pleurésie qui ne pourra être soignée entraînant l’euthanasie de la jument.

La propriétaire porte l’affaire en justice et fait désigner un Expert qui conclura à la responsabilité de la Clinique vétérinaire initiale. Sur la base du rapport d’expertise, le Tribunal puis la Cour d’appel entreront en voie de condamnation à l’encontre de la Clinique. Sur quels fondements et à hauteur de quels montants, c’est ce que nous vous proposons d’analyser.

I- Sur l’obligation de moyen du vétérinaire et l’opportunité d’une expertise vétérinaire.

A moins que le vétérinaire ne reconnaisse sa responsabilité dans les soins et le préjudice qui en résulte comme ce vétérinaire qui avait indiqué dans sa déclaration de sinistre « ne pas avoir employé tous les moyens nécessaires au diagnostic, ce qui avait retardé la prise en charge et hypothéqué les chances de guérison de la jument », il est fortement conseillé de solliciter une expertise vétérinaire judiciaire de nature à étayer ses prétentions et c’est ce choix qu’a fait la propriétaire de la jument décédée. En effet caractéristique d’une obligation de moyens, l’échec dans les soins administrés ne peut constituer ipso facto la faute du praticien.

Un plaideur l’a d’ailleurs appris à ses dépens, puisqu’il s’est vu débouter par la Cour d’appel d’Amiens qui a rappelé en des termes très nets :

« une faute ne peut se déduire de la seule absence de réussite de l’acte médical et de l’apparition d’un préjudice, lequel peut être en relation avec l’acte médical pratiqué, sans pour autant l’être avec une faute ».

La Cour d’appel de Paris a fait application des mêmes principes pour débouter le cocontractant d’un vétérinaire. A l’image de la motivation figurant dans l’arrêt commenté et selon une formule désormais établie :

« Il se forme entre un vétérinaire et son client un contrat comportant pour le praticien l’engagement de donner, moyennant des honoraires, des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science et la violation même involontaire de cette obligation peut être sanctionnée par une responsabilité contractuelle dans la mesure où elle procède d’une faute qu’il appartient de prouver… ».

La Cour d’appel de Paris ajoute que

« la faute prouvée ne peut se déduire du seul échec des soins, de la seule anormalité du dommage ou de sa gravité exceptionnelle ».

Le doute dans les causes du décès, profite au vétérinaire.

En l’espèce, l’Expert désigné par le Tribunal, va considérer que la faute du vétérinaire était bien constituée selon une argumentation qui parait quelque peu sévère au regard des motivations habituelles des juridictions. La Cour d’appel de Rennes retient que la SELARL avait manqué à ses obligations contractuelles sur la base de deux éléments relevés par l’Expert :

« en interrompant, au bout de seulement sept jours, un traitement antibiotique auquel, selon l’analyse bactériologique réalisée après autopsie, les germes à l’origine de l’infection pleurale étaient sensibles, et qui avait au demeurant provoqué une baisse de l’hyperthermie,
en réalisant une échographie le 26 mars 2011 avec un rasage du poil insuffisant et en faisant une mauvaise interprétation, sans accepter l’assistance d’un spécialiste, de l’examen radiologique du 31 mars 2011 où l’épanchement pleural était visible, ce qui n’a pas permis de poser un diagnostic de pleurésie plus précoce qui aurait pu justifier de pratiquer des examens complémentaires et de tenter une thoracocentèse
 ».

Cette motivation confirme que l’analyse était manifestement difficile puisque seul un spécialiste aurait pu diagnostiquer l’épanchement. S’agissant de l’interruption prématurée des antibiotiques peut-elle constituer à elle seule la faute de ce dernier alors que d’une part l’arrêt n’aurait eu lieu que durant 6 jours tandis d’autre part que l’Expert reconnait que l’antibiotique aurait dû être adapté puisqu’il entraînait des effets secondaires.

Selon l’arrêt lui-même, il est acquis que le vétérinaire pouvait seulement « suspecter une immono-dépression sous-jacente » … « l’épanchement pleural pouvait être à tout le moins suspecté à l’analyse de la radiographie du 31 mars 2011 ».

Si certes l’argumentation du conseil vétérinaire de la demanderesse ne laisse aucun doute sur la faute du vétérinaire puisqu’il relève « le caractère hiératique des traitements, ayant alterné des antibiothérapies trop courtes avec des traitements anti-inflammatoires et antiparasitaires, une mauvaise exécution de l’examen échographique, une mauvaise interprétation de l’examen radiologique et une absence d’examens complémentaires, alors pourtant qu’un vétérinaire de la SELARL avait, par courriel du 26 mars 2011, déjà évoqué possibilité d’une pleurésie », la Cour ne reprend pas à son compte l’ensemble de ces critiques.

Aussi nous persistons à considérer que soit la motivation est insuffisante, soit la décision est sensiblement sévère à l’égard du praticien, notamment si la on compare à un arrêt rendu par la Cour d’appel de Rouen lequel indique que les manquements du vétérinaire doivent révéler « une méconnaissance certaine de ses devoirs ».

Rappelons que la demande d’expertise sollicitée par le propriétaire n’est pas automatique et qu’il arrive que les magistrats déboutent la partie demanderesse considérant qu’elle ne produit pas d’éléments suffisamment probants justifiant cette mesure d’instruction. Il est donc conseillé de produire des éléments vétérinaires (par exemple l’avis d’un vétérinaire conseil) au soutien d’une demande d’expertise, dans son exploit introductif d’instance.

II- Sur l’existence d’un préjudice et son montant.

L’Expertise judiciaire est nécessaire pour établir la faute, mais aussi le lien de causalité entre la faute et le préjudice. A plusieurs reprises, les juridictions ont estimé que le préjudice du propriétaire du cheval était inexistant, soit parce que la preuve du lien de causalité n’était pas rapportée, soit parce qu’en toute hypothèse les chances de survie du cheval étaient inexistantes compte tenu de son état de santé.

Exemple de la première hypothèse, la Cour d’appel de Caen a débouté la propriétaire d’une jument décédée de coliques et infirmé le jugement qui avait retenu la faute du vétérinaire après avoir relevé que

« la SCEA est défaillante à rapporter la preuve d’un lien de causalité entre cette faute et le décès, en ce qu’elle n’établit pas que cette faute a eu pour conséquence une erreur de diagnostic ou qu’elle est à l’origine d’un retard pris quant à la détermination des soins à dispenser. Elle n’établit donc pas que la jument a perdu une chance de survie ».

Un arrêt de la CA de Bordeaux illustre la 2ème hypothèse, la Cour relevant que

« le Docteur B a certes commis une faute, mais les lésions d’uvéite secondaire à l’abcès profond étaient déjà bien installées et rebelles au traitement local. Les chances de réussite du traitement pour permettre au cheval de retrouver la vue de son œil étaient infinitésimales puisqu’aucun diagnostic précoce n’a eu lieu selon le rapport de l’expert judiciaire ».

Pour considérer que le lien de causalité est établi, la Cour d’appel de Rennes retient que :

« Les manquements de la SELARL sont en lien causal avec la perte certaine de l’éventualité favorable de la guérison de l’animal, mais, les premiers soins n’ayant été donnés, en urgence, qu’alors que la maladie était installée et que l’animal était déjà amaigri et affaibli, les chances de guérisons étaient limitées, de sorte que la perte de chance sera quantifiée à 45% ».

Ce faisant la Cour suit le raisonnement de l’Expert quant à l’évaluation de la perte de chance de survie, mais sauf à ce qu’il soit utilement contredit par le défendeur, il ne saurait en être autrement, s’agissant d’une appréciation technique.

Dans le jugement précité du TGI de Paris, malgré la reconnaissance de responsabilité du vétérinaire, l’Expert avait estimé la chance de survie de la jument décédée de pleuropneumonie à seulement 30%, confirmant que l’appréciation du lien de causalité tient compte de la gravité de la maladie et du stade d’intervention du praticien et pas nécessairement de la gravité du comportement du praticien.

Concernant la valeur de la jument décédée, la Cour s’écarte de l’évaluation du préjudice par l’Expert et considère que la valeur de la jument doit être fixée au montant de son prix d’achat 2 ans auparavant d’un montant de 1 450 euros. Ce faisant la Cour confirme une pratique courante des juridictions qui se réfèrent aux factures figurant dans le dossier, élément objectif, qui contraste avec des évaluations qui peuvent être vagues, voire parfois totalement irréalistes.

En revanche, contrairement au Juge de première instance, la Cour décide de faire droit à la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral au profit de la propriétaire pour un montant de 3 000 euros qui parait bien supérieur aux sommes généralement allouées. Considérant que l’indemnisation ne représente que 45% du dommage, le montant alloué de 3 000 euros suppose un préjudice moral de plus de 6 000 euros, soit largement plus que ce qui les sommes généralement allouées aux propriétaires, qui dépassent rarement les montants de 2 000 euros voire 3 000 euros.

L’indemnisation du préjudice moral est parfois même exclue aux propriétaires, faute de démontrer l’existence d’un lien affectif avec leur cheval, les juges considérant qu’il ne représente qu’une source de profits.

Le cas échéant, les propriétaires professionnels peuvent néanmoins dans certains cas arguer et démontrer l’existence d’un préjudice de notoriété causé à leur élevage et consécutif au décès du cheval.

III- Sur le sort des honoraires du praticien.

Insatisfaite des diligences du vétérinaire, la propriétaire critiquait également le jugement qui l’avait condamné à régler au vétérinaire le montant de ses honoraires.

Il est exact que le premier réflexe du propriétaire consiste à refuser le paiement des factures, craignant que ce paiement ne lui interdise par la suite de critiquer la qualité ou la pertinence des actes vétérinaires. Déterminer si le praticien a droit à une rémunération malgré sa faute, dépendra des soins réalisés et de leur rapport avec la pathologie du cheval. Si le vétérinaire a exposé des frais inutiles, ses honoraires peuvent éventuellement être réduits ; de même les magistrats peuvent juger que les soins consécutifs à un comportement fautif de sa part n’ont pas à être rémunérés par le cocontractant.

En l’espèce, la Cour d’appel confirme le jugement ayant condamné la propriétaire à payer l’intégralité des honoraires du praticien, en considérant

« qu’il n’est pas suffisamment démontré que ce qui a été fait et facturé n’aurait pas dû l’être ».

Cette condamnation de la propriétaire est d’autant plus justifiée que parmi les factures dont le paiement était réclamé, figuraient des factures correspondant à d’autres chevaux qui avaient été soignés par la clinique et qui n’avaient donc rien à voir avec le litige.

C’est donc à juste titre que la propriétaire a été condamnée au paiement des trois factures pour un montant total de 2 150 euros. Dans le même sens, on peut citer la décision rendue par le TGI de Senlis, lequel a considéré que le vétérinaire était fautif dans le cadre de la castration et des soins postérieurs à celle-ci, mais a néanmoins condamné la propriétaire du cheval au paiement de l’intégralité des honoraires du praticien.

Le vétérinaire peut donc maintenir sa réclamation financière qui pourra être admise, même en présence d’une responsabilité de sa part dans le cadre des soins.

Quant au propriétaire, il peut parfaitement régler les honoraires du praticien tout en formulant toutes protestations et réserves sur la qualité et l’opportunité des soins administrés et du bien-fondé des factures.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin et de la commission droit de l'animal