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Agression, accident médiatisé : manque-t-il un poste de préjudice à la Nomenclature Dintilhac ? Par Hadrien Muller, Avocat.
Parution : jeudi 18 février 2021
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C’est loin d’être la première fois. Des images choquantes, une agression captée par la vidéosurveillance de rue et qui se retrouve sur Internet. L’agression du jeune Yuriy, par plusieurs personnes en janvier dans le 15e arrondissement de Paris, a été diffusée « par mégarde » sur les réseaux sociaux.
Cette médiatisation, tant pour la victime que pour les proches, devrait-elle susciter la création d’un poste de préjudice dans la nomenclature Dintilhac ?

A priori aucun poste de la nomenclature Dintilhac n’existe encore qui puisse couvrir ce préjudice.
Doit-on pour autant en oublier que la diffusion d’images douloureuses puisse être traumatisante pour une victime de dommage corporel comme pour ses proches ?

La question est de nouveau soulevée par le cas de cet adolescent agressé à Paris, et dont la vidéo de l’agression violente a « fuité ». Ces images très dures ont non seulement été commentées dans les médias mais aussi – et surtout – diffusées sur Twitter et tous les autres réseaux sociaux. Une diffusion « sauvage » dont on sait déjà qu’elle échappe désormais à tout contrôle. Impossible, en effet, de savoir qui a pu la télécharger, qui pourrait s’en servir, etc.

Ce n’est évidemment pas la première fois qu’une scène d’agression ou d’accident entraînant des dommages corporels des victimes est diffusée. Il est même courant de voir les images de faits extraordinaires comme un train déraillé, une scène de carambolage, une carcasse d’avion ou, plus récemment, d’agression, dans les médias traditionnels. J’entends par là les journaux, radios et chaînes de télévision (information). Or, s’il pouvait déjà être pénible pour une victime et ses proches de visionner ces images, il l’est sans doute d’autant plus qu’aujourd’hui, ce type de matière audiovisuelle circule bien plus encore sur Internet. Les images y sont visionnées des centaines voire des milliers de fois, commentées, partagées...

Entre l’équipement de chacun en appareils photos portables (téléphone ou appareil photo), la présence de caméras de surveillance qui se généralise et la présence éventuelle de médias sur un lieu donné, les sources d’images se multiplient. Et leur diffusion avec elles.

S’il n’est en aucun cas question de brider la liberté de la presse, il peut être intéressant de réfléchir à indemniser les victimes pour le préjudice que peuvent entraîner ces images. Il s’agirait d’un préjudice de médiatisation qui, comme pour les divers postes de préjudices de la liste Dintilhac, prévoirait l’indemnisation d’une victime et/ou de ses proches. Ces derniers peuvent déjà être indemnisés lorsqu’ils subissent un préjudice moral d’affection lié au décès de la victime ou à sa situation de handicap, un préjudice sexuel, ou un préjudice économique.

La victime et ses proches dont l’agression a été filmée et diffusée de façon virale sur internet ne subissent-il pas un préjudice spécifique ?

Le montant de l’indemnisation du préjudice de médiatisation pourrait s’évaluer autour de diverses variables. La gravité du dommage serait bien entendu le point majeur. On pourrait ensuite évaluer l’atteinte à la vie privée de la victime et/ou de ses proches, coter l’importance de la diffusion (200 vues sur Internet ou deux millions), ou encore l’intensité des images. Une photo prise après un déraillement de train n’aura sans doute pas le même impact qu’une vidéo montrant avec force détails l’agression d’une personne.

Je peux déjà imaginer un contre-argument que présenterait le régleur à certains cas de médiatisation. Ces cas où la victime, pour une raison ou une autre, se voit contrainte à médiatiser elle-même les images sur lesquelles elle subit un dommage corporel (en général, une agression). Il y a là souvent un but spécifique (alerter les médias, faire réagir pour pouvoir être indemnisée) qui fait alors partie de la stratégie de défense de la victime. Cela a pu se voir dans des cas de violences policières notamment, où, sans la diffusion des images, la victime aurait sans doute connu des difficultés à faire entendre sa plainte et reconnaître ses préjudices par la suite.
Or, bien qu’elle en soit alors à l’origine, la diffusion de ces images peut toujours s’avérer douloureuse pour la victime. Cela peut aussi affecter ses proches moralement.

Par conséquent on peut penser que la diffusion des images pourrait constituer un préjudice indemnisable, que la victime soit à l’origine de cette diffusion ou non, notamment si cette diffusion était nécessaire pour faire valoir ses droits.

Il y a là, il me semble, un sujet de débat actuel et qui ne devrait pas manquer de se poser dans les mois et les années à venir.

Hadrien Muller, Avocat au Barreau de Paris, Spécialisé en droit du dommage corporel.