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"Le Baiser" de Brancusi : quand le Conseil d’Etat relit le Code civil. Par Jean-Baptiste Schroeder, Avocat.
Parution : jeudi 8 juillet 2021
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Le groupe sculpté Le Baiser réalisé par Constantin Brancusi en 1909 et son socle formant une stèle constituent, avec la tombe, un immeuble par nature au sens du Code civil. L’État était donc en droit de le protéger au titre des monuments historiques sans recueillir l’accord de ses propriétaires.

L’importance de Brancusi (1876-1957) dans l’histoire de l’art contemporain n’est plus à démontrer. Son apport, posthume et involontaire, au droit de l’art se confirme.

On se souvient du litige retentissant qui avait opposé, il y a près d’un siècle, Constantin Brancusi aux douanes américaines à propos de l’importation de la sculpture « Oiseau dans l’espace  ». Abondamment commenté [1], ce procès avait constitué l’une des première reconnaissances judiciaires de l’art abstrait [2].

C’est une version du « Baiser » [3] qui est cette fois-ci au cœur d’un contentieux porté devant les juridictions administratives. Dans une décision rendue le 2 juillet dernier, le Conseil d’Etat vient de rejeter les demandes présentées par les héritiers ukrainiens d’une jeune femme décédée à Paris au début du siècle dernier, lesquels héritiers revendiquaient la possibilité de déplacer la sculpture ornant la tombe de leur arrière grande tante [4].

Une histoire romanesque.

A l’origine du contentieux, une histoire éminemment romanesque [5] : celle de Tania Rachewskaïa, née en Russie en 1887, apparentée peut-être à Tolstoï, qui avait émigré en France où elle poursuivait des études de médecine ; et qui s’était suicidée en décembre 1910, à l’âge de 23 ans, par amour, dit-on, pour son professeur et amant, le docteur roumain Salomon Marbais.

Inhumée au cimetière de Montparnasse dans une concession funéraire acquise à titre perpétuel par sa famille [6]. sa sépulture avait été ornée, à l’initiative de son amant, d’une sculpture dénommée Le Baiser réalisée par Constantin Brancusi en 1909.

Les démêlés juridiques de deux entrepreneurs audacieux confrontés à l’opposition de l’Etat.

Au début des années 2000, deux sociétés françaises opérant sur le marché de l’art s’intéressent à cette sculpture désormais estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros [7]. Ayant retrouvé les héritiers de la défunte, ils entreprennent d’accompagner ces derniers dans leur revendication de la sculpture.

Ces demandes se heurtent cependant à un refus systématique des pouvoirs publics [8] : au mois d’octobre 2006, le ministre de la culture rejette leur demande de délivrance d’un certificat de libre circulation de la sculpture présenté sur le fondement des articles L111-2 du Code du patrimoine et classe la sculpture parmi les trésors nationaux ; en mai 2010, le préfet de la région Ile-de-France décide que la conservation du groupe sculpté présente « au point de vue de l’histoire et de l’art un intérêt public en raison d’une part, de sa place essentielle dans l’œuvre de Brancusi et de sa qualité intrinsèque qui en fait une œuvre majeure, d’autre part, de son intégration à l’ensemble de la tombe avec son socle constituant la stèle funéraire portant l’épitaphe gravé et signé par Brancusi » et inscrit au titre des monuments historiques, la tombe de Tania Rachewskaïa, avec le groupe sculpté « Le Baiser » et son socle formant stèle ; aux mois de mars et juin 2016, le même préfet de la région Ile-de-France refuse de donner suite la demande d’autorisation de travaux présentée par les héritiers.

La valse-hésitation des juridictions administratives.

La position du Ministère avait dans un premier temps été confortée par le tribunal administratif [9] ; avant d’être remise en cause par la Cour administrative d’appel [10] ; dont l’arrêt vient d’être annulé par le Conseil d’Etat !

Par jugement du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris avait ainsi validé l’inscription du bien en cause ; et rejeté la demande d’autorisation de travaux présentée par les héritiers.

Saisie du recours formé par les héritiers, la Cour administrative d’appel de Paris avait au contraire jugé, dans son arrêt du 11 décembre 2020, que l’arrêté du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a entaché d’une erreur dans la qualification juridique des faits.

C’est cet arrêt qui vient à son tour d’être mis à néant par la Conseil d’Etat.

Les termes du débat.

La question posée au Conseil d’Etat était en substance de savoir si le groupe sculpté Le Baiser constitue un immeuble par nature (indissociable de la stèle et de la tombe) ou un immeuble par destination.

Le Code du patrimoine prévoit, en effet, deux procédures d’inscription différentes selon qu’elles s’appliquent à des biens immobiliers [11] ou à des biens mobiliers [12], cette dernière catégorie englobant les meubles proprement dits et les immeubles par destination de articles 524 [13] et 525 [14] du Code civil.

Lorsque le bien concerné constitue un bien meuble ou un immeuble par destination, la procédure d’inscription impose de recueillir l’accord du propriétaire. En cas de refus de celui-ci, l’Etat peut passer outre en procédant au classement de classement. Mais, dans ce dernier cas, il lui appartient d’indemniser le propriétaire si celui-ci en fait la demande [15].

Dans l’hypothèse où le bien est qualifié d’immeuble par nature, la procédure est donc plus simple à mettre en œuvre ; et surtout moins onéreuse pour la puissance publique.

On pressent l’intérêt qu’il pouvait y avoir pour un Etat, préoccupé d’efficacité mais ne disposant que de faibles moyens financiers, de privilégier une qualification plutôt qu’une autre [16].

Dans son jugement du 12 avril 2018, le tribunal administratif avait entériné la position de l’administration : reconnaissant certes que « le socle et la stèle de la tombe de Tania Rachewskaïa ne présentaient pas en tant que tel un intérêt patrimonial suffisant pour justifier leur inscription au titre des monuments historiques », il avait cependant estimé que ces éléments formaient « un tout avec la sculpture installée sur cette tombe, en tant que composante du monument funéraire » ; et en avait déduit que « leur inscription est nécessaire afin d’assurer la cohérence du dispositif de protection de cet immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques ».

Saisie d’un recours formé par les héritiers, la Cour administrative d’appel de Paris avait au contraire rappelé dans son arrêt du 11 décembre 2020, que « pour être inscrit au titre des monuments historiques en application de l’article L621-25 précité du Code du patrimoine, un bien mobilier doit avoir été conçu aux fins d’incorporation matérielle à cet immeuble, et y être incorporé au point qu’il ne puisse en être dissocié sans atteinte à l’ensemble immobilier lui-même ». Relevant en l’espèce, que la version du Baiser installé sur la tombe de Tania Rachewskaïa avait été sculptée par Brancusi en 1909, soit à une date antérieure au décès de cette dernière survenu le 5 décembre 1910, la Cour administrative d’appel de Paris en avait déduit que « la sculpture ne peut être regardée comme ayant été conçue à fin d’être incorporée à la sépulture formée par la tombe et la stèle de K…A…. » [17] ; et, partant,

« qu’en regardant le groupe sculpté « Le Baiser » comme un immeuble par nature et en l’inscrivant au titre des monuments historiques sur le fondement de l’article L621-25 précité du Code du patrimoine, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a entaché son arrêté d’une erreur dans la qualification juridique des faits ».

Sur pourvoi en cassation formé par l’Etat [18], le Conseil d’Etat juge, dans sa décision du 2 juillet 2021,

« qu’en se fondant, pour prendre l’arrêté attaqué, sur la circonstance que le groupe sculpté « Le Baiser » de Constantin Brancusi et son socle formant stèle constituait, avec la tombe, un immeuble par nature, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris n’a pas commis d’erreur dans la qualification juridique des faits ».

La Haute juridiction administrative relève en particulier [19] qu’

« il ressort des pièces du dossier que la volonté du père de la défunte, titulaire de la concession perpétuelle qui lui a été consentie au cimetière du Montparnasse par la Ville de Paris après le décès de Tania AC... en décembre 1910, a été d’ériger sur sa tombe un monument funéraire qui accueille « Le Baiser » de Constantin Brancusi, acquis auprès de l’artiste sur la recommandation de l’amant de sa fille disparue, en hommage à la jeune femme. C’est ainsi qu’il a fait réaliser par un marbrier, en pierre d’Euville tout comme l’œuvre, une stèle faisant socle, implantée sur la tombe, portant épitaphe et sur le lit d’attente de laquelle le groupe sculpté a été fixé et scellé en avril 1911. Dès lors, la sculpture « Le Baiser » de Constantin Brancusi qui surmonte la tombe de Tania AC... est un élément de cet édifice qui a perdu son individualité lorsqu’il a été incorporé au monument funéraire, sans qu’importe la circonstance ni que l’œuvre n’ait pas été réalisée à cette fin par Constantin Brancusi, ni qu’elle ait été implantée quelques semaines après le décès de la jeune femme ».

Portée de l’arrêt.

Ce faisant, le Conseil d’Etat retient une conception pour le moins compréhensive de la notion d’immeuble par nature ; qui tranche avec la jurisprudence rigoureuse qui prévalait jusqu’à présent.

Dans un arrêt Transurba rendu en 1999 [20], le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que les bas-reliefs du grand salon du château de la Roche-Guyon, réalisés en 1769 pour être intégrés dans le décor de cette pièce dont l’aménagement avait été terminé à cette date, présentaient le caractère d’immeubles par nature et non d’immeubles par destination au sens du Code civil et de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques.

Plus récemment, le Conseil d’Etat a réaffirmé cette position [21] à propos des panneaux de bois peint, décorés et conçus pour être incorporés au plafond d’un pavillon de jardin inscrit au titre des monuments historiques.

Dans cette perspective, il appartenait aux juges de vérifier que la sculpture avait bien été réalisée par Brancusi dans le but d’orner la tombe [22] ; sans pouvoir se contenter, comme l’a fait le Conseil d’Etat, de considérer que l’intention du père de la défunte avait été de réaliser une stèle tenant compte des caractéristiques que présentait la sculpture.

Il est à cet égard singulier que le Conseil d’Etat ne se soit pas prononcé sur la question du lien physique unissant la statue à la stèle. Sur ce point, la Cour administrative d’appel avait souligné qu’il n’était pas intangible ; et que la dépose de la statue pouvait être envisagée sans que cette intervention porte une atteinte excessive à l’intégrité de l’œuvre [23]. Le Conseil d’Etat semble avoir éludé ce point considéré par la jurisprudence traditionnelle comme un critère de la qualification d’immeuble par nature.

Fondée sur une interprétation renouvelée de la notion d’immeuble par nature, la décision prise par le Conseil d’Etat aurait à tout le moins mérité une motivation plus fournie que celle qui est proposée.

On peut donc imaginer que les héritiers ne soient tentés de poursuivre la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme pour demander la réparation de l’atteinte qui a été portée à leur droit de propriété [24].

Dans l’immédiat, souhaitons que la statue puisse être rapidement restaurée et de nouveau offerte à la contemplation des taphophiles amateurs d’art [25].

Jean-Baptiste Schroeder Avocat

[1Cf. Bernard Edelman, L’adieu aux arts. 1926 : l’affaire Brancusi, Aubier 2001 ; cf. également, Nathalie Heinich, C’est un oiseau§ Brancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l’art. In : Droit et société, n°34, 1996. Justice et Politique (I) pp. 649-672.

[2En octobre 1926, Oiseau dans l’espace et 19 autres sculptures de Brancuși arrivent à New York par bateau. En application du Tariff act en vigueur, les œuvres d’art ne sont pas sujets aux droits de douane. Mais les douaniers refusent d’admettre que l’objet de bronze effilé en est une ; et lui imposent donc le tarif douanier pour les objets en métal manufacturés. Marcel Duchamp, qui accompagne les sculptures depuis l’Europe, le photographe américain Edward Steichen, qui doit prendre possession de la sculpture après son exposition, et Brancuşi lui-même protestent. La Cour fera finalement droit aux arguments de Brancusi : « L’objet considéré (…) est symétrique et beau dans sa forme, et bien que l’on puisse avoir quelque difficulté à l’associer à un oiseau, il est néanmoins plaisant et très ornemental et, comme nous tenons la preuve que c’est la production originale d’un sculpteur professionnel et que c’est en fait une sculpture et une œuvre d’art selon les autorités auxquelles nous avons référé ci-avant, nous soutenons la réclamation et trouvons qu’il a le droit d’entrer sans payer de droits ».

[3Il existe une quarantaine de versions de cette sculpture. La sculpture litigieuse serait la troisième de la série.

[4Jean-Marc Pastor, « Le Baiser de Brancusi ne bougera pas », Dalloz actualités, 7 juillet 2021.

[5L’histoire a du reste inspiré un roman (Sophie Brocas, « Le baiser », Julliard 2019) narrant les pérégrinations d’une avocate engagée dans le combat de « rendre sa dignité à une femme libre, injustement mise au ban de la société ».

[6Située dans la section 22 de la division 22, à l’extrémité de l’angle nord de la partie du cimetière du Montparnasse.

[7En mai 2018, « La jeune fille sophistiquée », œuvre en bronze poli réalisée par Constantin Brancusi à Paris en 1932 a été vendue pour un montant de 71 millions de dollars chez Christie’s à New York. En 2017, une « Muse endormie » (1913) avait été adjugée pour une somme de 57,3 millions de dollars.

[8Jérôme Dupuis, « Brancusi, la suicidée, le baiser et les millions », l’Express, 5 janvier 2019 ; Rafael Pic, « Le Baiser de Brancusi enfin tranquille ? », Le Quotidien de l’Art, 24 octobre 2019.

[9Sur le jugement du 12 avril 2018 cf. Pierre Noual, « Immeuble par nature et inscription au titre des monuments historiques : chausse-trappe juridique pour Le Baiser de Brancusi ? », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 23, 11 Juin 2018, 2177. cf. également Laetitia Guilloteau (rapporteur public devant le Tribunal administratif de Paris), « La tombe, l’art, le droit », AJDA 2018. 1501.

[10Marc Baronnet (rapporteur public devant la Cour administrative d’appel de Paris), « Le Baiser de Brancusi, immeuble par nature ou par destination ? » AJDA 2021 p.856 ; cf. également Benjamin Defoort, « L’affaire du Baiser de Brancusi. Quand le juge administratif embrasse la classification civiliste des biens », Droit Administratif n° 5, Mai 2021, comm. 24 ; AJCT 2021. 252, obs. P. Noual ; Jean-Baptiste Schroeder, « Le baiser de Brancusi, chronique d’une tombe qui valait des millions », Journal Spécial des Sociétés du 9 janvier 2021, p 18 et s. (in numéro spécial conçu et coordonné par l’association Art et droit consacré à « L’œuvre d’art dans l’espace public ; le droit en embuscade »).

[11Article L621-25 du Code du patrimoine dans sa version applicable à la date de l’arrêté attaqué.

[12Article L622-20 du Code du patrimoine dans sa version applicable à la date de l’arrêté attaqué.

[13Article 524 du Code civil denier alinéa : « Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ».

[14Article 525 du Code civil : « Le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu’ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés.
Les glaces d’un appartement sont censées mises à perpétuelle demeure lorsque le parquet sur lequel elles sont attachées fait corps avec la boiserie. Il en est de même des tableaux et autres ornements. Quant aux statues, elles sont immeubles lorsqu’elles sont placées dans une niche pratiquée exprès pour les recevoir, encore qu’elles puissent être enlevées sans fracture ou détérioration
 ».

[15Article L622-4 du Code du patrimoine.

[16Cf. Pierre Noual, op. cit. : « Or, la stratégie de l’État en matière de patrimoine culturel, dont on ne sait d’ailleurs pas trop quelle est la politique, est critiquable car elle tente de jouer contre le temps, l’anémie du marché et la mise à l’épreuve du moral des particuliers. Le ministère gagnerait aujourd’hui à renouer un dialogue avec les particuliers, plutôt que de les stigmatiser, car dans un contexte de rigueur budgétaire, il est bien illusoire de croire que l’enrichissement du patrimoine culturel puisse se réaliser uniquement grâce à l’argent public ».

[17La CAA de Paris avait en outre relevé que la signature Brancusi et l’épitaphe en caractères slaves figurant sur la stèle n’avaient probablement pas été gravées par l’artiste lui-même mais par des employés du marbrier : les héritiers soulignaient en particulier que les dates de naissance et de décès de la défunte gravées en chiffres slaves étaient interverties et soutenaient que Constantin Brancusi n’aurait pu commettre cette erreur du fait de sa connaissance du vieux-slave.

[18Par un arrêt du 31 mars 2021 (n° 447968), le Conseil d’Etat avait suspendu l’exécution de l’arrêt de la CAA de Paris.

[19Considérant n°14.

[20CE 24 févr. 1999, n° 191317, Sté Transurba : « Considérant que […] la cour administrative d’appel de Paris a estimé que, d’une part, les bas-reliefs en cause, œuvre du sculpteur Y..., ayant été réalisés en 1769 pour être intégrés dans le décor du grand salon du château de la Roche-Guyon dont l’aménagement a été terminé à cette date, et, d’autre part, la partie des murs située au-dessus des portes d’accès à ce grand salon ayant été spécialement aménagée pour que les deux bas-reliefs y soient encastrés, ces bas-reliefs formaient avec l’ensemble du grand salon, auquel ils ont été, dès l’origine, intimement et spécialement incorporés, un tout indivisible ; qu’ils avaient, dès lors, le caractère d’immeubles par nature et bénéficiaient en conséquence du classement comme monument historique du château de la Roche-Guyon, opéré par un arrêté du 6 janvier 1943 ».

[21CE 28 novembre 2014, n°28-11-2014 « qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que les panneaux de bois peint comportant des décors épousaient parfaitement les formes spécifiques données à la couverture du pavillon constituée d’une voûte en arc de cloître, et avaient été spécialement conçus pour être incorporés au plafond ; qu’en en déduisant que ces panneaux avaient le caractère d’immeuble par nature, dès lors qu’ils ne pouvaient être séparés du plafond du pavillon sans porter atteinte à son intégrité, la cour a donné aux faits, qu’elle a souverainement appréciés, sans les dénaturer, une exacte qualification et n’a pas commis d’erreur de droit ». La jurisprudence judiciaire est d’ailleurs dans le même sens : cf. Civ. 1ère, 19 mars 1963, Sté Carlthian c/ Sté Eudoxia et a. qui juge que « mais attendu que les juges d’appel constatent que les boiseries litigieuses (formaient), avec l’ensemble meuble des constructions auxquelles elles ont été dès l’origine intimement et spécialement incorporées, un tout indivisible et ne sauraient être séparées du bâtiment dont s’agit sans porter atteinte à l’intégralité de celui-ci... ».

[22Cf. à cet égard les très pertinentes observations du Professeur Benjamin Defoort, op. cit. « le critère intentionnel exposé […] exige qu’un objet, pour être qualifié d’immeuble par nature, ait été conçu spécialement pour être intégré à un autre immeuble par nature. Partant, l’intention qui doit être recherchée est celle de Brancusi au moment de la réalisation de la sculpture, dans son atelier, et non celle poursuivie lors de la réalisation, après le suicide de Mme Rachewskaïa, de son monument funéraire. Par conséquent, que l’œuvre funéraire dans son ensemble (composée de la sculpture sur son socle formant stèle, gravé d’une épitaphe) ait été dès l’origine constituée dans le seul but d’orner la sépulture de la défunte ne fait évidemment aucun doute. Mais le fait que la stèle a été réalisée en vue de son installation sur la tombe, au regard des caractéristiques de la sculpture qu’il était alors - en 1911 - envisagé d’installer sur ladite stèle, ne permet en aucun cas d’inférer, en sens inverse, que la statue, aurait été réalisée - dès 1909 - aux fins d’installation sur la tombe ».

[23La Cour administrative d’appel ajoutant qu’il était indifférent que le descellement porte atteinte à la sépulture considérant que celle-ci « ne présente en elle-même aucun intérêt artistique suffisant pour en rendre désirable la préservation ».

[24L’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes
 ».

[25Victime de dégradations dues notamment à la pollution, la statue est actuellement recouverte d’un coffrage en bois. La mise en œuvre des travaux de restauration est actuellement bloquée par le contentieux en cours.