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Expulsion de squatteurs : quelles sont les règles applicables ? Par Nejma Labidi, Avocat.
Parution : jeudi 9 décembre 2021
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Chaque année, nombre de particuliers, mais aussi d’entreprises sont victimes du squat de leurs logements, mais aussi de leurs locaux professionnels ou de leurs propriétés.

De nombreuses dispositions et procédures sont prévues afin de lutter contre ce phénomène, pénales, civiles, ou administratives, et font l’objet de réformes régulières, sans que la situation ne soit aujourd’hui satisfaisante afin de permettre aux personnes victimes de ces situations de récupérer rapidement, et à moindres frais, les lieux occupés illégalement.

Confrontés à une telle situation, les justiciables pourront déposer plainte si la situation est constitutive d’une violation de domicile (1).

Les personnes lésées pourront aussi tenter une procédure administrative sur le fondement de l’article 38 de la loi DALO (2) ou engager une action civile pour obtenir une décision d’expulsion (3) qu’un huissier devra ensuite exécuter après avoir obtenu de la Préfecture qu’elle lui prête le concours de la force publique (4).

1. Les actions pénales : la violation du domicile ou le maintien dans le domicile d’autrui à la suite d’une introduction illicite.

L’article 226-4 du Code pénal réprime d’un an d’emprisonnement et d’une amende « l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » ainsi que le « maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction » illicite.

Ainsi, le Code pénal ne protège que le domicile, définit par le Code civil comme le « lieu où (tout français) a son principal établissement » [1]. La détermination du domicile sera laissée à l’appréciation des tribunaux d’après les circonstances particulières de chaque espèce et selon la nature du litige.

Pour étendre cette protection du domicile, bien que la loi pénale soit d’application stricte, la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 226-4 a toutefois interprété plus largement la notion de domicile pour le définir comme « le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » [2], qui doit constituer « la demeure d’un tiers » [3], ce qui suppose que l’occupation soit effective, que le lieu soit habitable, et que l’accès à ce dernier soit réglementé et subordonné à l’autorisation du propriétaire ou de l’exploitant.

Des jurisprudences ont ainsi tenté d’étendre la protection du domicile aux entreprises en estimant qu’« un local industriel ou commercial doit être assimilé au domicile d’un citoyen ou d’une personne juridique, l’accès pouvant en être réglementé et subordonné à l’autorisation du propriétaire ou de l’exploitant » [4].

Ainsi, ont pu être assimilés à des domiciles pour leur permettre de bénéficier de la protection de l’article 226-4 : une usine, une pièce servant de bureau de comptabilité, un cabinet dentaire, des bureaux exclusivement affectés à un usage professionnel, ou encore un centre d’essais automobiles dès lors que le terrain clos où circulaient des véhicules de la société dépendait d’un centre d’essais abritant en permanence les personnes chargées de le garder [5].

Par un arrêt ultérieur, un bloc opératoire n’a toutefois pas été considéré comme un domicile au motif « que le bloc opératoire d’un établissement de santé ne saurait constituer pour celui-ci un domicile au sens de l’article 226-4 du Code pénal » [6] la jurisprudence précédente semblant donc être remise en cause par cet arrêt ultérieur, mettant un terme à la jurisprudence extensive sur la notion de domicile des entreprises.

Toutefois, la jurisprudence fait sortir du champ de cette infraction l’introduction dans un domicile inoccupé entre deux locations, ou tout logement n’ayant pas été occupé par les adjudicataires d’une maison [7], ou encore les locaux des entreprises n’abritant pas des personnes en charge de le garder, la jurisprudence répétant avec force que ce texte n’a pas « pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation » [8].

Dès lors, ne sont pas protégés par ce texte les propriétés immobilières ou les locaux professionnels inoccupés ou n’abritant pas en permanence des personnes chargées de garder ces locaux, ni les résidences secondaires au sein desquelles les personnes n’ont pas leur principal établissement.

En outre, l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvre, menaces, voies de fait ou contrainte est une infraction instantanée, qui n’est flagrante, en tant que telle, que les quarante-huit premières heures de sa commission.

Au-delà, il reste l’infraction prévue par le second alinéa de l’article 224-6 du Code pénal de « maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa » infraction séparée de « l’introduction » par la loi la loi du 2015-714 du 14 juin 2015 [9] afin que, conformément à la volonté du législateur, à une circulaire [10] et à une réponse du Ministère de la justice [11], elle puisse être considérée par la jurisprudence comme une infraction continue pour permettre de diligenter une enquête de flagrance tant que le maintien dans les lieux persiste [12].

A ce jour, il n’existe toutefois, à notre connaissance, aucune condamnation prononcée au titre de l’infraction de « maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction » de sorte que nous ignorons si la jurisprudence considère, comme la circulaire ministérielle, cette infraction comme continue, puisqu’elle est toujours mise en lien avec l’infraction initiale d’« introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».

Les fonctionnaires de police, lorsque l’introduction a été perpétrée au-delà de 48H, délai issu de la pratique dans lequel on considère qu’une infraction a été commise, ou vient de se commettre, ou lorsqu’ils estiment que les lieux ne constituent pas le domicile de l’entreprise, ou de la personne, invitent bien souvent les propriétaires ou locataires lésés à engager une procédure civile, longue et coûteuse.

En dehors des infractions flagrantes, l’action des forces de police n’est pas efficace pour permettre aux justiciables lésés de récupérer leurs biens. Les personnes pourront toujours déposer plainte mais cette dernière ne sera pas suivie d’effet, ou alors bien longtemps après, sans que la condamnation des personnes auteurs d’introduction ou de maintien ne puisse valoir décision d’expulsion, puisqu’au-delà d’un certain temps, elles peuvent même s’estimer chez elles et revendiquer la protection du domicile des lieux qu’elles occupent illégalement jusqu’à l’exécution d’une décision d’expulsion.

Les personnes lésées pourront donc tenter une procédure administrative sur le fondement de l’article 38 de la loi dite « DALO ».

2. La procédure administrative de l’article 38 de la loi dite DALO.

L’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale prévoit :

« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé […]peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.
La décision de mise en demeure est prise par le préfet dans un délai de quarante-huit heures à compter de la réception de la demande. […] La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. […] Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement, sauf opposition de l’auteur de la demande dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure
 ».

Pour être mise en œuvre, cette disposition implique nécessairement qu’une infraction de violation de domicile soit constituée, et qu’une plainte ait été déposée.

La tentative d’englober d’autres situations que « l’introduction et de maintien dans le domicile » par la phrase « qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale », résultant de la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 [13] ne suffit toutefois pas à étendre le domaine la protection du domicile appliquée restrictivement par les juges, ce qui, en pratique, pourra conduire à des refus de plaintes si l’infraction de violation de domicile n’apparait pas établie, lorsque l’occupation illicite porte sur un autre lieu que le domicile, et ne permettra pas l’application de l’article 38 de la loi DALO.

Ce dispositif laisse toutefois en dehors de son champ d’application les propriétés immobilières, de façon générale, ainsi que les locaux des entreprises, qu’ils soient occupés, ou vides.

Ensuite, les Préfectures, saisies de telles demandes de leurs administrés, mettent rarement en œuvre l’article 38 puisqu’elles ont l’obligation, selon un instruction du Ministère de l’intérieur du 26 octobre 2012, d’informer les personnes sous le coup de l’expulsion de la possibilité de déposer un recours DALO en vue d’obtenir un relogement, d’accompagner les personnes vers le relogement, et, surtout, « de veiller à mettre en œuvre systématiquement le relogement effectif du ménage […] dans un délai tel qu’il intervienne avant la date à laquelle le concours de la force publique sera mis en œuvre », et peuvent toujours, en tout état de cause, refuser l’expulsion pour des considérations sociales liées à l’âge et à la situation financière et familiale de l’occupant.

3. L’obtention d’une décision d’expulsion par la voie civile.

L’expulsion illicite est plus lourdement punie que la violation de domicile, à hauteur de trois ans d’emprisonnement et d’une amende double.

Ainsi, si les personnes n’auraient pas été expulsées sans décision judiciaire par la Préfecture, ou les forces de l’ordre agissant en flagrance, les justiciables devront engager une procédure civile, qui sera souvent plus coûteuse, mais plus rapide et efficace.

L’atteinte au droit de propriété par voie de fait est constitutive d’un trouble manifeste pouvant justifier la saisine du juge des référés, même d’heure à heure, pour qu’il ordonne l’expulsion des personnes occupant illégalement les lieux, dont l’identité, si elle est inconnue, devra être constatée au préalable par un huissier de justice, ainsi que l’introduction illégale.

Si les lieux sont bâtis, et constituent une habitation, même s’il s’agit d’entrepôts industriels dès lors que des matelas ont été installés, le juge des contentieux de la protection sera compétent, à l’inverse, s’il s’agit d’immeubles non bâtis, ou non occupés à fin d’habitation, le Tribunal judiciaire sera compétent.

Si l’article 201 de loi ELAN du 23 novembre 2018 a inséré un second alinéa à l’article L412-1 prévoyant que le délai de deux mois pour expulser à compter du commandement « ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion […] constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrée par voie de fait », le Juge pourra toujours octroyer des délais renouvelables aux personnes pour quitter les lieux et pour allonger la durée à l’issue de laquelle l’expulsion peut avoir lieu après la délivrance du commandement de quitter les lieux [14], de sorte que rien n’est automatique, et qu’il convient d’inviter les plaideurs à demander une diminution de ce délai qui n’est pas supprimé automatiquement si la décision ne le prévoit pas, surtout que les juges ne « constatent » pas, mais ordonnent.

4. L’exécution de la décision d’expulsion et la trêve hivernale.

Une fois la décision d’expulsion obtenue, il incombe aux personnes lésées de faire exécuter la décision par l’huissier de justice, qui devra faire signifier la décision, puis délivrer un commandement de quitter les lieux laissant deux mois aux occupants pour les évacuer sauf si la décision judiciaire écourte ce délai. Passé ensuite le délai du commandement, l’huissier demandera à la Préfecture qu’elle lui accorde le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion, cette dernière disposant de deux mois pour répondre, le défaut de réponse étant considéré comme un refus par l’article R153-1 du Code des procédures civiles d’exécution.

Les Préfectures peuvent refuser le concours de la force publique pour des considérations sociales liées à l’âge et à la situation financière et familiale de l’occupant, ou dans l’attente du relogement des personnes dans la cadre d’une procédure DALO.

Les personnes lésées peuvent donc décider d’engager la responsabilité de l’Etat en raison du préjudice que leur cause cette situation.

En réalité, bien souvent, le concours de la force publique qu’acceptent de prêter les Préfets dépendent davantage des crédits d’indemnisation dont ils disposent pour indemniser les propriétaires lésés, que de la situation des personnes à reloger. Ainsi, si les crédits sont insuffisants, ils l’accorderont. A l’inverse, ils préféreront laisser les justiciables lésés engager une nouvelle procédure judiciaire en indemnisation contre l’Etat.

Au cours de la trêve hivernale, du 1er novembre au 31 mars, l’expulsion ne peut être mise en œuvre qu’en présence « d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voie de fait », ce qui laisse de côté les locaux des entreprises, ou tous les lieux qui ne constituent pas le domicile, c’est-à-dire l’établissement principal d’une personne.

Dès lors, une réforme législative visant à protéger les propriétés immobilières et à mieux repenser l’articulation de ces textes épars s’impose, la nécessité de pourvoir au relogement et à l’accompagnement social des plus faibles incombant à l’Etat, et non pas aux particuliers et aux entreprises.

Me Nejma Labidi Avocat au Barreau de Paris [->avocat@nejmalabidi.com] [->https://www.nejmalabidi.com]

[1Article 102 du Code civil : « Le domicile de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ».

[2Cass. Crim. 22 janvier 1997 n°95-81.186.

[3Crim 15 février 1955 Bull Crim. n°106 « La violation de domicile n’est constitué qu’autant qu’il y a introduction dans la demeure d’un tiers ».

[4Dijon 1er février 1951 ; Paris 19 février 1951.

[5Crim 23 mai 1995 n°94-81.141.

[6Crim. 27 novembre 1996, n°95-85.118 Publié au bulletin.

[7Crim 28 février 2001 Dr. pénal 2001.85 obs Véron.

[8Crim. 22 janvier 1997 n°95-81.186 précité.

[9Travaux parlementaires du 3 décembre 2014 de la proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.

[10Circulaire du 14 mai 1993.

[11Réponse du ministère de la justice à la question écrite n°01067 de Monsieur Jean-Marie Bockel, sénateur, publiée dans le JO du Sénat du 27/12/2012 p.3088.

[12Sous l’empire du texte dans sa rédaction antérieure, la Cour d’appel de Paris avait en effet considéré dans un arrêt du 22 février 1999 Juris-Data n°1999-020245 que la violation de domicile n’était pas une infraction continue mais qu’elle se commettait aussi bien lors de l’entrée que lors du maintien à chaque fois qu’il est fait usage de manœuvres, menaces, ou voie de fait pour y parvenir.

[13Article 73 de la loi n°2020-1525.

[14Article L412-2 et L412-3 du CPCE.