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Handicap : l’épreuve de la scolarisation et de la compensation AEEH. Par M. Kebir, Avocat.
Parution : lundi 24 janvier 2022
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Les protections juridiques inhérentes à l’handicap de l’enfant se heurtent, souvent, aux réalités pratiques.
Particulièrement, en matière de droits fondamentaux, force est de constater que le droit d’accès à l’éducation est loin d’être pleinement effectif. Souvent faute de structures adaptées, de moyens voire d’informations trop disparates. Ceci, en dépit de la signature, par la France, de la Convention Internationale relative aux Droits des Personnes Handicapées de 2007.

A cet égard, la Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances ainsi que la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la république du 8 juillet 2013 ont apporté un véritable souffle de renouveau relativement à la reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap.

Portant sur l’égalité des droits et des chances, elle confère le caractère obligatoire à la participation et la citoyenneté des enfants en situation de handicap. Par delà l’obligatoire scolarisation, celle-ci encadre le parcours de vie vers un futur emploi.

Concrètement, rappelons que la scolarisation de l’enfant porteur de handicap suit une démarche spécifique. Faisant intervenir un acteur incontournable : la MDPH [1]. Outre une aide humaine : l’AVS [2] et l’AESH [3], ainsi que l’élaboration du projet personnalisé de scolarisation, sous le contrôle de la CDAPH [4].

Droit à l’éducation, principe fondamental pouvant engager la responsabilité de l’Etat.

L’article L114 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par la loi du 11 février 2005, définit le handicap comme :

« Toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

Laquelle définition élargit la portée de la notion de handicap. D’où il s’infère plusieurs droits reconnus aux enfants en situation de handicap, dont le droit à l’éducation - droit fondamental garanti par le préambule de la Constitution - reprenant le Préambule de 1946 en son article 13 :

« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

Droit à l’éducation également consacré par l’article 2 du 1er Protocole de​​ la Convention Européenne des droits de l’homme de même que dans la déclaration des droits de l’enfant de 1959.

De surcroît, sur un plan pratique, en vertu de l’article L111-1 du Code de l’éducation :

« L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances. (...) Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté ».

En cela, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 8 avril 2009 [5], rappelle que les enfants en situation de handicap bénéficient d’un droit à l’éducation, que l’Etat doit assurer, en vertu d’une obligation de moyens. En cas de carence de l’Etat, sa responsabilité pour faute est susceptible d’être engagée, comme ce fut le cas dans sept sur huit jugements rendus par le TA de Paris le 15 juillet 2015, accordant à sept familles des dommages et intérêts [6].

Sur le plan procédural, le droit à l’éducation des enfants en situation de handicap pourrait faire l’objet d’un référé liberté - Ordonnance du Conseil d’Etat, du 15 décembre 2010 [7].

Néanmoins, ici, la condamnation de l’État suppose la démonstration de l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En effet, dans ce même arrêt, le Conseil d’Etat a estimé que la carence de l’Etat dans le remplacement d’une auxiliaire de vie scolaire ne peut être regardée comme une atteinte grave et manifestement illégale.

En ce sens, la décision du Tribunal administratif de Rennes du 30 juillet 2020 est édifiante : l’État a été condamné à verser 18 000 euros de dommages et intérêts à la famille d’un jeune porteur d’autisme n’ayant pas bénéficié de la prise en charge pluridisciplinaire ; à laquelle il avait droit [8].

Accessibilité et compensation : garde-fous de l’inclusion.

La Loi du 11 février 2015 précitée énonce deux principes directeurs concernant la scolarisation des enfants en situation de handicap : l’accessibilité et la compensation.

L’accessibilité se décline en plusieurs objectifs à remplir pour les autorités publiques, de sorte que chaque enfant ait une scolarité adaptée à son handicap. En clair, « l’accès à tout pour tous » [9].

L’établissement scolaire : priorité au milieu ordinaire.

But prioritaire de l’inclusion dès le jeune âge, l’accessibilité pour les enfants en situation de handicap se traduit par l’inscription dans l’établissement scolaire de référence - l’établissement scolaire ordinaire le plus proche du domicile, sauf décision contraire de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées [10].

De ce point de vue, tout indique que le milieu scolaire ordinaire doit être privilégié [11].

Lequel peut être assorti, le cas échéant, d’aménagements spécifiques [12].

A cet effet, une première évaluation de l’élève en situation scolaire est effectuée par l’équipe éducative, en application de l’article L112-2 Code de l’éducation. Toujours est-il, il est loisible aux parents de scolariser l’enfant en milieu ordinaire, public ou privé, ou à distance par le biais du Cned.

Accès aux locaux et matériels nécessaires pour la scolarisation.

L’accessibilité scolaire, pleine et entière, des enfants en situation de handicape procède d’une obligation de moyens incombant à l’Etat se doit. Il s’agit d’accompagner, aider les familles relativement aux matériels spécifiques, permettant l’épanouissement scolaire des enfants.

En effet, ces matériels sont souvent très onéreux. En ce sens, il importe de préciser que le Ministère de l’Éducation, aux fins de facilitation de l’inclusion des élèves ayant des besoins spécifiques, finance le prêt de ces outils pédagogiques, au travers des crédits inscrits au budget du ministère [13].

C’est la CDAPH [14] qui en décide de l’attribution devant, en outre, avoir un usage pédagogique (clavier braille, logiciels spéciaux…). Bien que l’Etat en reste propriétaire ; l’élève les conserve même en cas de changement de classe. L’utilisation au domicile de l’enfant est tout aussi autorisée [15].

Mise aux normes des bâtiments scolaires et des équipements culturels et sportifs.

À l’évidence, Il n’est pas aisé pour l’élève en situation de handicap de pouvoir accéder et se déplacer dans l’établissement scolaire, ainsi que profiter sans encombre des équipements sportifs et culturels. Cela constitue un premier frein à l’accessibilité, notamment pour les personnes à mobilité réduite (PMR).

Pour y remédier, l’ensemble des établissements scolaires doivent répondre aux normes handicap, instituées par la Loi du 11 février 2005, tout comme les ERP [16]. A ce titre, les cheminements intérieurs et extérieurs, l’entrée du bâtiment ainsi que les sanitaires nécessitent un accès pour tous.

Plan personnalisé de compensation (PPC) et Projet personnalisé de scolarisation (PPS).

Aux termes de l’article L114-1-1 du Code de l’action sociale et des familles :

« La personne handicapée a droit à compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie ».

Concrètement, la compensation est matérialisée moyennant un plan personnalisé de compensation (PPC) et d’un plan personnalisé de scolarisation (PPS).

Lorsque la demande de scolarisation est introduite auprès de la MDPH, un Plan personnel de compensation (PPC) est proposé. Plusieurs aides et droits sont envisagés :
- Allocation d’éducation pour enfant handicapé (AAEH) [17] : Article L541-1 Code de la sécurité sociale ;
- Prestation de compensation du Handicap (PCH), ouverte aux enfants et aux adolescents en situation de handicap : Articles L245-1 à L245-14 et R245-1 à R245-72 du Code de l’action sociale et des familles. Cette prestation est cumulable avec l’AAEH ;
- Carte mobilité inclusion : Article L241-3 Code de l’action sociale et des familles ;
- Transports spécialisés prévus par l’Article L242-11 Code de l’action sociale et des familles, concernant les frais de transport individuel des élèves handicapés vers les établissements scolaires.

Par ailleurs, du point de vue strictement scolaire, le projet personnalisé de scolarisation doit être élaboré, au bénéfice de chaque enfant en situation de handicap, par la MDPH ; en collaboration avec l’élève et sa famille, sous forme d’un document de synthèse. Lequel définit les besoins spécifiques des enfants en matière d’enseignement et d’accompagnement.

Procédant à une évaluation globale de la situation et des besoins de l’élève, le PPS définit les conditions de la scolarité tout en assurant la cohérence des accompagnements et des aides, conformément à l’article D351-5 Code de l’éducation :

« Un projet personnalisé de scolarisation définit et coordonne les modalités de déroulement de la scolarité et les actions pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales et paramédicales répondant aux besoins particuliers des élèves présentant un handicap ».

La mise en œuvre de ce document incombe au directeur d’école ou au chef d’établissement, avec le concours de l’enseignant référent de l’enfant. Mis à jour chaque année, le PPS accompagne l’enfant en situation de handicap tout au long de son parcours scolaire : déterminer au fur et à mesure les accompagnements nécessaires, les aménagements pédagogiques ainsi que le recours à une aide humaine.

Tel que mentionné ci-avant, les élèves en situation de handicap sont soumis à l’obligation scolaire, et inscrits dans l’établissement de référence, en milieu scolaire ordinaire. Or, il importe de distinguer inscription et affectation. En ce sens que l’élève en situation de handicap peut ne pas être scolarisé dans son établissement de référence - orientation de la CDAPH dans le cadre du PPS, eu égard à l’article D351-4 Code de l’éducation. Nonobstant cette dérogation, il reste inscrit dans l’établissement de référence dans le but de privilégier un retour dans le milieu ordinaire.

Scolarisation en milieu scolaire ordinaire, un droit fondamental.

Au regard des dispositions de la Loi de 2015 sus-rappelées, l’enfant est, de plein droit, scolarisé en milieu ordinaire. Il reste que, à titre exceptionnel, le parcours scolaire peut toutefois prendre deux formes :
- Scolarisation individuelle, dans son établissement de référence, assortie d’aménagements, consécutivement à la notification de la CDAPH. Ici, l’enfant peut bénéficier d’une AVS ou AESH, éventuellement dans le cadre du dispositif SESSAD ;
- Du reste, est envisageable la scolarisation collective dans des classes spécialisées, comme les CLIS (maternelle-primaire) et les ULIS (collège-lycée).

Si tel est le cas, l’enfant en situation de handicap peut bénéficier d’une aide humaine à la scolarisation individuelle ou mutualisée [18].

L’enseignant référent et l’équipe de suivi de scolarisation.

Figure de proue de l’inclusion scolaire, l’enseignant référent, intervenant en lien avec la MDPH, contribue à l’information des familles en vertu de sa fonction : interlocuteur des parents et des établissements scolaires. Par ailleurs, ceux-ci contribuent à l’évaluation des besoins de l’élève et à l’élaboration du PPS, avant que l’enseignant référent en assure le suivi en réunissant l’équipe de suivi de scolarisation. S’y ajoute l’élaboration du bilan annuel du parcours scolaire.

Ses missions sont régies par l’Article D351-12 du Code de l’éducation :

« Un enseignant titulaire de la fonction publique de l’Etat ou, dans l’enseignement privé sous contrat, un enseignant agréé ou contractuel détenteur du certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées (...) exerce les fonctions de référent auprès de chacun des élèves handicapés du département afin d’assurer, sur l’ensemble du parcours de formation, la permanence des relations avec l’élève, ses parents ou son représentant légal, s’il est mineur ».

L’équipe de suivi est, quant à elle, informée de la manière dont les mesures d’accompagnement sont décidées par la CDAPH, et vérifie leur conformité au PPS, conformément à l’article L112-2-1 du Code de l’éducation.

La RESS, animée par l’enseignant référent, est, en application de l’article D351-10 du même code, organisée au moins une fois par an. Au fond, cette réunion implique la participation des personnes mettant en œuvre le PPS : la famille de l’enfant, ses enseignants, les professionnels de santé, les services sociaux, et tout intervenant à la prise en charge de l’enfant.

Cette réunion veille au suivi et à l’évaluation du projet à travers : les aménagements pédagogiques mis en place, l’adaptation du parcours scolaire permettant à l’enfant de progresser à son rythme, l’organisation de l’emploi du temps de l’enfant, les moyens de transports empruntés, les obligations de prise en charge de l’enfant en dehors de l’établissement... Au cas de besoin, le PPS est susceptible de subir des aménagements lors de ces réunions d’évaluation des nécessités et moyens d’inclusion.

En dernière analyse, la scolarisation des enfants en situation de handicap, au-delà des obligations prescrites par la Loi de 2015 et la jurisprudence y afférente, à la charge des établissements scolaire, devrait être perçue, au titre de la solidarité nationale et du principe de fraternité à valeur constitutionnelle [19], comme accompagnement nécessaire de la personne vulnérable vers une autonomie véritable.

Ce chemin de vie, défi d’une vie, implique changement de paradigme, davantage d’égards et de tolérance, mutualisation des moyens et synergies entre les acteurs de l’inclusion.

Me. Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agrée, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Maison Départementale des Personnes Handicapées.

[2Auxiliaire de Vie Scolaire.

[3Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap.

[4Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées.

[5Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 08/04/2009, 311434, Publié au recueil Lebon.

[6Tribunal administratif Paris 15 juillet 2015 N°1416868/2-1 et N°1422407/2-1.

[7Conseil d’État, Juge des référés, 15/12/2010, 344729, Publié au recueil Lebon.

[8Tribunal administratif de Rennes 30 juillet 2020 N° 1801259.

[10Art L112-1 Code de l’Education.

[11Art D351-4 du même Code.

[12Circulaire n° 2006-126 du 17 août 2006

[14Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées.

[15Circulaire N°2001-061 du 5 avril 2001 https://www.education.gouv.fr/botexte/bo010412/MENE0100757C.htm.

[16Etablissement recevant du public.

[17Allocation d’éducation de l’enfant handicapé.

[18Art. L351-3 et D351-16-1 code précités.

[19Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018.