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Réflexions sur l’application du CRPA en matière de contrôle et de contentieux URSSAF. Par Nicolas Taquet et François Taquet, Avocats.
Parution : jeudi 1er septembre 2022
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« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu », Bertolt Brecht.
Le Code de la Sécurité Sociale (CSS) et le Code des Relations du Public avec l’Administration (CRPA) peuvent faire bon ménage. Mais le pire, c’est qu’un certain nombre de professionnels ne le savent pas !

En effet, les articles L100-3 ou L211-1 du CRPA confirment bien que les organismes de sécurité sociale constituent des « administrations » au sens du CRPA (Code des relations entre le public et l’administration) et que les dispositions de ce code leur sont applicables (avec certes, des exceptions). Il n’est donc pas inutile de faire un tour rapide sur ces dispositions du CRPA qui pourraient avoir un impact en matière de contrôle et de contentieux URSSAF.

1. L’utilisation d’algorithmes.

Le programme avait déjà été annoncé depuis bien longtemps afin de lutter contre la fraude sociale (terme pudique qui recouvre le travail dissimulé). Dans un article du journal « Les Echos » du 22 juillet 2019 [1], il avait été noté que les URSSAF disposaient de trois leviers pour lutter efficacement contre ledit travail dissimulé : le renforcement des équipes, la modernisation des outils informatiques, avec un recours accru au traitement massif de données pour savoir où trouver les fraudeurs, c’est à dire le « datamining » (ou des algorithmes statistiques brassant des millions de données puis définissent des profils d’entreprises à risque), et enfin, l’accès aux bases de données des autres administrations.

S’agissant, plus précisément des algorithmes, l’URSSAF Caisse Nationale a ainsi défini ses perspectives de contrôle :

« à la faveur des nouvelles solutions de stockage et de gestion des données, l’expérimentation du POC (Proof of concept) Big data LCTI a permis d’optimiser le traitement en masse des informations à des fins de gestion du risque et de ciblage. Un plan national datamining a été déployé sur l’ensemble des régions. Un bilan sera réalisé à partir des résultats des contrôles et permettra d’affiner les critères de risque automatisés, et d’optimiser le modèle prédictif en 2022 ».

Reste qu’il n’est pas inutile de s’interroger sur cette nouvelle pratique qui se développe de plus en plus au cours des vérifications qui ciblent le travail dissimulé. Or, le Code de la sécurité sociale est muet sur ce point.

Le droit en la matière est toutefois fixé par deux dispositions importantes du CRPA [2] :
- Suivant l’article L311-3-1 de ce code « (…) une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé » [3].
« Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande (…) » [4].
Il est donc clair à ce niveau que le cotisant doit être informé de toute décisions individuelle prise sur la base d’algorithmes ; qui plus est, les caractéristiques de la mise en œuvre doivent être indiquées par l’URSSAF si l’intéressé en fait la demande. Encore faut il logiquement que le cotisant ait été informé de cette faculté de demande.

- Plus largement, l’article L312-1-3 du code énonce que : « sous réserve des secrets protégés en application du 2° de l’article L311-5, les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L300-2, à l’exception des personnes morales dont le nombre d’agents ou de salariés est inférieur à un seuil fixé par décret, publient en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions lorsqu’ils fondent des décisions individuelles ». Le seuil a été fixé à 50 agents ou salariés.
On peut s’interroger sur les conséquences d’omission de ces mentions. On peut légitiment penser que la sanction doit être la nullité de la procédure menée [5].

Ces réflexions peuvent sans difficulté être étendues au cas du contrôle URSSAF. Avec toutefois une restriction de taille : il convient au cotisant d’apporter la preuve que dans le cadre de sa vérification, l’URSSAF a utilisé des algorithmes. Mais il est patent que l’URSSAF, dont la transparence ne constitue pas la principale vertu, risque très fort de rien dire en la matière…Dans ces conditions, comment le cotisant est-il être en mesure de vaincre ce silence ?

Certes, aux termes de l’article R243-59 III al 1 du Code de la sécurité sociale, l’URSSAF doit indiquer dans la lettre d’observations « le ou les documents consultés » ; toutefois, la méthode utilisée ne constitue pas un « document ». Certes également, le cotisant aura intérêt à solliciter le rapport de contrôle [6], si tant est que l’organisme consente à sa délivrance et qu’il comporte des mentions en la matière. Finalement, une ultime possibilité serait (en cas de probabilité dans l’utilisation de cette méthode) de l’indiquer dans la réponse aux observations, sachant qu’une telle mention nécessitera obligatoirement une réponse de l’organisme [7].

2. Le formalisme de la décision.

Le débat sur l’application du CRPA au contentieux de la sécurité sociale se cristallise depuis longtemps autour de l’application des anciennes dispositions de l’article 4 alinéa 2 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, aujourd’hui devenues article L212-1 alinéa 1 du code des relations entre le public et l’administration qui prévoient que : « toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ».

Soulignons d’abord que cette exigence d’identification de l’agent ne constitue que le pendant « décisionnel » du principe plus large, mentionné à l’article L111-2 du CRPA, en vertu duquel « toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées ». On notera également que la jurisprudence administrative interprète strictement cette obligation [8].

La Cour de cassation a rapidement pris position sur la question de l’opposabilité de l’article 4 alinéa 2 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 aux organismes de sécurité sociale et en particulier à la mise en demeure. Par un avis du 22 mars 2004, elle a sèchement rejeté l’argumentation au motif que « l’omission de ces mentions n’affecte pas la validité de la mise en demeure émise par un organisme social, dès lors que celle-ci précise la dénomination de celui-ci » [9]. Encore récemment, par trois arrêts du 1er juillet 2021 [10], la Cour de cassation a refusée de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la constitution de cette disposition telle qu’interprétée par sa jurisprudence constante.

La raison avancée est la suivante : la présence, sur la mise en demeure, de la simple dénomination de l’organisme social suffit à regarder cette mise en demeure comme régulière au regard des dispositions de l’article L212-1 du CRPA. Une autre raison parfois avancée par la Cour de cassation tient au fait que la loi n’impose pas ce formalisme à peine de nullité [11]. Une dernière raison pourrait tenir à la nature de ce document qui ne constitue qu’une « invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti » [12].

Cette position nous parait toutefois critiquable pour plusieurs raisons.

D’abord, car la position des juridictions administratives à l’égard du respect de cette disposition, et notamment de la première d’entre-elle, est aussi claire que brutale : pour le Conseil d’État, le respect de ces formalités constitue une condition de la légalité de l’acte.

Leur non-respect entraîne l’annulation de l’acte administratif déféré pour violation d’une formalité substantielle [13]. Dès lors, comment, dans un état de droit, justifier un tel écart d’interprétation d’une même disposition entre les cours suprêmes, qui plus est sur un point aussi fondamental ?

Ensuite, à notre sens, la dénomination de l’organisme social sur la mise en demeure ne répond en rien à une exigence légale. Elle est uniquement un gage de sérieux, de crédibilité et d’acceptabilité de la procédure par les cotisants. D’ailleurs de vastes campagnes de « phishing » (hameçonnage) ne sont-elles pas à l’œuvre ces dernières années, grâce à un formalisme et à l’utilisation frauduleuse d’un papier à entête empruntant la dénomination des organismes de sécurité sociale ?

Au contraire, l’exigence d’identification de l’auteur de l’acte répond à d’autres impératifs. En effet, le respect de cette règle ne relève en rien d’une pure position de forme. Derrière l’exigence de l’identification complète de l’auteur d’une décision se cache en réalité celle de sa compétence. Ce n’est qu’à condition de connaître l’identité de l’auteur de l’acte que son destinataire peut effectivement contrôler que celui-ci dispose bien de la compétence territoriale ou matérielle pour prendre la décision.

Preuve s’il en fallait une qu’il ne s’agit pas d’une pure position de formalisme : cette exigence est contrôlée par le juge administratif avec beaucoup de pragmatisme et son inobservation ne conduit pas systématiquement à l’annulation de l’acte. Pour le Conseil d’État, l’objet de cette exigence est simplement de pouvoir identifier sans ambiguïté, au vu des mentions figurant sur la décision, l’auteur de la décision. Ce pragmatisme a par exemple conduit le Conseil à valider un prénom sous forme d’initiales [14]. De même, le juge administratif considère que l’insuffisance de l’identification peut éventuellement être palliée par d’autres documents de procédure, éventuellement antérieurs, s’il apparaît que l’auteur de la décision peut être identifiée sans ambiguïté par le destinataire [15].

Certes, comme le relève justement la Cour de cassation,

« aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public, et à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité » [16].

3. La demande du rapport de contrôle.

L’article R243-59 IV al. 1 du CSS comporte une disposition énigmatique suivant laquelle : « à l’issue de la période contradictoire, afin d’engager la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l’objet du redressement, l’agent chargé du contrôle transmet à l’organisme effectuant le recouvrement le rapport de contrôle faisant état des échanges prévus au III » [17].

Or ce rapport de contrôle, dont les URSSAF nous disent régulièrement qu’il n’est qu’un « document interne » est toutefois considéré comme un « document administratif » communicable en vertu des dispositions applicables du CRPA. Sur le fond, dans le passé, la CADA a ainsi rendu maints avis favorables sur des demandes de communication de rapports de contrôles par des cotisants à la suite de redressements [18].

D’un point de vue procédural, le principe est que la personne intéressée doit d’abord solliciter l’administration compétente afin d’obtenir la communication des pièces souhaitées. Faute de réponse dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande ou en cas de refus [19], l’intéressé pourra formuler sa demande dans le délai de deux mois auprès de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) [20]. La commission notifie alors son avis à l’intéressé et à l’administration mise en cause, dans un délai d’un mois à compter de la demande [21]. Enfin, et à la suite de l’avis de la CADA l’organisme informe le cotisant de la suite qu’il entend donner à la demande [22].

Faute de réponse, il convient d’envisager une action judiciaire en saisissant le Tribunal judiciaire (en référé) avant toute action judiciaire [23].

Cette saisine du Tribunal Judiciaire en référé est motivée comme suivant :
- En droit, aux termes de l’article 145 du Code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ;
- Dans les faits, le rapport de contrôle est un document produit par une personne de droit privé en charge d’une mission de service public dans le cadre de la préparation d’une décision administrative (la mise en demeure) ; il s’agit donc d’un document administratif préparatoire à une décision administrative, comme tel communicable au cotisant par application de l’article L300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, pour peu que la décision préparée ait été rendue [24] ;
- Ce rapport est susceptible de renseigner le cotisant sur la manière concrète dont le contrôle a été conduit ; il peut servir au cotisant à vérifier, en complément des informations reprises dans la lettre d’observations, que la procédure de contrôle a été régulière et le renseigner, par exemple, sur le fait de savoir si l’inspecteur a reçu des informations d’autres administrations, sur l’identité des - personnes qu’il a pu entendre, sur l’origine de certaines informations, sur la façon concrète dont ont été traitées telles ou telles données... Le cotisant a donc un intérêt légitime, avant tout procès, à pouvoir se procurer ce document ne serait-ce que pour évaluer la pertinence d’exercer, ou non, une voie de recours.

4. Le respect de la procédure contradictoire.

La procédure de contrôle URSSAF, et notamment son caractère contradictoire, est prévue par les dispositions de l’article R243-59 du Code de la sécurité sociale.

Toutefois, en la matière, une disposition du CRPA peut semer le trouble. L’article L121-2 de ce code prévoit que

« les dispositions de l’article L121-1 [fondant le principe général du contradictoire] ne sont pas applicables : (…) 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; 4° Aux décisions prises par les organismes de sécurité sociale et par l’institution visée à l’article L5312-1 du Code du travail, sauf lorsqu’ils prennent des mesures à caractère de sanction ».

En d’autres termes, et par un raisonnement a contrario, dès lors que les organismes de sécurité sociale « prennent des mesures à caractère de sanction » (ex : en matière de travail dissimulé), les dispositions de l’article L121-2 susmentionné, trouvent application [25].

Or, cet article L121-2 du CRPA prévoit deux particularités par rapport à la procédure telle que prévue par le Code de la sécurité sociale :
- Ces décisions n’interviennent qu’après que la personne intéressée ait été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (l’administration n’est toutefois pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique) [26] ;
- Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.

Bien évidemment, ces demandes devront être formulées en cours de procédure faute de quoi la contestation de ce point n’aura aucune chance d’aboutir devant le juge [27].

Il semblerait cohérent d’affirmer que le non-respect de ces dispositions entraîne la nullité de la procédure. Cependant, un arrêt de la Cour d’appel de Paris sème doute. La Cour énonce que

« l’article L122-1 précise : les décisions mentionnées à l’article L211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix..., les décisions individuelles ne peuvent intervenir qu’après que la personne intéressée ait été mise en mesure de présenter des observations écrites ou, le cas échéant, orales et que cette personne ait pu se faire assister par un conseil ou représenter par le mandataire de son choix. Cependant, ce texte ne prévoit aucunement la nullité d’une décision prise en violation de ces dispositions » [28].

5. Le contentieux devant la commission de recours amiable.

Selon l’article R142-1 du Code de la sécurité sociale, les réclamations formées contre les décisions prises par les organismes de Sécurité sociale sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme. Cette commission n’est pas une juridiction [29]. Elle n’est qu’une émanation du conseil d’administration de chaque organisme de Sécurité sociale.

La commission (qui est au siège de l’organisme) doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la mise en demeure [30]. À la suite de la saisine de la commission, deux hypothèses doivent être ici retenues :
- Soit le cotisant laisse la commission statuer sur sa réclamation. Dans ce cas, il attendra la notification de la décision ;
- Soit il fera application des dispositions de l’article R142-6 al 1 du Code de la Sécurité sociale suivant lequel lorsque la décision du conseil d’administration ou de la commission n’a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois, l’intéressé peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant le Tribunal (ce délai de deux mois court à compter de la réception de la réclamation par l’organisme de Sécurité sociale ; toutefois, si des documents sont produits par le réclamant après le dépôt de la réclamation, le délai ne court qu’à compter de la réception de ces documents) [31].

Ainsi, le cotisant dispose d’un choix : soit laisser la commission statuer sur son différend, soit accélérer la procédure en saisissant le Tribunal en l’absence de décision de la commission deux mois après sa saisine.

Ces dispositions sont à lire en parallèle de l’article L232-4 du CRPA [32] suivant lequel, « à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».

En d’autres termes, à la suite de la décision implicite de rejet (c’est-à-dire, deux mois après la saisine de la CRA), il est possible de demander les motifs de ce rejet qui devront être communiqués dans le mois suivant la réception de cette demande.

Quant, aux conséquences de l’absence de réponse par l’organisme de sécurité sociale, on est obligé de se référer, faute de jurisprudence spécifique, aux décisions prises par les juridictions administratives. Et sur ce point, la position du Conseil d’Etat est très claire : « l’absence de communication des motifs de ce refus dans le délai d’un mois suivant la demande faite à cette fin par la personne intéressée a pour effet d’entacher d’illégalité la décision implicite de rejet » [33].

6. La décision rendue par la Commission de recours amiable.

Selon l’article R142-4 du Code de la Sécurité sociale, la commission « donne, sur les affaires qui lui sont soumises, son avis au conseil d’administration, qui statue et notifie sa décision aux intéressés. Cette décision doit être motivée. Toutefois, le conseil d’administration peut déléguer tout ou partie de ses pouvoirs à la commission dans les conditions qu’il détermine. En cas de partage des voix au sein de la commission, il est statué par le conseil d’administration ».

Pratiquement, on se rend compte bien souvent que le nom des membres de la CRA n’apparait pas ou que la décision n’est pas même signée…

La jurisprudence judiciaire a décidé que l’absence de date sur la décision [34] ou encore de nom ou de signature du président de la commission [35] ne saurait entraîner la nullité de la décision rendue. De même, dans une affaire où un cotisant faisait valoir que la décision de la commission n’était signée ni par le président ni par le secrétaire et qu’elle n’avait donc aucune valeur juridique, les juges de la Cour d’appel de Paris décident que les décisions de la commission de recours amiable ne doivent être signées ni par le président ni par le secrétaire ; seule la notification de la décision de cette commission signée par le secrétaire garantit que la décision est approuvée par ses membres [36]. L’omission, sur la décision de la commission de recours amiable régulièrement notifiée, des mentions relatives à la dénomination du président de la commission et à celle des membres l’ayant composée est sans incidence sur la validité de la saisine du tribunal [37].

Dans un arrêt récent, la Cour d’Amiens a résumé la situation : si la saisine de la juridiction de sécurité sociale est subordonnée à la mise en œuvre préalable d’un recours non contentieux devant la commission de recours amiable instituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme social en application de l’article R142-1 du Code de la sécurité sociale, ces dispositions réglementaires ne confèrent pas pour autant compétence à la juridiction judiciaire pour statuer sur le bien-fondé de cette décision qui revêt un caractère administratif, en sorte que la demande d’annulation de la décision de la commission de recours amiable ne relève ainsi pas de la compétence de la juridiction de sécurité sociale.

La demande d’annulation de la décision de commission de recours amiable sera donc rejetée [38].

Il n’empêche que cette situation va à l’encontre des dispositions de l’article L212-1 du CRPA [39]. Et sur ce point, la jurisprudence administrative (applicable en matière d’aide sociale) est plus regardante. Ainsi, une décision de la commission de recours amiable ne comportait pas la signature de son auteur ainsi que la mention de son prénom, de son nom et de sa qualité. La circonstance que la notification de cette décision comportait la signature de la secrétaire de la commission de recours amiable, cette dernière, n’ayant pas la qualité de présidente de cette instance pas plus que celle de membre cette commission n’était pas de nature à satisfaire aux exigences de l’article L212-1 du Code des relations entre le public et l’administration précité. Par suite, l’intéressée était fondée à soutenir que la décision attaquée méconnaissait les dispositions de l’article L212-1 du Code des relations entre le public et l’administration. Il résultait donc que l’intéressée était fondée à demander l’annulation de la décision de la commission de recours amiable de la caisse d’allocations familiales confirmant l’indu de prime d’activité [40].

Sans doute peut on regretter la tiédeur de la jurisprudence judiciaire par rapport à la jurisprudence administrative [41]. Et cette orientation n’incite guère les organismes de sécurité sociale à se montrer très respectueux du formalisme.

7. Demande de répétition de l’indu.

L’article L211-8 du CRPA vise clairement les organismes de sécurité sociale dans les termes suivants : « Les décisions des organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés ordonnant le reversement des prestations sociales indûment perçues sont motivées. Elles indiquent les voies et délais de recours ouverts à l’assuré, ainsi que les conditions et les délais dans lesquels l’assuré peut présenter ses observations écrites ou orales. Dans ce dernier cas, l’assuré peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix ». La demande de l’organisme doit donc comporter au moins trois éléments :
- Une motivation [42] ;
- Les voies et délais de recours ouverts ;
- Les conditions et les délais dans lesquels l’intéressé peut présenter ses observations écrites ou orales (sachant, dans ce dernier cas, que l’intéressé peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix).

On peut s’interroger sur les conséquences de l’absence, de l’incomplétude ou du caractère erroné de ces mentions. Ainsi en serait-il d’un organisme qui indiquerait à l’usager qu’il peut présenter ses observations auprès des services gestionnaires. Certes, l’information donnée ne correspond pas scrupuleusement aux prescriptions de l’article L211-8 du CRPA et se montre plus restrictif puisqu’elle ne vise pas des « observations écrites ou orales ». Cette différence qui pourrait paraître bénigne est pourtant essentielle. On sait ainsi que dans une situation parallèle (les droits des cotisants), la jurisprudence a toujours posé le principe que les dispositions fixant les droits et garanties des cotisants étaient « d’interprétation stricte » [43].

Ainsi, le Code des relations du public avec l’administration comporte un certain nombre de dispositions qu’il serait vain de passer sous silence. Encore faudrait il que les professionnels s’en emparent !

Nicolas Taquet Avocat au Barreau de Pau https://www.taquet-avocats.fr/ [->taquetnicolas@gmail.com]

[2Ces dispositions sont applicables aux URSSAF via l’article L100-3 du CRPA. D’ailleurs, la CADA confirme bien l’application de ces dispositions aux organismes privés chargés d’un service public (Avis CADA n° 20175596, 08-02-2018, Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse).

[3Ce texte est précisé par l’article R311-3-1-1 suivant lequel, « la mention explicite prévue à l’article L311-3-1 indique la finalité poursuivie par le traitement algorithmique. Elle rappelle le droit, garanti par cet article, d’obtenir la communication des règles définissant ce traitement et des principales caractéristiques de sa mise en œuvre, ainsi que les modalités d’exercice de ce droit à communication et de saisine, le cas échéant, de la commission d’accès aux documents administratifs, définies par le présent livre ». Dans le même sens, on indiquera que le Tribunal administratif de Paris le 10 mars 2016 (n°1508951/5-2) a « enjoint au ministre des finances et des comptes publics de communiquer à M. A le code source du logiciel simulant le calcul de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ».

[4Les mentions qui doivent être précisées « sous une forme intelligible et sous réserve de ne pas porter atteinte à des secrets protégés par la loi » sont indiqué à l’article R311-3-1-2.

[5Ceci est d’ailleurs confirmé par l’article 10 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 suivant lequel : les « décisions comportent, à peine de nullité, la mention explicite prévue à l’article L311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration… » (V. d’ailleurs en ce sens : CE, 4 mars 2022, N° 451932).

[6CSS art. R243-59 IV al. 1.

[7« Lorsque la personne contrôlée répond avant la fin du délai imparti, l’agent chargé du contrôle est tenu de répondre. Chaque observation exprimée de manière circonstanciée par la personne contrôlée fait l’objet d’une réponse motivée. Cette réponse détaille, par motif de redressement, les montants qui, le cas échéant, ne sont pas retenus et les redressements qui demeurent envisagés » (CSS art. R243-59 III al. 10).

[8V. ainsi : CE 28 mai 2010, Moguelet, n° 328686.

[9Cass. Avis, 22 mars 2004, n° 00-40.002, Bull. n° 2 confirmé par Civ. 2, 29 juin 2004, n° 03-30.136 Civ. 2 ; position réaffirmée jusqu’alors ; encore récemment : Civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-26.321.

[10Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-22.473, n° 20-22.476 et n° 20-22.477, F-D.

[11Civ. 2e, 30 sept. 2005, n° 04-30.347.

[12V. Cass. soc., 19 mars 1992, n° 88-11.682 ; Cass. soc., 2 décembre 1993, n° 91-16576.

[13CE, 25 juill. 2001, Oukal, n° 228392.

[14CE, 28 nov. 2003, Mme Rahou épse Douidi, n° 249389, B.

[15CE, 30 déc. 2010, M. Cadenal, n° 329900.

[16Civ. 2e, 30 sept. 2005, n° 04-30.347.

[17Rappelons que les URSSAF étant des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public, les dispositions du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), sauf exceptions, trouvent application (CRPA art L100-3) et les décisions qu’elle prennent et les pièces qu’elle produisent dans le cadre du contrôle de l’application de la législation sur la sécurité sociale sont des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du même code, soumis au droit d’accès.

[18V. avis 20155558 séance du 17/12/2015 - avis 20162282 séance du 23/06/2016 - avis 20174516 séance du 30/11/2017 - avis 20214106 du 22 juillet 2021.

[19CRPA art R311-13.

[20CRPA art R343-1.

[21CRPA art R343-3.

[22CRPA art R343-4.

[23TJ de Lille. Pôle social. 5 avril 2022. RG n° 22/00306.

[24Aux termes des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile il faut une absence d’instance au fond à la date de la saisine de la juridiction. Or, on constate malheureusement souvent que la CADA met du temps à statuer.

[25Il n’existe pas de définition légale de la « sanction » en droit administratif. Toutefois, le Conseil d’état considère qu’une sanction administrative est une décision administrative émanant d’une autorité administrative qui vise à réprimer un comportement fautif. Selon le Conseil d’état dans son rapport de 1995 sur le sujet, « les sanctions sont d’une nature essentiellement répressive. Elles procèdent d’une intention de punir un manquement à une obligation. Elles se fondent sur un comportement personnel considéré comme fautif. Au contraire, les mesures de police ont une finalité essentiellement préventive » (Conseil d’Etat, Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions, Paris, La Documentation Française, 1995).

[26La loi fait « obligation à l’autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d’audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu’elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n’est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu’elle peut être écartée » (CE, 29 juillet 2020, n° 432267 V. dans le même sens : CAA Marseille, 7 février 2012, n° 09MA04714 ; CAA Nantes, 22 janvier 2021, n° 19NT01337). Bien entendu, dès lors que la présentation d’observations orales constitue une garantie, le non-respect de cette garantie rend la décision irrégulière (CAA Nantes, 5 octobre 2016, n° 14NT02723 ; CAA Marseille, 10 juillet 2021, n° 19MA01640). L’administration doit respecter le délai qu’elle a fixé pour la présentation des observations, sauf urgence (CE 4 avril 2005, Ste BASF-AGRO, n° 266665, B).

[27Et en matière de contrôle URSSAF, on sait que « la mise en demeure notifiée par l’URSSAF à l’issue des opérations de contrôle et de redressement, laquelle constitue la décision de recouvrement, est seule susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux et non la réponse des inspecteurs de l’URSSAF à celle du cotisant » (Cass civ 2ème 14 février 2019, pourvoi n°17-27759).

[28Paris, 6, 12, 19 juin 2020, RG n° 17/08488.

[29Cass soc. 8 juin 1977. Bull. civ. V. n° 389.

[30Notons que le cotisant a également la faculté de payer et de contester. L’intérêt de ce système est de bloquer les majorations de retard. Il convient cependant d’indiquer clairement cette voie. En effet, un paiement sans contestation équivaudrait à une acceptation du redressement.

[31Exemple : à la suite d’une mise en demeure, un cotisant a saisi le CRA le 2 juillet (réception du courrier par l’URSSAF le 4 juillet). La commission a jusqu’au 4 septembre à minuit pour statuer. Faute de l’avoir fait, le cotisant disposera d’un délai courant jusqu’au 5 novembre pour saisir le tribunal.

[32Ces dispositions sont applicables aux organismes de sécurité sociale via l’article L100-3 du CRPA. Qui plus est, l’article L211-1 du CRPA confirme que le chapitre relatif à la motivation des décisions administratives est applicable aux organismes de sécurité sociale

 : « Le présent chapitre est applicable, outre aux administrations mentionnées au 1° de l’article L100-3, aux organismes et personnes chargés d’une mission de service public industriel et commercial, pour les décisions qu’ils prennent au titre de cette mission. Il s’applique également aux relations entre les administrations ».

[33CE, 10 juin 2020, n° 435348 - V. dans le même sens : CE, 21 mai 2010, 324252.

[34Cass soc. 15 juin 1995. Bull. civ. V. n° 200.

[35Cass soc. 24 juin 1993. Sté Progressive production technology c. URSSAF de Paris.

[36Paris. Pôle 6 Chambre 12. 30 novembre 2018. RG n° 15/03854.

[37Cass. 2e civ. 15-2-2005 n° 161 FS-D, Urssaf de la Haute-Vienne c/ société Eurovia.

[38Amiens, 2° protection sociale, 27 juin 2022, RG n° 21/01498. On relèvera que pour la Cour de Pau, « La commission de recours amiable n’est pas une administration, si bien que ne sont pas applicables les dispositions invoquées de l’article L231-1 du Code des relations entre le public et l’administration, le recours porté devant elle, nonobstant le fait qu’il s’agit d’un recours gracieux de nature administrative ayant la particularité de constituer un préalable obligatoire au recours contentieux relevant du juge judiciaire » (Pau, Chambre sociale, 27 mai 2021, RG n° 18/01915).

[39« Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ».

[40Encore très récemment : TA Lyon, 8 juillet 2022, n° 2101168 ; TA Lyon, 6 juillet 2022, n° 2009228 ; TA Versailles, 18 juillet 2022, n° 2201660.

[41Ceci est d’autant plus regrettable que la décision de la CRA se substitue à celle de l’URSSAF (« Émanant d’une instance composée d’administrateurs de l’organisme, la décision lie la caisse, qui ne peut dès lors se prévaloir de la qualité de tiers par rapport à la CRA pour prétendre qu’elle n’y est pas tenue » (CA Besançon, ch. soc., 6 mars 1992 : JurisData n° 1992-046136), et se substitue à celle prise par les services administratifs de l’organisme de sécurité sociale, même si cette dernière était plus favorable au requérant. Cette solution, dégagée par la jurisprudence, trouve aujourd’hui son fondement dans l’article L412-7 du Code des relations du public avec l’administration, applicable aux relations des organismes avec leurs usagers, qui énonce que « la décision prise à la suite d’un recours administratif préalable obligatoire se substitue à la décision initiale » V. Cass. soc., 1er juin 1988, pourvoi n° 85-17904 : « Une fois rendue et notifiée à l’intéressé, la décision de la commission de recours amiable se substitue à l’avis préalablement donné par l’organisme chargé du recouvrement et ce, même si la décision de cette commission est moins favorable au requérant ».

[42On rappellera également que selon le même article L211-8 du CRPA, les décisions doivent être « motivées ». Or, selon l’article L211-5 du CRPA, la motivation « doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». Sur la base de cette disposition, les juridictions administratives exigent que la base légale d’une décision apparaisse sur cette dernière, faute de quoi celle-ci encourt l’annulation (CAA Nantes, 19 juillet 2013, n° 12NT00010 ; V dans des contentieux similaire : CAA Nantes, 29 octobre 2010, n° 10NT00539 ; CAA Nancy, 10 janvier 2011, n° 09NC01891 ; CAA Lyon, 24 mai 2012, n° 11LY02659). En ce qui concerne la motivation factuelle, on considère que les décisions de demande de reversement d’indu doivent comporter le montant et de la nature de l’allocation indûment perçue, la période au titre de laquelle l’indu est réclamé, la cause de la demande en remboursement (V. en matière d’indu d’allocations familiales : Paris, 6, 13, 29-10-2021, n° 17/11834).

[43V. Cass civ.2°.7 juillet 2022. pourvoi n° 20-18471.