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Vers la reconnaissance d’un droit constitutionnel à être jugé dans un délai raisonnable ? Par Samy Merlo, Élève-Avocat.
Parution : lundi 27 février 2023
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A ce jour, on sait, pour sûr, qu’il existe un droit fondamental à être jugé dans un délai raisonnable, prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme [1]. Ce droit est également prévu par notre loi nationale à l’article L111-3 du Code de l’organisation judiciaire [2]. En revanche, ce droit n’a jamais été consacré comme ayant une valeur constitutionnelle... ou bien l’a-t-il été ?

Le Conseil constitutionnel n’a jamais reconnu l’existence d’un droit fondamental à être jugé dans un délai raisonnable, alors même qu’il en a eu l’occasion par au moins deux fois, ce que déplorait Maître Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dans un article de sa propre plume.

 Ainsi, le droit à être jugé dans un délai raisonnable n’a jamais fait l’objet, ne serait-ce que partiellement, d’une quelconque consécration constitutionnelle. C’est d’autant plus dommage que l’occasion s’est présentée au Conseil, sans qu’il s’en saisisse, lors de l’examen de la loi relative au recrutement des magistrats afin de permettre le respect du délai raisonnable de la procédure par les juridictions judiciaires (49) ou de la loi organique prise pour instituer la question prioritaire de constitutionnalité (50).

Pourtant, une récente décision du Conseil d’État vient semer le trouble : Conseil d’État, 21 février 2023, n° 463506, 469529.

En effet, le requérant avait introduit une Question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») mettant en cause l’article 7, alinéas 3 et 4, de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, comme étant contraire au « droit à être jugé dans un délai raisonnable » résultant de la combinaison des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (« DDHC »).

Nous avions déjà évoqué ce texte de loi dans deux précédents articles : De l’admission des pourvois et de l’objectif de bonne administration de la (l’in ?)justice et Se pourvoir en cassation par devant la Chambre criminelle sans avocat : délais et formalisme, il subordonne l’octroi de l’aide juridictionnelle, en cause de cassation, au relevé d’un « moyen sérieux » par le Bureau d’aide juridictionnelle.

De fait, il n’apparaît pas aberrant de soutenir que ce texte a pour effet de repousser dans le temps le point de départ de l’instruction du pourvoi, et, par suite, de rallonger la durée totale de la procédure.

Quant aux articles 12, 15 et 16 de la DDHC, le Conseil constitutionnel en a déjà déduit l’existence d’un « objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice » [3]

De là à en déduire l’existence d’un droit à être jugé dans un délai raisonnable, il n’y a qu’un pas !

C’est en tout cas ce qu’a jugé le Conseil d’État dans la décision précitée :

10. Toutefois, les dispositions contestées de l’article 7 de la loi du 10 juillet 1991, qui se bornent à prévoir les conditions de l’octroi de l’aide juridictionnelle en cassation et le remboursement, dans la limite du barème de l’aide juridictionnelle, des frais, dépens et honoraires exposés ou versés par un demandeur dont le pourvoi est accueilli par le juge alors que, faute de moyen sérieux, l’aide juridictionnelle ne lui avait pas été accordée, ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte au droit à être jugé dans un délai raisonnable. Par suite et en tout état de cause, la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

C’est donc avec un naturel et un aplomb assez déconcertants que la Haute juridiction administrative nous livre, telle une évidence, un acquis de longue date, l’existence d’un droit à valeur constitutionnelle... qui n’a jamais été reconnu par le Conseil constitutionnel, qui est pourtant la seule juridiction à même d’en décider.

Le Conseil d’État refuse donc de transmettre la question, « qui n’est pas nouvelle ».

Dont acte.

Samy Merlo, Juriste Mail: [->samy.merlo.juriste@laposte.net]

[1« Convention EDH ».

[2« Les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable ».

[3Conseil constitutionnel, décision DC n° 2009-595 du 3 décembre 2009.

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