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Management inclusif : comment amorcer le changement au sein des cabinets d’avocat ?
Parution : mardi 4 juillet 2023
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Le modèle de l’« entreprise inclusive » et le « management inclusif » qui y est – ou y serait – pratiqué sont des concepts séduisants à plusieurs égards. Mais le changement prend du temps et dépend de chaque organisation. Il n’y a pas de recette magique. Il serait présomptueux de vouloir ici construire une to do list et d’élaborer des plans d’action. Ceci, d’autant qu’il est plus que probable qu’au vu de l’hétérogénéité des cabinets (qu’il faut préserver !), que ce qui conviendrait aux membres d’une équipe, ne serait pas nécessairement adapté à une autre. Mais le changement passera sans nul doute par la levée des obstacles créés par la résistance au changement et les stéréotypes. Envisageons quelques pistes pragmatiques.

Article issu du numéro 99 du Journal du Village de la Justice "Inclusion et diversité".

Note aux lecteurs...

Cet article a été publié dans le numéro 99 du Journal du Village de la Justice. N’hésitez pas à consulter le dossier dans son intégralité !

Comment s’emparer des enjeux de Diversité et Inclusion ?

Les motivations pour s’emparer des enjeux de Diversité et Inclusion (D&I) s’expriment de multiples manière : formaliser ses engagements, extérioriser ses convictions, développer une image de marque employeur "éthique", être plus attractif pour le recrutement, faire connaître les valeurs sous-tendant sa culture de cabinet, construire et nourrir cette dernière, la changer en résolvant les difficultés, renforcer la cohésion d’un groupe, améliorer l’expérience collaborateur(trice), se préoccuper de la sécurité psychologique et physique de ses partenaires de travail, se rassurer sur la qualité et les effets de son management, faire émerger de nouvelles idées, améliorer ses capacités d’innovation, etc.

Les outils de promotion de la diversité sont nombreux [1] : projet de charte, label diversité, définition d’une raison d’être, réflexion sur sa RSE, la transparence salariale, la marque employeur sont autant d’occasion d’aborder le sujet avec ses parties prenantes. Mais si ces enjeux commencent à être adoptés, le maniement souvent abstrait des concepts et la sensibilité des points à aborder rendent la réalité et la pratique parfois bien éloignées de l’intention (sur ce point voir notre article Diversité et inclusion au sein des cabinets d’avocat : faut-il (encore) en parler ?). Affranchissons-nous des stéréotypes et des biais fréquents qui perturbent la mise en œuvre opérationnelle du concept d’inclusion et mettons le cap sur le management inclusif !

L’inclusion, une question managériale.

Lorsque l’on s’engage dans une politique D&I, le but n’est pas de privilégier l’individuel sur le collectif, mais « de permettre à des profils différents et complémentaires de travailler ensemble, [afin] que se créent les dynamiques d’équipe, les synergies, les idées nouvelles ». Toute la difficulté est « de déterminer comment faire travailler ensemble des personnes dont les codes comportementaux, les expériences de vie et les relations au travail [peuvent être] disparates » [2].

Il n’est évidemment pas question de disloquer le cabinet au gré des envies et de la personnalité de chacun(e) ; il reste essentiel de préserver une vision commune et partagée, ainsi que la cohésion des équipes. Mais celles-ci n’impliquent pas l’homogénéité et permettent une souplesse pour imposer un projet commun, sans opprimer. Elles supposent en revanche un degré d’individualisation de la relation de travail, allant de l’adaptation des postes à une situation de handicap, à une flexibilité des horaires au vu de la situation de famille, en passant par le choix des jours fériés pour des fêtes religieuses.
Autre possibilité : il s’agira, le cas échéant, de s’adapter aux attentes (et stéréotypes ?) de la clientèle. Pour le dire de manière un peu caricaturale, « au client qui souhaite d’abord du standing et du décorum, on propose le conseiller "classique" avec le look qui correspond parce qu’il le rassure et contribue à créer une relation de confiance. À celui qui s’en moque et qui préfère l’efficacité et les recommandations judicieuses, on propose ceux qui sont plus décalés » [3].

Faire un état des lieux et sensibiliser.

Nous avons précédemment évoqué les index habituellement utilisés, avec leurs limites s’ils ne sont pas associés à d’autres actions [Voir Diversité et inclusion au sein des cabinets d’avocat : faut-il (encore) en parler ?]]. Ils n’en restent pas moins une manière de construire le point de départ objectif d’une discussion. L’outil d’autodiagnostic du guide du CNB sur la RSCA adopte une démarche adéquate à cet égard, parce que non limitée aux seuls sujets des discriminations, du sexisme et de l’inégalité femmes-hommes. Mais à l’instar de la grande majorité des « outils » en matière de D&I, il prend appui sur les différences, au lieu de raisonner indépendamment, au-delà d’elles.

Ils seront donc utilement complétés, par exemple avec des échanges collectifs à l’occasion d’un événement relaté par la presse ou les réseaux sociaux, devenant « prétexte » à une analyse des pratiques au sein du cabinet. Des enquêtes sur la qualité de vie au travail, de préférence anonyme, sont également le moyen de « prendre la température » et, partant, de prendre conscience d’éventuels écarts dans les perceptions entre le management et les autres parties prenantes (internes et externes) du cabinet.

Il pourra encore s’agir de proposer des modules « ludiques » de sensibilisation : quiz, jeux, e-learning « gamifiés » se multiplient sur la D&I. Parfois dénoncés comme infantilisants, ils ne proposent pas moins une manière d’appréhender des sujets qui peuvent être délicats à aborder, souvent par crainte de mal faire. Ils sont donc autant d’occasions d’apprendre à adapter les comportements et trouver la bonne posture. Il n’est alors plus seulement question de rappeler les bonnes pratiques, que de proposer des outils efficaces pour changer le regard, faciliter le dialogue et renouveler l’intérêt des échanges pour le sujet.
Citons l’exemple d’un serious game sur le handicap, dont l’impact a pu être mesuré [4] : après avoir été proposé aux équipes, 60 % des joueurs non handicapés pensaient aborder plus facilement le sujet du handicap dans leurs équipes, que 30 % des joueurs non-handicapés avaient découverts qu’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) permettait d’adapter le poste de travail, que 8 % des joueurs non handicapés avaient découvert qu’ils avaient peut-être un handicap. D’autres chiffres montrent l’impact de ce format : 76 % des managers se sont sentis plus légitimes pour aborder le sujet du handicap avec une personne handicapée de leur équipe ; 64 % des joueurs porteurs de handicap ont déclaré vouloir d’avantage oser demander de l’aide à leurs collègues en cas de besoin.

Prendre conscience des stéréotypes.

Changer son angle de vue et son prisme habituel d’analyse est l’une des clés de l’inclusion, puisque l’« un des freins naturels les plus puissants pour s’opposer à la diversité réside dans le fait que nous sommes littéralement programmés pour préférer ceux dont nous considérons qu’ils nous ressemblent et pour ressentir de la méfiance envers ceux qui, au contraire, nous semblent différents (langage, apparence, milieu) ou nous dérangent » [5]. Nous sommes toutes et tous sujets aux stéréotypes, qui se rapproche des idées reçues et autres préjugés habituellement admis et véhiculés à propos d’une personne ou d’un groupe de personnes. La répétition de ces représentations, plus ou moins fortement ancrées dans la culture des organisations, fait perdurer les « erreurs » de raisonnement sur lesquelles elles sont implicitement construites.

Exemple - stéréotype sur la parentalité.
Ce stéréotype conduit à ne pas proposer une mission ou une association à un jeune parent. Au lieu de lui demander si la mission ou la promotion est envisageable pour cette personne, en termes d’organisation personnelle, le stéréotype conduit spontanément, sans mauvaise intention, à éliminer l’option, en décidant à sa place.
Une « bonne pratique » serait ainsi d’éviter les projections et suppositions : plutôt que d’anticiper des difficultés d’organisation chez les collaborateurs ou collaboratrices et de projeter des problèmes d’adaptation ou d’emploi du temps, il est recommandé de prendre le temps de détailler clairement tous les impératifs (amplitude horaire, astreintes, déplacements, travail le week-end, etc.) et de voir avec la personne concernée si elle peut s’adapter à ces contraintes [6].
Certes, les contraintes inhérentes à l’exercice de la profession sont globalement connues ; elles tendent d’ailleurs à devenir un élément central de l’attractivité de la profession. Les rappeler et expliquer la façon dont elles se déclinent, les habitudes du cabinet en la matière, dès le début du recrutement n’en reste pas moins utile.

Souhaiter déconstruire les stéréotypes, les décoder, les décrypter serait ainsi une manière d’améliorer l’inclusion, en s’appuyant sur « l’idée sous-jacente (…) que si l’on sait qu’un stéréotype en est un, il perd ses effets. (…) La formulation de stéréotypes est alors présentée comme une forme de catharsis : les dire, ce serait s’en prémunir, les formuler permettrait de s’en libérer » [7].
Bien qu’il n’en existe pas (encore ?) spécifiquement dédiés à la profession, plusieurs tests (sérieux) pourront être adaptés [8]. La diffusion de vidéos abordant le sujet de manière humoristique (voire caricaturale) peut aussi être efficace et servir une amorce du changement.

Ne faisons preuve ni de naïveté, ni d’idéalisme : il est confortable de s’entourer de personnes qui nous ressemblent, qui sont issues de la même formation, qui ont des façons de travailler similaires et/ou les mêmes « codes », références et centres d’intérêt. Le recrutement affinitaire est une réalité. Il participe de la cohésion d’un groupe et nourrit une culture d’entreprise. Mais il conduit et entretient l’entre-soi identitaire, voire une forme d’« endogamie » préjudiciable : travailler avec des personnes qui sont souvent les mêmes avis « même sans intention discriminatoire, (…) contribue (…) insidieusement à une perte d’opportunités » [9] et entretient les risques d’exclusion.

La lutte contre les stéréotypes est aussi l’une des raisons pour la raison pour laquelle, dans l’environnement professionnel, l’un des conseils régulièrement prodigués pour améliorer sa politique D&I est d’ouvrir son vivier de recrutements, de s’autoriser « à sortir des sentiers battus et des parcours normés », pour éviter la « reproduction sociale » [10]. Plus que d’être attentif(ve) à une politique de recrutement non discriminatoire, le but est de raisonner sur les compétences attendues pour le poste et de sonder la candidature au seul titre de la concordance entre le profil et le « talent » requis : « l’important c’est ce qu’il y a dans la boîte (crânienne) et pas le packaging » [11], ou plutôt, la « bonne » personne au « bon » poste. Prenons le cas de la neurodiversité et de la créativité (les mad skills), qui permettent d’échapper à certains biais d’analyse : « capitaliser sur les apports distinctifs de ces profils divergents en identifiant les fonctions sur lesquelles ils pourraient être particulièrement performants » conduit à concevoir leur singularité comme une force, et non plus comme un obstacle au fonctionnement collectif.

Quelle que soit leur amplitude, les actions en matière de D&I reposent toutes sur vigilance des managers et sur la capacité des cabinets à prévenir et traiter véritablement le sujet. Mise en place de référents, déploiement de dispositifs de lanceurs d’alerte au sein des structures, soutien apporté aux victimes et aux témoins, sanction des agissements illégaux s’avèrent tous salutaires « pour endiguer et combattre des agissements présents dans la profession d’avocat/avocate qui sont contraire au principe de dignité, élément essentiel du serment de la profession d’avocat » [12]. L’équilibre est délicat : l’exercice supposera un mélange d’exemplarité, d’écoute et de communication, sans oublier, bien sûr, l’intransigeance vis-à-vis des comportements inappropriés. Les enjeux sont bel et bien là.

La Rédac’ prolonge l’info :

Décret n°2023-993 du 27 octobre 2023 (JO 28 oct.) relatif à l’instauration du fonds territorial d’accessibilité à destination des micro, petites et moyennes entreprises classées établissements recevant du public de 5e catégorie.

Ce texte met en place, pour la période allant du 2 novembre 2023 au 31 décembre 2028, une aide financière pour les micro, petites et moyennes entreprises classées établissements recevant du public (ERP) de 5e catégorie, qui réalisent des travaux en vue de se conformer aux obligations en matière d’accessibilité des établissements recevant du public. Il en fixe les conditions et modalités de calcul et de versement dans le cadre du fonds territorial d’accessibilité [13].
Cette aide bénéficie aux personnes physiques et morales remplissant, à la date du dépôt de la demande, les conditions suivantes [14] :


  • moins de deux cent cinquante salariés (selon CSS, art. L.130-1) ;
  • chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros hors taxe ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros ;
  • appartenance à la 5e catégorie des établissements recevant du public (au sens de CCH, art. R.143-19) ;
  • appartenance aux types M, N, O et W des établissements recevant du public au sens de l’article GN 1 de l’arrêté du 25 juin 1980. Les ERP de 5e catégorie appartenant à d’autres types pourront être éligibles au dispositif sur décision expresse du représentant de l’État dans leur département d’implantation ;
  • création avant le 20 septembre 2023 ;
  • inscription au RNE (registre national des entreprises) ;
  • à jour des obligations à l’égard de l’Administration fiscale et de l’organisme de recouvrement des cotisations patronales de sécurité sociale ;
  • absence de procédure de liquidation judiciaire en cours.
    Les dépenses éligibles à l’aide doivent relever de l’une des catégories suivantes :
  • équipements de mise en accessibilité ;
  • travaux de mise en accessibilité ;
  • dépenses d’ingénierie et d’assistance à maîtrise d’ouvrage réalisées dans le but de rendre accessible un établissement recevant du public.
    Les modalités de dépôt des demandes de subvention et la liste de dépenses éligibles au fonds territorial d’accessibilité, ne nécessitant pas d’autorisation de construire, d’aménager ou de modifier un établissement recevant du public, sont fixée par un arrêté du 31 octobre 2023 (Arr. 31 oct. 2023, NOR : ECOI2325350A, JO 1er nov.).
A. Dorange Rédactrice en chef du Journal du Village de la Justice

[1H. Garner-Moyer, précité

[2P. Scharnitzky et P. Stone, précité.

[3L. Depond, 2022, « Intelligence relationnelle et inclusion », Dunod, p. 90.

[4Dowino, « Les 7 chiffres clés de l’impact social de notre serious game Cobra Zéro », www.dowino.com.

[5L. Depond, précité, p. 65.

[6ANDRH, Kit précité.

[7A. Seurrat, « Déconstruire les stéréotypes pour "lutter contre les discriminations" ? Le cas de dispositifs de "lutte contre les discriminations" et de "promotion de la diversité" dans les médias », Communication & langages, vol. 165, n° 3, 2010, p. 107 et s.

[8Notamment celui de l’ANACT, « Quizz "égalité professionnelle, organisation et conditions de travail" », www.anact.fr/quiz-egalite-professionnelle-organisation-et-conditions-de-travail et les « Tests d’Association Implicite » (TAI) d’Harvard, https://implicit.harvard.edu/implicit/france/takeatest.html

[9Ibid., p. 130-131.

[10Ibid.

[11L. Depond, précité, p. 20.

[12Voir CNB, Ass. gén.,10 mars 2023, Guide Harcèlement et discriminions.

[13Voir min. Économie, 2 nov. 2023, Lancement du fond territorial d’accessibilité.

[14Attention : le local n’est pas considéré comme un ERP si l’activité libérale est exercée par l’occupant, même partiellement, dans le même ensemble de pièces que celui de sa vie familiale. Sur ce point, voir not. UrbanLaw Avocats, Les locaux professionnels dans lesquels est exercée une activité libérale constituent un rétablissement recevant du public.