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Les créations élaborées à l’aide de l’IA sont-elles protégeables par le droit d’auteur ? Par Véronique Piguet, Avocate.
Parution : jeudi 14 septembre 2023
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En droit français, une œuvre est protégeable dès lors qu’elle est originale, sans qu’un dépôt soit nécessaire.
Il revient donc aux tribunaux de trancher, quant au caractère protégeable ou non d’une œuvre par le droit d’auteur. Les juridictions retiennent comme critère « l’empreinte de la personnalité de son auteur », ce qui sous-entend qu’une œuvre ne peut émaner que d’un être humain.

C’est pourquoi, en l’état du droit, une production entièrement générée par l’IA ne devrait pas être protégeable par le droit d’auteur.

En revanche, si l’artiste utilise l’IA comme un outil, la question se pose de savoir si la création en résultant pourrait être protégeable par le droit d’auteur.

Aux Etats-Unis, où le dépôt est une pratique courante auprès de l’Office américain du Copyright, ce dernier a récemment annoncé qu’il refusera la protection aux contenus créés exclusivement par l’IA mais l’accordera éventuellement à ceux pour lesquels un être humain est intervenu.

En France, où il revient aux tribunaux de dire si une œuvre est protégeable par le droit d’auteur ou non, comment un artiste numérique peut-il mettre toutes les chances de son côté pour soutenir le caractère protégeable de son œuvre créée au moyen de l’IA ?

Quelques conseils :

Il est possible de plaider que les consignes données à un exécutant permettent d’avoir la qualité d’auteur (voir l’affaire Renoir/Guignot : Renoir ne pouvant plus manier le pinceau à la fin de sa vie, donnait des consignes…. Les deux ont été jugés co-auteurs. D’ailleurs l’art contemporain est très empreint de telles pratiques, comme le montre l’affaire Maurizio Cattelan (voir notre article Jugement Maurizio Cattelan : quelles leçons en tirer pour l’art contemporain ?)

Or, créer à l’aide de l’IA consiste à donner des consignes au logiciel d’IA.

Il est donc impératif de garder trace des instructions que vous donnez à la machine : documentez, documentez, documentez ! Je sais, c’est plutôt fastidieux…

Comme on le sait, tout se joue sur le prompt, ce fameux texte qui dicte à l’intelligence artificielle ce qu’elle doit créer.

Il faut donc garder une trace de son prompt initial (et dans l’idéal du résultat obtenu), puis des ajouts, retraits, modifications.

Il est essentiel d’être en mesure de démontrer que l’on a fait des choix, dictés par sa personnalité.

D’ailleurs, les opérateurs d’IA seront eux-mêmes soumis à la même exigence de documenter leur process.

En effet, le projet de règlement de l’Union européenne sur l’IA, en cours de négociation, prévoit que l’IA générative, comme ChatGPT, devra se conformer à des exigences de transparence et de traçabilité.

Elle devra ainsi, indiquer que le contenu a été généré par l’IA, concevoir le modèle pour l’empêcher de générer du contenu illégal et publier un résumé du recours aux données d’entraînement protégées par le droit d’auteur.

Le problème est en effet celui de la gestion des données d’entraînement afin d’éviter les « biais ». L’IA se nourrit de données, lesquelles doivent être fiables.

En cela, la réglementation de l’IA s’inspire de la réglementation des données personnelles (RGPD). Ainsi, notre ère est bien celle des données et de la documentation.

Véronique Piguet, Avocate associée chez Squair Barreau de Paris [->vpiguet@squairlaw.com] https://www.squairlaw.com/fr/avocats/veronique-piguet/