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Qui peut fouiller en dehors des policiers ? Par Sabine Haddad, Avocat
Parution : lundi 11 janvier 2010
Adresse de l'article original :
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Dans un premier article, intitulé : PALPATION OU FOUILLE : IL FAUT CHOISIR, j’ai abordé les fouilles, effectuées par la police dans le cadre d’une enquête sous le contrôle du procureur ou du juge ainsi que les palpations, qui constituent deux actes techniquement et juridiquement différents.

http://www.legavox.fr/blog/maitre-h...

Dans cet article, j’aborderai le cas de fouilles envisageables en dehors de la police dans certaines circonstances.

Dans quels cadres un tiers pourrait-il vous fouiller en dehors de disposer de la qualité d’officier de Police Judiciaire ou d’agent de Police judiciaire ?

I- La fouille des agents de surveillance et des agents de gardiennage sous certaines conditions

La Loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne prise après les attentats du 11 septembre 2001, modifiée par la Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure permet à des vigiles de sociétés privées d’inspecter visuellement les sacs et bagages à main, voire de les fouiller et de procéder à des palpations à des conditions strictes. Cela suppose :

° l’accord exprès de la personne concernée ;

° une justification à cette mesure de sécurité à l’entrée d’un lieu, (ex flagrant- délit ou à une suspiscion de vol.)

En cas de refus ou de réticence de la personne, un vigile ne pourra que tenter de la retenir avec respect, sans maltraitance en attendant l’arrivée de la police.

Rappel des dispositions de l’article 73 du CPP : "Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. "

Ainsi les agents "contrôleurs " SNCF ou RATP ne pourront jamais procéder à votre fouille sans votre assentiment.


II- La fouille de l’employeur ou d’un représentant du personnel spécialement désigné en vertu du règlement intérieur de l’entreprise dans des circonstances exceptionnelles.

Dans une même optique, la Cour de cassation a eu à rappeler les dispositions de l’article L 1121-1 du code du travail qui disposent « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ».

A défaut de respecter ce texte, l’employeur commettrait aussi une violation au regard de l’article 9 du code civil sur le droit au respect de la vie privée.

Les principes ci-dessous visés s’appliqueront à la fouille du personnel, aux casiers, aux vestiaires.

- En cas de circonstances exceptionnelles, de raisons impératives de sécurité , ou d’hygiène (ex risques de substances dangereuses, d’attentat, de disparitions renouvelées et rapprochées d’objets ou de matériels appartenant à l’entreprise), la fouille pourra être tolérée sous deux conditions impératives.

Cass Soc, 11 février 2009, n°07-4-068. « L’employeur ne peut ouvrir les sacs des salariés qu’avec leur accord et après les avoir informés de leurs droits de s’y opposer et d’exiger un témoin ». Cela suppose que :

a- le risque impératif ou les circonstances exceptionnelles soient justifiés ;

b- le salarié soit expressément averti du droit de s’opposer à cette fouille ET du droit qu’il peut avoir en cas d’acceptation être assisté par un témoin.

- Il appartiendra à l’employeur de justifier avoir donné cette information de façon claire et précise...

- ... préalablement au contrôle pour garantir l’effectivité du droit de refus du salarié.

L’affichage des dispositions à respecter issues du règlement intérieur dans le cadre d’une information, (ex présence d’un représentant du personnel, délai de convocation du salarié..) et le consentement du salarié à sa fouille, ne pourront pallier à lson absence d’information individuelle sur ses droits lors du contrôle ...

C’est dans ce contexte qu’un employeur a été condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour ne pas avoir établi que sa salariée, prise en flagrant délit de vol, avait été informée de ses droits, l’affichage du règlement intérieur ne pouvant suppléer le défaut d’une information individuelle Cass Soc, 8 mars 2005, n° 02-47-123

c- Le salarié, informé de ses droits devra expressément donner son accord,

A défaut, l’employeur ne pourra rien faire d’autre que d’appeler un officier de police judiciaire (OPJ) sans aller au-delà.

De ce fait un licenciement prononcé sur la base d’une fouille illicite ou effectuée en dehors des cas et procédures du règlement intérieur est sans cause réelle et sérieuse.

III- La fouille des détenus par le personnel des établissements pénitentiaires

Les modalités des fouilles en prison et lors des transfèrements sont strictement encadrées .

- article D 275 du CPP prévoit que " les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef d’établissement l’estime nécessaire.


- article D. 284 al 2 du CPP
(entrée et sortie des détenus) Ils sont fouillés, soumis aux formalités de l’écrou et aux mensurations anthropométriques, ainsi qu’aux soins de propreté nécessaires.

- article D 294 al 2 du CPP (transfèrement et extraction) Ils sont fouillés minutieusement avant le départ. Ils peuvent être soumis, sous la responsabilité du chef d’escorte, au port des menottes ou s’il y a lieu, des entraves, ...


- article D 406 al 3 du CPP
(des visites). « L’accès au parloir implique, outre la fouille des détenus avant et après l’entretien, les mesures de contrôle, jugées nécessaires à l’égard des visiteurs, pour des motifs de sécurité. "

Le détenu pourrait encourir une sanction disciplinaire s’il n’obtempère pas prononcée en sa présence par la commission disciplinaire de la prison.

- Une circulaire de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) du 14 mars 1986 relative à la fouille intégrale des détenus, fournit une description détaillée de la fouille à nu.

" L’agent, après avoir fait éloigner le détenu de ses effets, procède à sa fouille corporelle selon l’ordre suivant. Il examine les cheveux de l’intéressé, ses oreilles et éventuellement l’appareil auditif, puis sa bouche en le faisant tousser mais également en lui demandant de lever la langue et d’enlever, si nécessaire, la prothèse dentaire. Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d’inspecter les mains en lui demandant d’écarter les doigts. L’entrejambe d’un individu pouvant permettre de dissimuler divers objets, il importe que l’agent lui fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle. Dans le cas précis des recherches d’objet ou de substance prohibés, il pourra être fait obligation au détenu de se pencher et de tousser. Il peut également être fait appel au médecin qui appréciera s’il convient de soumettre l’intéressé à une radiographie ou un examen médical afin de localiser d’éventuels corps étrangers. Il est procédé ensuite à l’examen des pieds du détenu et notamment de la voûte plantaire et des orteils ".

Les fouilles intégrales devront être exercées dans un contexte qui les justifient afin de tenter de limiter les pouvoirs octroyés au chef d’établissement de sorte qu’il ne les exerce de façon totalement arbitraire...

Mais que se passera t-il lorsque les fouilles déraperont et s’avèreront répétitives, humiliantes ou dégradantes ? Pourraient-on s’y opposer ?

Chaque chef d’établissement pourra appliquer à sa sauce la circulaire ( dans la fréquence, et les modalités des fouilles, leur caractère subreptice ...), mais la Cour Européenne des Droits de l’Homme veillera....et les lois nationales devront s’adapter à ses décisions..

C’est sans doute en considération de sa Jurisprudence et de la condamnation de la France en 2007 que naturellement :

-  La LOI n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire NOR : JUSX0814219L a été amenée à rappeler les principes de dignité essentiels applicables à tout prisonnier...

article 22 : "L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue".
article 57 "Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues." Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes.
Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire."

Dans un article consacré à ce thème intitulé « Quand les fouilles cafouillent », j’envisagerai justement les dérapages et les sanctions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme...

Sabine HADDAD

Avocat à la Cour

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