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"A travail égal, salaire égal" : Mode d’emploi. Par Frédéric Chhum, Avocat
Parution : lundi 25 juillet 2011
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La devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » n’a pas de territoire interdit ; elle doit s’appliquer dans l’entreprise.

L’égalité de rémunération entre salariés est une déclinaison particulière du principe d’égalité de traitement dans l’entreprise.

Si par principe les parties au contrat de travail peuvent fixer librement la rémunération perçue par le salarié, elles doivent cependant le faire dans le respect des règles d’ordre public.

Plus contraignante que la seule interdiction de discrimination en fonction de critères expressément définis par la loi tels l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la religion, etc. (Art. L.1132-1 du Code du travail), l’égalité de rémunération suppose que l’employeur assure une rémunération identique pour les salariés placés dans la même situation.

A défaut, le salarié lésé par rapport à son collègue est fondé à demander la résiliation judiciaire ou prendre acte de la rupture de son contrat de travail tout en réclamant un rappel de salaire, à charge pour l’employeur de démontrer que la différenciation de rémunération repose sur des motifs objectifs.

1) Principe : égalité de rémunération pour un travail de valeur égale

L’article L.3221-2 du Code du travail dispose à cet égard que « tout employeur assure pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entres les femmes et les hommes  ».

Dans l’arrêt Ponsolle (Cass.Soc, 29 oct. 1996, n° 92-43.980), la Cour de cassation s’est appuyée sur ces dispositions légales pour étendre le principe « à travail égal, salaire égal  » aux différences de rémunération non justifiées entre salariés dans leur ensemble, en dehors de toute considération du sexe.

Dorénavant, l’employeur est tenu d’assurer une égalité de rémunération entre ses salariés placés dans une situation identique, c’est-à-dire exerçant un même travail ou un travail de valeur égale.

2) La conception étendue de la notion de rémunération

Lorsque l’on compare la rémunération d’un salarié avec celle d’un ou plusieurs autres salariés de l’entreprise, il convient de prendre en compte tout les éléments qui la composent de manière globale.

Ainsi, selon les termes de l’article L.3221-3 du code du travail, il faut entendre par rémunération non seulement « le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum  » mais aussi « tous les avantages et accessoires payés directement ou indirectement en espèces ou en nature par l’employeur en raison de l’emploi du salarié ».

L’élément essentiel à prendre en compte est bien le fait que les sommes versées au salarié soient liées à la relation de travail, et non la nature de ces sommes en elles-mêmes.

La Cour de Justice de l’Union européenne, tout comme la Cour de Cassation, y incluent notamment les avantages actuels mais aussi futurs les pensions versées par un régime professionnel à un salarié ou à son conjoint survivant, ou encore les indemnités versées par un employeur à l’occasion de la rupture du contrat de travail, telle que l’indemnité de licenciement pour cause économique.

La jurisprudence se contente donc parfois d’un lien très ténu entre l’emploi et la prestation.

De la même façon, toutes les rémunérations complémentaires diverses et variées sont retenues dans la comparaison, comprenant à titre indicatif les avantages en nature tels que les tickets-restaurant, ou encore les produits de l’épargne salariale (participation, intéressement, Plan d’Epargne Entreprise, …), la distribution d’actions, etc.

3) Conditions de la comparaison entre les salariés

La comparaison doit être effectuée entre des salariés placés dans une situation identique, c’est-à-dire :

a) Salariés appartenant à la même entreprise, y compris appartenant à des établissements différents au sein de cette même entreprise si les conditions de rémunération sont fixées par la loi, une convention ou par accord collectif commun.

En revanche, un accord collectif différend entre deux établissements d’une même entreprise ou un accord commun précisant les spécificités de chaque établissement peut justifier une différence de rémunération, tant que cette différenciation ne repose pas sur un critère discriminatoire.

De surcroît, par un arrêt du 21 janvier 2009 ( Radio France n°07-43.452, Bull. civ. V. ) la Cour de Cassation retient « qu’il ne peut y avoir de différences de traitement entre salariés d’établissements différents d’une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence  ».

Ainsi, constitue une raison objective réelle et pertinente justifiant une différence de rémunération, la différence du coût de la vie entre deux villes dans lesquels se situent les salariés de deux établissements distincts d’une même entreprise.

b) Salariés exerçant un même travail ou un travail de valeur égale

Concernant l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, l’article L.3221-4 du Code du travail dispose que « sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ».

De manière plus générale, deux types de critères combinés sont en œuvre pour établir la comparabilité de situation des salariés dans l’entreprise :

- En premier lieu, les critères que l’on peut qualifier de « fixes » faisant référence au poste et à ses caractéristiques, se déterminent au regard des grilles de classifications établies au sein de l’entreprise.

Toutefois, les juges retiennent de manière constante que la classification des travailleurs dans la même catégorie professionnelle prévue par la convention collective n’est pas à elle seule suffisante pour conclure à l’accomplissement d’un même travail ou un travail de valeur égale (Cass. Soc. 6 mars 2007).

- En complément, on utilise des critères plus « dynamiques » faisant référence aux fonction et conditions de travail réelles exercées par les salariés, préférant ainsi une analyse plus concrète de la situation des salariés.

La Cour de Cassation en procédant ainsi, retient qu’une DRH doit percevoir la même rémunération que les autres directeurs de l’entreprise, bien qu’a priori leurs fonctions soient différentes, en relevant notamment « une identité de niveau hiérarchique, de classification, de responsabilités, leur importance équivalente dans le fonctionnement de l’entreprise, leur poste exigeant en outre des capacités comparables et représentant une charge nerveuse du même ordre » ( Cass.soc. 6 juillet 2010, n° 09-40.021).

4) Justification des différences de traitement

La forte ingérence dans le pouvoir de direction et de gestion de l’employeur que constitue le principe" à travail égal, salaire égal" ne condamne pas pour autant l’individualisation des salaires, dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs réels et pertinents.

Il s’agit par conséquent pour l’employeur, lorsqu’un salarié conteste le montant de sa rémunération en soumettant au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité, d’apporter la preuve d’éléments objectifs pertinents et matériellement vérifiables de nature à justifier la différence de traitement.

Néanmoins cette justification est entendue très strictement par la jurisprudence.

Ainsi, dans un arrêt Bensoussan du 20 octobre 2010 (n°08-19.748), la Cour de Cassation a pu juger qu’un employeur qui accorde des tickets restaurants aux cadres et exclut les non-cadres de cet avantage en invoquant la sédentarité de ces derniers, n’apporte pas la preuve d’une justification objective à cette différenciation de rémunération.

De la même façon, la possession d’un diplôme d’une durée ou d’un niveau supérieur, ne peut justifier une différence de salaire qu’à la condition qu’il soit utile à l’exercice de la fonction occupée (Cass.Soc. 10 nov.2009, n°07-45.528).

De manière analogue, l’ancienneté peut justifier une différence de rémunération que si cette dernière n’est pas valorisée par ailleurs par une prime d’ancienneté, auquel cas cette justification ne sera pas valable dans la mesure où elle ne peut pas être utilisée deux fois.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum