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La prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Par Michaël Amado, Avocat
Parution : mardi 9 août 2011
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Nouvelles perspectives relatives à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, issues de la jurisprudence et de la proposition de Loi du 11 Mai 2011.

A ce jour, et depuis une jurisprudence de 2003, le salarié a la possibilité de prendre acte de faits qu’il reproche à son employeur et qu’il estime fautifs pour lui annoncer qu’il quitte l’entreprise en « prenant acte de la rupture de son contrat ». Le salarié impute ainsi à l’employeur la charge de cette rupture, en motivant le plus souvent son acte par le non-respect des obligations contractuelles.

Le salarié effectuera ou pas un préavis avant de quitter effectivement l’entreprise. (Le salarié n’est, en principe, pas tenu d’effectuer un préavis Cass. soc., 26 mai 2010, no 08-70.253, Sté des éditions de Tournon c/ Momet. Toutefois, la prise d’acte n’exclut pas la possibilité pour le salarié d’en exécuter un. Cass. soc., 2 juin 2010, no 09-40.215, Sté Sermat c/ Lévêque).

En retour, l’employeur, recevant ce courrier de « prise d’acte » (et ne pouvant bien évidemment en accepter les termes), attendra que le salarié ait quitté son poste pour le licencier pour faute grave du fait de son abandon de poste et/ou de son absence injustifiée. (La Cour de cassation a précisé que, dans la mesure où elle entraînait la cessation du contrat à l’initiative du salarié, l’employeur n’était pas tenu de délivrer une lettre de licenciement. Cass. soc., 3 févr. 2010, no 08-40.338, Sté Ecole bilingue Maria Montessori c/ Vidal. Néanmoins, cela lui est fortement recommandé, dans la mesure où ne pas entrer dans le cadre du licenciement reviendrait, pour l’employeur, à accepter les griefs qui lui sont reprochés).

Les documents POLE EMPLOI (anciennement ASSEDIC) étant remplis par l’employeur, ne mentionneront donc le plus souvent que le licenciement pour faute grave comme motif de rupture du contrat de travail.

Ce sera alors au salarié, s’il souhaite obtenir une requalification de ce motif de rupture, de saisir le Conseil de Prud’Hommes en sollicitant la requalification de son licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, demandant à cet égard à la juridiction la condamnation de l’employeur aux indemnités qui en sont la conséquence (Articles L 1234-1 (préavis) L 1234-9, R 1234-2 (indemnité de licenciement), L 1235-3 (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) ou L 1235-5 (indemnité pour licenciement abusif) du Code du travail).

Depuis un arrêt de principe du 25 Juin 2003, lorsqu’un salarié démissionne en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture constitue une prise d’acte et produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse [engendrant ainsi le paiement par l’employeur de toutes les indemnités y afférentes] si les faits invoqués la justifiait, soit, dans le cas contraire, d’une démission [pouvant priver le salarié aux allocations chômage ou limiter les possibilités de perception] (Cass. soc., 25 juin 2003, no 01-42.335, Célestin c/ Sté Perl Apprêts ; Cass. soc., 25 juin 2003, no 01-42.679, Sté Technoram c/ Levaudel ; Cass. soc., 25 juin 2003, no 01-43.578, Chiche c/ Sté Ecoles de danse Gérard Louas ; Cass. soc., 15 mars 2006, no 03-45.031, Sté Ahi Europe c/ Ragosta)

La Cour de cassation a récemment précisé que : la prise d’acte ne permettait au salarié de rompre son contrat de travail qu’à la condition qu’il justifie d’un ou plusieurs manquements suffisamment grave(s) de l’employeur, empêchant la poursuite de son contrat de travail. (Cass. Soc. 30 Mars 2010, n° 08-44236), formulation qui confère aux juridictions un important pouvoir d’appréciation.

La situation est donc dangereuse pour le salarié qui risque, si sa prise d’acte est requalifiée en une démission, non seulement de ne plus avoir droit aux allocations chômage, mais également de devoir rembourser les allocations déjà perçues (dans une hypothèse où il peut toujours être sans emploi)…

C’est pourquoi le salarié peut être tenté, au lieu de prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur, de saisir le Conseil de Prud’Hommes en sollicitant de la juridiction la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Mais, en pratique, les juridictions sont assez réticentes à prendre l’initiative de la rupture du contrat de travail, surtout si le salarié qui a saisi la juridiction d’une telle demande demeure dans l’entreprise au jour de l’audience de jugement, sous-entendant ainsi que si la situation était tellement difficile pour le salarié, il ne lui aurait pas été possible de demeurer dans l’entreprise durant tout le temps du procès (entre 9 mois et plusieurs années en cas d’appel).

Une proposition de loi n° 3418 a été enregistrée le 11 Mai 2011 par Madame Poleti, député UMP, créant les articles 1237-17 et suivants du Code du travail, visant à encadrer la prise d’acte de la rupture (que certains appellent, à tort « auto-licenciement ») par des dispositions légales codifiées.

ANALYSE DE LA PROPOSITION DE LOI :

L’essentiel de la proposition de loi vise à faire entrer dans le Code du travail des dispositions jurisprudentielles, ce mécanisme, devenant assez en vigueur en Droit du Travail.


Les nouveautés seraient les suivantes :


-  Deux nouvelles obligations pour le salarié au titre du formalisme de la rupture : la proposition de Loi dispose que :

- la prise d’acte devra être effectuée par écrit
- et ce courrier devra comporter tous les griefs reprochés à l’employeur.

Rappelons que, jusqu’à présent, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’est soumise à aucun formalisme, la Cour de Cassation ayant même décidé qu’elle pouvait valablement être présentée par l’avocat d’un salarié au nom de celui-ci. (Cass. soc., 4 avr. 2007, no 05-42.847, Sté Cartier industrie c/ Garic). Mais, en pratique, cela ne change pas véritablement la situation actuelle car il est déjà vivement conseillé au salarié de rédiger une lettre de prise d’acte suffisamment motivée et de la signer de la propre main (même si c’est son avocat qui lui tient la plume).

- En cas de prise d’acte, la charge de la preuve reposerait alors formellement sur le salarié. Ceci ne change pas la situation actuelle du salarié qui doit justifier de l’inexécution fautive par l’employeur de ses obligations pour pouvoir justifier du bien-fondé de la prise d’acte de rupture aux torts de ce dernier.

- « En matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail, le doute ne profite pas au salarié, … » ce qui s’avère contraire aux dispositions applicables en matière de licenciement précisant que la charge de la preuve pèse sur les deux parties, et que « si un doute subsiste, il profite au salarié » (Article L1235-1 du Code du travail).
Néanmoins, cela correspond aux décisions de la Cour de Cassation qui avait décidé que c’était au salarié d’apporter la preuve de faits réels et suffisamment graves à l’encontre de l’employeur (Cass. soc., 28 nov. 2006, no 05-43.901, Le Brizaut c/ AGS CGEA de Rennes et a.) et que si un doute subsiste, il profite à l’employeur. (Cass. soc., 30 mai 2007, no 05-44.685, Sté Distri Cholet c/ Vialatou).

- En cas de requalification de la prise d’acte en une démission, « l’employeur peut prétendre à une indemnité pour non-exécution du préavis par le salarié. »
Il s’agira alors pour l’employeur de justifier du préjudice subi du fait du brusque départ par le salarié (indépendamment, au moins en principe, du délai de préavis applicable, dans certaines Conventions collectives, en cas de démission).

Quelques remarques critiques :

Certains articles de la proposition de Loi du 11 Mai 2011 ne sont pas rédigés de manière claire, et devront être soumis au crible de juristes spécialisés en Droit du travail car certaines dispositions ne sont pas claires ou ne semblent pas correspondre au Droit positif. Il en est ainsi du premier article qui permettrait à l’employeur « de prendre acte de la rupture du contrat de travail de l’un de ses salariés en cas de manquements aux obligations personnelles de ce dernier. Dans ce cas, l’employeur devra mettre en place une procédure de licenciement comme elle est prévue aux articles L. 1232-1 et suivants ».

S’agit-il comme c’est le cas aujourd’hui, de limiter les cas de rupture à l’initiative de l’employeur au licenciement (outre les cas très limités de résiliation judiciaire quand la voie du licenciement ne lui est pas ouverte), de créer une nouvelle voie de rupture à l’initiative de l’employeur ou uniquement d’une inexactitude de la proposition de Loi ?

Rappelons que la Cour de Cassation a jugé que quels que soient les manquements du salarié, il n’est pas admis que l’employeur ait recours au procédé de la prise d’acte. Il doit, dans tous les cas, mettre en œuvre une procédure de licenciement. A défaut, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. (Cass. soc., 25 juin 2003, no 01-41.151, Sté Roto France’Ilienne c/ Pirinjak ; Cass. soc., 25 juin 2003, no 01-41.151, Sté Roto France’Ilienne c/ Pirinjak ; Cass. soc., 20 avr. 2005, no 03-42.436, Boumedienne c/ Sté Faïencerie Coursange et Cie ;Cass. soc., 23 mars 2011, no 09-42.122, Delaunay c/ Sté SCA Hygiène Products).

En outre, la proposition indique que « Sur l’attestation Pôle emploi, l’employeur devra préciser le mode de rupture, en apposant la mention « prise d’acte du contrat de travail ». Mais elle ne précise pas le sort du salarié en matière d’allocation chômage quand l’employeur aura coché cette case de « prise d’acte du contrat de travail » sur ce document Pôle emploi.

De même, quel sera l’intérêt pour l’employeur d’accepter un tel mode de rupture plutôt que de continuer à licencier pour faute grave le salarié ayant pris acte de la rupture ? Ne prendra-t-il pas un risque de voir les juridictions considérer qu’il a ainsi accepté l’argumentation et les griefs soulevés par le salarié et faisant ainsi courir à l’employeur un risque de condamnation frôlant la certitude ?

Les suites de cette proposition de Loi reproduite ci-après devront dont être examinées avec soin.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le chapitre VII du titre III du livre II de la première partie législative du code du travail est complété par une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4
« La prise d’acte de rupture du contrat de travail

« Art. L. 1237-17. – Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d’une démission.
« En prenant acte de la rupture de son contrat de travail, le salarié rompt immédiatement et définitivement son contrat de travail. Aucune rétractation de la prise d’acte ne sera possible.
« Il est également possible pour un employeur de prendre acte de la rupture du contrat de travail de l’un de ses salariés en cas de manquements aux obligations personnelles de ce dernier. Dans ce cas, l’employeur devra mettre en place une procédure de licenciement comme elle est prévue aux articles L. 1232-1 et suivants.

«  Art. L. 1237-18. – Pour que la prise d’acte de rupture du contrat de travail puisse être valable, celle-ci doit reposer sur des motifs et faits suffisamment graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail et qui devront être exposés dans la lettre de rupture.
« La lettre de rupture peut se faire par tous moyens écrits. Elle ne pourra être verbale.

« Art. L. 1237-19. – Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, l’employeur doit mettre immédiatement à la disposition du salarié ses documents de fin de contrat : certificat de travail, attestation Pôle emploi et solde de tout compte ».
« Sur l’attestation Pôle emploi, l’employeur devra préciser le mode de rupture, en apposant la mention « prise d’acte du contrat de travail.

« Art. L. 1237-20. – La requalification de la prise d’acte de rupture du contrat de travail en démission ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse sera appréciée souverainement par les juges du fond siégeant au conseil des prud’hommes en fonction des éléments produits par les parties.

« Art. L. 1237-21. – En matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail, le doute ne profite pas au salarié, sur qui pèse la charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur ».
« Il en est de même réciproquement lorsque c’est l’employeur qui prend acte de la rupture du contrat de travail.

« Art. L. 1237-22. – En cas de requalification par le conseil des prud’hommes de la prise d’acte de rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à :
« – Une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement, comme elles sont prévues par les articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail ;
« – Une indemnité compensatrice de congés payés ;
« – Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. ».
« En cas de requalification par le conseil des prud’hommes de la prise d’acte de rupture du contrat de travail en démission, l’employeur peut prétendre à une indemnité pour non-exécution du préavis par le salarié. »

Michaël AMADO Avocat à la Cour Chargé d'enseignements auprès des Universités AMADO AVOCATS Cabinet d'avocats - Law firm Site : www.Avocats-Amado.net [->michael.amado@avocats-amado.net]