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Quelques réflexions sur l’acquittement. Par Jacques Cuvillier.
Parution : mardi 30 août 2011
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Le Code de procédure pénale évolue constamment. Le Conseil constitutionnel [1] vient par exemple de rendre inconstitutionnel le deuxième alinéa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale, et les juges seront invités non seulement à motiver leurs décisions de culpabilité, mais également l’évaluation de la peine appliquée.
La procédure pénale peut sembler confuse pour le public pour qui un acquittement par la Cour d’assises est simplement la preuve de l’innocence de l’accusé, et peut-être aussi la marque que l’instruction n’a pas été effectuée correctement, que l’accusé avait été détenu injustement…La réalité est plus complexe.

Article actualisé par l’auteur en mars 2018.

Elle relève pourtant de questions qui, mieux comprises, pourraient grandement clarifier l’interprétation quelquefois simpliste que l’on donne des affaires fortement médiatisées.

Qu’il me soit donc permis ici d’apporter l’éclairage que Henri Hugues - alors Président de chambre honoraire à la Cour d’Appel d’Aix en Provence - nous a apporté par une note qu’il a communiquée à ses amis, et que nous avons remaniée pour tenir compte des évolutions du code de procédure pénale.

Les arrêts des cours d’assises doivent être motivés.

Ils ne l’étaient pas jusqu’en janvier 2012, et il était difficile de commenter un arrêt de cour d’assises sans connaître les motifs pour lesquels l’accusé a été condamné ou acquitté.
Depuis cette date, les magistrats sont tenus de rédiger après le délibéré du jury, une feuille de motivation, annexée à la feuille des questions, indiquant les motifs par lesquels il a retenu, a écarté, ou a atténué les charges à l’encontre de l’accusé, ou séparément pour chaque accusé s’il y en a plusieurs.
Article 365-1du Code pénal : "Le président ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l’arrêt ».
Ils doivent à présent justifier la peine retenue en raison de la décision du Conseil constitutionnel :
« les dispositions du deuxième alinéa de l’article 365-1 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme imposant également à la cour d’assises d’énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments l’ayant convaincue dans le choix de la peine  ».

Fonctionnement.

La Cour d’assises est actuellement constituée de trois magistrats professionnels, dont un président, et de six jurés, ou neuf jurés lorsque la cour siège à la suite d’un appel.
La délibération est secrète : elle a lieu dans la salle des délibérations qui peut dans certains cas se trouver en dehors du palais de justice.
Après un échange de vues, les magistrats et les jurés votent par écrit, à bulletins secrets. Seul le constat d’une majorité requise est retenu, le nombre de "Oui" n’est pas conservé, et les bulletins sont détruits immédiatement après le dépouillement, pour préserver le secret.
La question posée pour chaque accusé et chaque infraction est celle-ci : « X est-il coupable d’avoir à... le... ». Il est répondu soit par « oui », soit par « non », soit par un bulletin blanc. Notons que les bulletins blancs, ou déclarés nuls par la majorité, sont comptés comme favorables à l’accusé [2].
L’accusé est déclaré coupable si six au moins des votants (huit dans le cas de la cour d’assise statuant en appel) ont répondu "oui". À défaut de six (ou huit) "oui", l’accusé est acquitté.
L’accusé peut donc être acquitté alors qu’aucun des votants n’a voté « non », les indécis ayant déposé un bulletin blanc. Il est donc toujours acquitté par défaut.
La procédure est un peu plus complexe lorsque est invoquée comme moyen de défense l’existence de l’une des causes d’irresponsabilité. Chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation fait l’objet de deux questions posées ainsi qu’il suit :
" 1° L’accusé a-t-il commis tel fait ?" ;
" 2° L’accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article... du code pénal selon lequel n’est pas pénalement responsable la personne qui...  ? "

Secret des délibérations.

À l’issue de la délibération, seuls les magistrats professionnels et les jurés connaissent le nombre de « oui », de « non », et de bulletins blancs. À l’audience publique, lorsqu’il prononce l’arrêt, le Président ne dit pas comment se sont réparties les voix. En cas de condamnation, il dit seulement « à la majorité de six (ou huit) voix au moins ». On ne relève jamais qu’une décision a été prononcée à l’unanimité lorsque ce fut le cas.
Ces nombres ne sont écrits nulle part.
Il est formellement interdit à ceux qui ont pris part au vote de dévoiler le nombre de « oui », de « non », ou de bulletins blancs sous peine de poursuites pour violation du secret de la délibération. On peut observer d’ailleurs que celui qui violerait le secret serait dans l’impossibilité de prouver la vérité de ses allégations, aucun document ne mentionnant la répartition des voix.
Ainsi en cas d’acquittement, on peut seulement se livrer à des suppositions. La formule parfois employée par les médias : « au bénéfice du doute » est erronée et constitue une fausse information.

Inévitablement des coupables sont acquittés.

Si à la question de la culpabilité, cinq des votants sur six (ou sept sur neuf en appel) ont répondu « oui », l’accusé est acquitté.
Or ces chiffres ne reposent sur aucune considération impérative. Le législateur aurait pu tout aussi bien prescrire que l’accusé serait déclaré coupable à la majorité de cinq voix au moins, au lieu de six, et, en appel, à la majorité de sept voix au moins au lieu de huit. Ainsi il y aurait plus d’accusés déclarés coupables et moins d’accusés acquittés.
Ou bien, au contraire, si ces chiffres avaient été supérieurs (sept « oui », ou neuf), il y aurait eu moins de condamnés et plus d’acquittés.
Mais le législateur a préféré que les coupables soient acquittés plutôt que des accusés innocents soient condamnés. Une marge de sécurité doit nécessairement exister et cette marge comprend des accusés qui auraient été déclarés coupables si cette marge avait été différente.

Des jurés convaincus de la culpabilité de l’accusé votent parfois « non » à la question sur la culpabilité.

Ce qui préoccupe parfois le plus les jurés, ce n’est pas de répondre véritablement à la question sur la culpabilité. Ils sont davantage préoccupés par les conséquences sur la peine. S’ils ne sont pas sûrs que les autres votants prononcent une peine modérée, ils préfèrent voter « non ».
C’est ce qui se produit surtout lorsque la détention provisoire subie constitue déjà à leurs yeux une peine suffisante. Dans ces cas, ils préfèrent souvent voter « non » à la question sur la culpabilité, pour éviter aussi l’inscription d’une condamnation au casier judiciaire, ce qui pourrait nuire au reclassement de l’accusé. Ainsi des coupables doivent parfois leur acquittement à la détention provisoire.
Il arrive aussi que des votants à peu près convaincus de la culpabilité de l’accusé n’éprouvent tout de même pas cette certitude à cent pour cent absolument nécessaire pour voter « oui ». Le moindre doute interdit de voter « oui ». Au contraire, pour acquitter, il n’est pas besoin d’être convaincu de l’innocence.
Parfois encore, les votants, convaincus de la culpabilité de l’accusé ne sentent pas la force intérieure pour s’exprimer sur ce champ. Ceux-là auraient besoin d’un temps de répit pour affermir leur conviction. Mais à la Cour d’assises, on ne met pas en délibéré : il faut décider sans désemparer, avant le tirage au sort d’un autre jury qui siégera pour l’affaire suivante.
Parfois aussi, pour n’avoir pas pris suffisamment de notes au cours des débats - ce qui dans la pratique s’avère difficile, car les dépositions s’enchaînent sans pause - des jurés se trouvent en difficultés au moment de la délibération. Ils ne peuvent se remémorer avec certitude tel élément de l’affaire qui leur avait paru déterminant au cours des débats et qui entraînerait leur conviction s’ils le retrouvaient écrit dans leurs notes.
On peut imaginer quel a dû être le trouble de certains jurés, dans l’affaire d’Outreau, pour se déterminer, après plusieurs semaines d’audience, après une vingtaine de plaidoiries des avocats de la défense, qui ont toujours la parole les derniers.

Dans tous les cas, on ignore bien sûr les causes véritables de l’acquittement. L’accusé acquitté pourra demander une réparation pécuniaire pour détention abusive...même si c’est en considération de cette détention qu’il a été acquitté...ce qui fait qu’une personne réellement coupable pourrait même être indemnisée. En cas de nouvelle poursuite, elle sera considérée comme délinquante primaire...

Une décision d’acquittement peut dépendre aussi pour partie de l’atmosphère des débats.

À la suite de l’affaire d’Outreau, l’Inspecteur général des services judiciaires, Monsieur Raysseguier, assisté de six collaborateurs, a procédé à une étude remarquable du volumineux dossier de trois mille côtes de fond (chaque côte pouvant comporter plusieurs pages), plus les pièces de forme, et les dossiers dits de renseignements de personnalité. Il a été recueilli aussi des renseignements intéressants sur l’ambiance au cours des débats.
Ainsi, le rapport établi par l’inspection énumère diverses circonstances qui n’ont sans doute pas été sans effet sur l’issue : un « déséquilibre entre l’accusation et la défense au détriment de la première », un matraquage médiatique qui a pu influencer l’opinion publique et les jurés, un « manque de direction et de rigueur » au cours des débats. Effectivement, face à la pugnacité d’une vingtaine d’avocats de la défense, le président devait montrer une vigilance et une fermeté toutes spéciales... Sa tâche a été certainement très difficile.
Faut-il rappeler aussi (ce qui n’est pas mentionné dans le rapport), cette sorte de litanie prononcée à la Cour d’assises de Paris, à la fin du réquisitoire ? Énumérant les noms des six accusés, qui avaient fait appel de la condamnation prononcée à Saint-Omer, le magistrat chargé de l’accusation avait répété chaque fois, à la suite de chacun des noms, la même formule : « ...parce qu’il est innocent, je vous réclame son acquittement ».
On comprend qu’à la suite de cet effet oratoire, les avocats de la défense aient trouvé inutile de plaider… et on comprend peut-être aussi pourquoi dans les conversations courantes l’on emploie le terme « innocenté ».

Le nombre d’acquittement dépend pour partie de la volonté du législateur.

Depuis la loi du 15 juin 2000, le législateur a prévu la possibilité de faire appel des décisions de la cour des assises et, du même coup, a accru le nombre des acquittements. C’est ainsi que pour l’affaire d’Outreau, six accusés qui avaient été condamnés à Saint-Omer, dont deux aux peines sévères de sept ans et six ans de réclusion, ont été acquittés à Paris.
Avant cette loi, ces six accusés, condamnés à Saint-Omer, auraient été définitivement condamnés, sauf bien sûr les cas de cassation.
Par cette voie de recours, un accusé justement condamné peut toujours espérer par exemple un dépérissement des preuves, le décès ou l’empêchement d’un témoin dont on ne connaît pas la nouvelle adresse, la rétractation d’un témoin, un changement de perception de l’affaire dans lequel la communication des médias peut jouer un grand rôle...
Une différence essentielle subsistera toujours entre l’arrêt prononçant la condamnation de l’accusé et l’arrêt prononçant un acquittement, et ceci, curieusement, à l’encontre du principe selon lequel les réponses de la cour d’assises aux questions posées sont irrévocables [3]. L’arrêt de première instance et les convictions du jury peuvent-elles être considérées comme totalement non-avenues ou même fautives ?
En tout état de cause, l’on ignorera toujours les motifs pour lesquels la cour d’assises n’a pas retenu les « charges suffisantes » développées dans la décision de renvoi.

Voilà, la note est peut-être un peu longue, espérons qu’elle apportera quelques éclaircissements à ceux de nos concitoyens qui veulent mieux comprendre les décisions de justice.

Jacques Cuvillier

[1(n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018)

[2Article 358 du Code pénal.

[3Article 365 du Code de procédure pénale.

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