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L’étendue de la responsabilité pénale des dirigeants. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat
Parution : vendredi 2 décembre 2011
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Depuis la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 dite « Perben II », entrée en vigueur le 1er janvier 2006, la responsabilité pénale de la personne morale a été généralisée pour toutes les infractions commises à partir du 31 décembre 2005, même en l’absence de disposition expresse (article 121-2 al.1 du Code pénal).

Le cumul de la responsabilité pénale de la personne morale et celle de son dirigeant est possible (article 121-2 al.3 du Code pénal).

Toutefois, la responsabilité pénale des personnes morales avait été instaurée en particulier pour limiter l’engagement de celle des dirigeants.

Or, en dépit des recommandations de la Chancellerie, les dirigeants continuent à être le plus souvent poursuivis aux côtés de la personne morale, que l’infraction soit intentionnelle ou non.

I. Les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des dirigeants

- a. Faute personnelle :

Le dirigeant engage sa responsabilité pénale quand il se rend coupable d’une faute personnelle et est lui-même auteur de l’infraction à la réglementation.

- b. Faute des préposés :

Les juges retiennent également la responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise en cas d’infractions matérielles, « non intentionnelles », commises par un employé de l’entreprise, son préposé, dans le cadre de son travail (article 121-3 alinéas 1 et 2 du Code pénal).

Le dirigeant est en fait présumé avoir commis une faute de négligence dans son devoir de contrôle du seul fait que l’infraction du préposé est matériellement établie.

La justification de cette présomption tient ainsi au fait « qu’il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des prescriptions réglementaires. »

En revanche, les infractions intentionnelles commises par des salariés de l’entreprise ne peuvent engager la responsabilité des dirigeants.

- c. Complicité :

en application de l’article 121-7 du Code pénal, le dirigeant se rend complice d’un crime ou d’un délit, soit en facilitant sa préparation par aide ou assistance, soit en provoquant sa réalisation ou en donnant des instructions pour la commettre par don, promesse, menace, ordre ou abus d’autorité.

Il faut donc un acte positif d’aide ou assistance antérieur ou concomitant à l’infraction principale ainsi que la connaissance des éléments de l’infraction pénale reprochée à l’auteur principal.

- d. Recel :

En application de l’article 321-1, alinéa 1 du Code pénal, «  le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit » ; il s’agit du « recel par détention » ;

Un dirigeant peut ainsi être puni pour avoir accepté de recevoir sur son compte bancaire ou son compte courant d’associé des fonds provenant d’un crime ou d’un délit.

De même, en application de l’article 321-1, alinéa 2 du Code pénal « constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit ». Il s’agit alors du « recel-profit », le profit réalisé pouvant être direct ou indirect.

Est ainsi punissable l’appropriation des actions d’une société dont la valeur s’est trouvée améliorée grâce à un abus de biens commis au détriment d’une autre société.

II. Les peines encourues par les dirigeants d’entreprise

Alors que la responsabilité civile vise à réparer les dommages causés à un individu, la responsabilité pénale contraint l’auteur d’une infraction à répondre de ses actes devant la société ; la victime de l’infraction pouvant se constituer partie civile et profiter alors du procès pénal pour solliciter son préjudice résultant de ladite infraction.

- Peines encourues pour une contravention

L’employeur déclaré coupable d’une contravention encourt à titre principal une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 1500 € pour les contraventions de 5ème classe (article 131-13 du Code pénal) ; avec pour ces contraventions de 5ème classe possibilité de peines complémentaires comme la suspension, pour une durée d’un an au plus, du permis de conduire, l’interdiction, pour une durée d’un an au plus, d’émettre certains chèques et d’utiliser des cartes de paiement (article 131-14 du Code pénal).

- Peines encourues pour un délit

Le dirigeant pénalement responsable encourt les peines prévues à l’article 131-3 du Code pénal, à savoir : l’emprisonnement et/ou l’amende (de deux mois à dix ans d’emprisonnement (article 131-4 du Code pénal) et/ou à une peine d’amende qui sera d’au moins 3.750 euros (article 381 du CPP), Jour-amende ; stage de citoyenneté, TIG, sanction réparation.

Le dirigeant encourt également des peines privatives ou restrictives de droits « lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement » (article 131-6 du Code pénal). Ces peines privatives ou restrictives de droit sont notamment :

"1° La suspension de son permis de conduire, pour une durée de cinq ans au plus ;
9° L’interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’émettre certains chèques et d’utiliser des cartes de paiement ;
10° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou qui en est le produit ;
11° L’interdiction pour une durée de cinq au plus d’exercer une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procurent cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l’infraction ;
15° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale ;
"

Enfin, le dirigeant encourt également des peines complémentaires prévues l’article 131-10 du Code pénal, à savoir notamment fermeture d’un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.

- Peines encourues pour complicité, recel et en état de récidive

Le complice est puni comme s’il était l’auteur principal de l’infraction poursuivie (article 121-6 du Code pénal).

Le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende (article 321-1, al. 3 du Code pénal) ; le recel est puni de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 € d’amende « lorsqu’il est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle (…) » (article 321-2 du Code pénal).

Ces peines d’amende peuvent être élevées au-delà de 375 000 € jusqu’à la moitié de la valeur des biens recelés (article 321-3 du Code pénal).

III. Les infractions pénales

Un mouvement de dépénalisation de vie des affaires a été amorcé depuis une dizaine d’années.

Toutefois, les infractions qui peuvent être reprochées aux dirigeants d’entreprise restent très nombreuses et relèvent de branches très diverses du droit.

Il n’est pas question de lister de façon exhaustive toutes les infractions applicables mais de dresser les caractéristiques des catégories d’infractions qui concernent le plus grand nombre de dirigeants d’entreprise.

- a. Les infractions de droit commun

Un certain nombre d’infractions de droit commun appliquées au droit des affaires sont prévues dans le code pénal (abus de confiance, escroquerie, vol, faux en écritures, …).

L’escroquerie

Le délit d’escroquerie est prévu à l’article 313-1 du Code pénal :

«  L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de l déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.
 »

Les dirigeants sont déclarés coupables d’escroquerie - en règle générale - lorsqu’ils ont employé des manœuvres frauduleuses aux fins de procurer des fonds à leur entreprise.
Les manœuvres frauduleuses sont des plus diverses, et notamment :

- présentation de bilans falsifiés pour obtenir un emprunt auprès d’une banque ;
- réalisation d’une augmentation fictive de capital aux fins de tromper un prêteur éventuel ;

Les manœuvres doivent avoir été déterminantes dans la remise des fonds ou de valeurs ou dans la fourniture de service.

L’intention du dirigeant de commettre l’infraction doit par ailleurs impérativement être établie.

L’abus de confiance

Le délit d’abus de confiance est prévu à l’article 314-1 du Code pénal :

« L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
L’abus de confiance est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.
 »

Les dirigeants d’entreprise sont déclarés coupables d’abus de confiance le plus souvent pour avoir détourné des fonds qu’ils avaient reçus en qualité de mandataire.

Il en est ainsi du dirigeant qui avait reçu, à titre de mandat, les versements effectués par des souscripteurs à une augmentation de capital, les avait affectés aux besoins généraux de la trésorerie sociale, ladite augmentation ayant échoué, la société avait déposé son bilan et les souscripteurs n’avaient pu rentrer en possession des fonds remis.

Le faux et usage de faux

Le délit de faux et usage de faux est prévu à l’article 441-1 du Code pénal :

« Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.
Le faux et usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
 »

Est ainsi constitutif de délit de faux, l’établissement de procès-verbaux d’assemblées prétendument tenues et non effectivement réunies.

- b. Les infractions au droit des sociétés

Dans ses articles L. 241-1 à L. 248-1, le Code de commerce prévoit les infractions que peuvent commettre les sociétés et/ou leurs dirigeants, en énumérant des infractions spécifiques à certaines formes de Sociétés et en prévoyant également des « infractions communes aux diverses formes de sociétés commerciales. »

Une lecture de ces quelques articles du Code de commerce donne un premier aperçu de tout un volet des risques encourus pénalement par un dirigeant d’entreprise.

Les infractions les plus courantes sont l’abus de biens sociaux, l’émission de valeurs mobilières, la distribution de dividendes fictifs la présentation de comptes non-fidèles, l’abus de pouvoirs ou de voix. (C. com. art. L. 241-3, 5° et L. 242-6, 4°du C. com.).

- c. Les infractions au droit social

Les dirigeants d’entreprise encourent de très nombreuses infractions non intentionnelles liées à la législation du travail.

Rappelons que les juges retiennent la responsabilité pénale des dirigeants d’entreprise dans le cas de ces infractions « non intentionnelles », commises par un employé de l’entreprise, son préposé, dans le cadre de son travail, en application de l’article 121-3 al. 3 du Code pénal.

La responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise peut être engagée principalement sur le fondement du Code pénal et du Code du travail.

Parmi les infractions visées, il faut citer :

- Le délit de mise en danger d’autrui, réprimant les manquements graves aux mesures de sécurité ou de prudence même en l’absence de dommages (article 223-1 du Code pénal) ;
- Le harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 du Code du travail ;
- Les infractions lors de l’embauche (discrimination notamment) ;
- Les infractions relatives au travail dissimulé ;
- Les infractions lors de l’exécution du contrat de travail (atteinte à la durée légale du travail, au repos des salariés, aux salaires, aux inégalités hommes/femmes, …) ;
- Les infractions relatives aux règles d’hygiène et de sécurité (conditions de travail, CHSCT, …) ;
- Les infractions relatives au manquement de la représentation du personnel.
- Les dirigeants qui portent ou tentent de porter atteinte à l’instauration d’une institution représentative du personnel, à sa libre désignation ou à l’exercice régulier de ses fonctions se rend coupable du délit d’entrave.

Il est par ailleurs à noter qu’un dirigeant peut également être poursuivi pour diverses infractions à la législation sur les cotisations sociales, dont l’infraction de non-paiement des cotisations à l’échéance (art. R 244-4 à R 244-6 du Code de la Sécurité Sociale).

- d. Les infractions au droit des entreprises en difficulté

Il a été vu précédemment le risque très important en cas de liquidation judiciaire qu’encourent sur leur patrimoine personnel les dirigeants d’entreprise qui commettent des fautes de gestion à l’origine de l’insuffisance d’actif.

Les dirigeants d’entreprise prennent le risque de voir leur responsabilité pénale engagée notamment lorsqu’ils tardent à déclarer l’état de cessation des paiements ou dissimulent sa constatation.

Les dirigeants de l’entreprise en difficulté peuvent ainsi commettre différents délits au cours de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Le débiteur personne physique ou le dirigeant d’une personne morale qui demande l’ouverture d’une procédure de sauvegarde n’échappe à toute sanction qu’au titre de la banqueroute.

L’infraction principale qu’encourt le dirigeant de l’entreprise en difficulté est le délit de banqueroute.

Le délit de banqueroute est prévu par l’article L. 654-2 du C. com. :

« En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article L. 654-1 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après :
1° Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
2° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;
3° Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;
4° Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;
5° Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.
 »

Pour que le délit soit constitué, le dirigeant doit non seulement avoir commis les faits condamnables en connaissance de l’état de cessation des paiements mais ces actes doivent être réalisés dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

- e. La fraude

L’article 1741 du Code Général des impôts prévoit le délit fiscal et en détaille les éléments constitutifs ainsi que les peines qui s’y rattachent.

Le délit de fraude fiscale consiste dans le fait de se soustraire frauduleusement ou de tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt.

La fraude est donc caractérisée tant par l’existence de faits matériels permettant au contribuable (donc à la société) de se soustraire à l’impôt, que par une intention ou volonté délibérée de frauder, relevée en la personne du dirigeant.

Les procédés de fraude fiscale les plus fréquemment employés sont énumérés (de façon non limitative) dans l’article 1741 du Code Général des Impôts. Il s’agit de :

- l’omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits ;
- la dissimulation de sommes sujettes à l’impôt ;
- l’organisation d’insolvabilité.

- f. Autres domaines d’infractions

Le dirigeant d’entreprise peut également se voir reprocher d’autres infractions dans un certain nombre d’autres branches du droit qui n’est pas possible de traiter plus avant dans ce zoom. Il s’agit notamment d’infractions en matière de distribution ou de consommation, d’infractions au droit de l’environnement et au droit boursier.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com