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Démission du salarié et faute de l’employeur. Par Claudia Canini, Avocat
Parution : lundi 5 décembre 2011
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Lorsque les conditions de travail se dégradent, la santé du salarié est altérée ou son avenir professionnel compromis, lorsque les droits et à la dignité du salarié sont bafoués, ce dernier est contraint de démissionner.

Comment s’analyse le départ "provoqué" du salarié : démission ou licenciement aux torts de l’employeur ?

Faisons le point sur la jurisprudence.

CONDITIONS DE VALIDITÉ DE LA DÉMISSION DU SALARIÉ

Pour être valable, la démission doit obéir à un certain nombre de conditions.

Sur le fond il est exigé que le salarié démissionnaire fasse preuve d’une volonté claire, non équivoque et définitive de démissionner, sans intervention de l’employeur.

- Dès lors que l’employeur n’a pas versé au salarié une prime de transport prévue dans la convention collective, il en résulte que du fait du manquement délibéré et renouvelé de l’employeur à une de ses obligations, la rupture du contrat lui est imputable (Cass. soc., 24-04-2003, n° 01-40.377).

DÉMISSION AYANT POUR ORIGINE UNE FAUTE DE L’EMPLOYEUR

Quand une faute de l’employeur est à l’origine de la démission du salarié, il y a lieu de requalifier la rupture du contrat en un licenciement.

- La lettre de rupture du salarié qui invoque l’inexécution par l’employeur de ses obligations ne constitue pas l’expression claire et non équivoque de démissionner (Cass. soc., 17-12-1997, n° 95-41.74) ;

- Le salaire du mois de juin 1996 n’ayant pas été payé le 10 juillet 1996, ce comportement fautif de l’employeur entraînait une rupture du contrat de travail qui s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non en une démission (Cass. soc., 29-01-2002, n° 99-46.318) ;

- L’employeur s’étant abstenu de remettre au salarié des bulletins de paye et de lui verser des compléments d’indemnité de congés payés et de maladie, la rupture du contrat lui était imputable et s’analysait en un licenciement et non en une démission (Cass. soc., 07-05-2002, n° 00-40.724) ;

- Dès lors que la salariée n’a perçu son salaire d’avril que le 21 mai et que son salaire de juin ne lui a été payé que le 16 juillet, la rupture ne peut s’analyser en une démission (Cass. soc., 13-04-1976, n° 75-40.125) ;

- La rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement, la société ayant versé à l’intéressé ses salaires avec retard, ayant réduit brutalement sa rémunération et ayant commis des actes vexatoires (Cass. soc., 29-10-1996, n° 93-44.298) ;

- L’employeur, qui ne verse pas les rémunérations dues à leur échéance, que ces rémunérations résultent du contrat de travail, de la convention collective, d’un usage ou d’un engagement unilatéral de l’employeur, provoque la rupture du contrat de travail (Ass. plén., 18-11-1998, n° 96-42.932) ;

- La lettre du salarié imputant à l’employeur la rupture du contrat de travail ne constitue pas l’expression d’une volonté claire et non équivoque de démissionner (Cass. soc., 13-11-2002, n° 00-45.846, Cass. soc., 04-03-2003, n° 01-40.604) ;

- La démission est requalifiée en licenciement dès lors que la salariée a été contrainte de démissionner en raison de la carence de l’employeur qui ne lui a pas réglé l’intégralité des salaires qui lui étaient dus (Cass. soc., 19-10-2005, n° 04-40.924) ;

- La démission n’est pas valable si elle a été donnée suite à une faute de l’employeur, en cas de non-paiement des heures supplémentaires (Cass. soc., 27-02-2002, n° 00-40.240) ;

- La démission n’est pas valable si elle a été donnée à la suite de la fermeture par l’employeur du lieu de travail (Cass. soc., 27-03-2001, n° 98-45.370) ;

- Présenter une démission en invoquant des fautes de l’employeur entraîne les mêmes conséquences que prendre acte de la rupture du contrat de travail à ses torts (Cass. soc., 15-03-2006, n° 03-45.031, Cass. soc., 13-12-2006, n° 04-40.527) ;

- Le fait pour un salarié d’avoir refusé les nouvelles conditions de rémunération fixées par l’employeur, justifie de l’existence d’un différend antérieur ou contemporain à sa démission, de sorte que la démission s’analyse en une prise d’acte de la rupture (Cass. soc., 27-10-2009, n° 08-41.458) ;

- Le salarié quittant l’entreprise après avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison du différend l’opposant à son employeur ne manifeste pas une volonté non équivoque de démissionner (Cass. soc., 07-04-2010, n° 08-40.376) ;

- Ne caractérise pas une volonté claire et non équivoque de démissionner, la salariée, qui collationnait ses heures de présence et qui s’en était plainte et avait dénoncé cette situation un peu plus de 2 mois après la rupture de son contrat de travail (Cass. soc., 20-10-2010, n° 09-65.148) ;

- Ne caractérise pas une volonté de démissionner claire et non équivoque, la réclamation par le salarié d’un solde de salaire à son employeur dans un temps proche de sa démission (Cass. soc., 01-02-2011, n° 09-66.942) ;

Une situation de stress ou de souffrance au travail ne caractérise pas forcément une situation de harcèlement moral.

- Un harcèlement moral ne peut simplement résulter d’un stress, d’un conflit personnel, du pouvoir disciplinaire d’organisation de l’employeur, mais doit être la conséquence d’une volonté réitérée de l’employeur portant atteinte à la dignité de la personne (Cass. soc., 17-06-2009, n° 07-43.947) ;

- Constitue un harcèlement moral le fait, pour un employeur, de se livrer de manière répétée et dans des termes humiliants à une critique de l’activité de cette dernière en présence d’autres salariés (Cass. soc., 08-07-2009, n° 08-41.638) ;

- Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié par des agissements répétés ayant pour objet ou effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail (Cass. soc., 19-01-2011, n° 09-67.463) ;

- L’employeur ayant infligé au salarié de nombreuses brimades et l’ayant privé des moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de ses missions, la cour d’appel a à bon droit caractérisé le harcèlement moral dont le salarié avait été victime (Cass. soc., 23-03-2011, n° 09-68.147).

MON CONSEIL

La requalification d’une démission en licenciement ou l’appréciation des torts de l’employeur relève de l’appréciation souveraine des juridictions prud’homales.

Il est donc conseillé au salarié victime d’agissement rendant impossible la poursuite du contrat de travail, de porter à la connaissance de son employeur les faits reprochés dans un courrier circonstancié en lui demandant d’y remédier.

Cette démarche présente l’avantage de matérialiser les torts de l’employeur et dans certains cas, de permettre soit la poursuite du contrat de travail dans des conditions plus sereines ou à l’inverse, d’envisager une rupture conventionnelle.

Claudia Canini Avocat au Barreau de Toulouse Droit des majeurs protégés www.canini-avocat.com