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Les conséquences civiles et pénales de la délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité. Par Fabien Kovac, Avocat
Parution : mardi 3 janvier 2012
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Le chef d’entreprise peut être exonéré de sa responsabilité pénale s’il justifie avoir délégué ses pouvoirs à un salarié compétent.

C’est le délégataire qui sera alors tenu pénalement responsable des infractions aux dispositions de la législation sociale dont l’application lui incombait en vertu de cette délégation.

Il convient tout d’abord de rappeler que le chef d’entreprise ne pourra se prévaloir utilement de l’effet exonératoire de la délégation de pouvoirs que si et seulement si le salarié délégataire a été pourvu de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires pour remplir sa mission, ce qui signifie, concrètement, que le délégataire doit disposer :

-  de connaissances techniques et juridiques ;
-  d’une indépendance certaine par rapport au chef d’entreprise ;
-  d’un pouvoir de commandement ;
-  d’un pouvoir d’organisation du travail et d’un pouvoir disciplinaire ;
-  enfin, de moyens financiers.

Lorsque les conditions de l’effet exonératoire telles que sus énoncées sont remplies, voyons alors quelles en sont les conséquences civiles et pénales.

I. Le transfert de la responsabilité du chef d’entreprise

A. Le délégataire est responsable pénalement

Dès lors que le salarié assumait, dans le cadre d’une délégation de pouvoirs, la responsabilité d’un chef d’entreprise au moment où l’infraction a été commise, il doit répondre de cette infraction aux lieu et place du chef d’entreprise.

La délégation de pouvoirs a un double effet :

- identifier un nouveau responsable, le délégataire ;
- libérer l’ancien responsable, le chef d’entreprise.

L’effet est radical.

En matière de délégation de pouvoirs sur le respect des règles de sécurité, lorsqu’un accident corporel résultant de l’inobservation des règlements est imputable au délégataire, c’est ce dernier qui fait l’objet de poursuites pour homicides ou blessures par imprudence.

Les Juges du fond doivent caractériser la faute personnelle du délégataire en fonction des circonstances de chaque espèce.

Exemple 1 : Commet une faute personnelle le directeur salarié délégataire des pouvoirs de l’employeur sur le chantier où des manquements au système règlementaire de protection sur les échafaudages ont été constatés.

L’argument selon lequel les ouvriers placés sous ses ordres auraient de leur propre initiative retiré les garde-corps initialement mis en place, demeure sans portée, dès lors que le responsable désigné par les textes n’est pas seulement tenu de fournir les éléments de protection prévus par la règlementation, mais aussi de tenir la main à leur utilisation effective (Cassation Criminelle 9 février 1982 MARESCHAL ; dans le même sens Cassation Criminelle 3 mai 1978 Juri-Soc 1978 F75 ; Cassation Criminelle 5 octobre 1982 Juri-Soc 1983 Sj0 ; Cassation Criminelle 3 janvier 1986 Juri-Soc 1986 Sj 63 ; Cassation Criminelle 9 janvier 1996 Juris Data n°1996-001661).

Exemple 2 : En revanche, est à bon droit relaxé de la prévention d’infraction aux règles relatives à la sécurité des travailleurs le conducteur de travaux, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité qui, n’ayant pu prévoir ni empêcher un comportement dangereux de la part d’un ouvrier doté d’une grande expérience professionnelle (de plus de 20), n’a commis aucune faute personnelle de nature à engager sa responsabilité au sens de l’article L263-2 du Code du Travail (Cassation Criminelle 14 octobre 1986 Bulletin Criminel 1986 n°288).

Enfin, le salarié délégataire répond non seulement des conséquences pénales de son propre fait (par exemple refuser de consulter une institution représentative du personnel : délit d’entrave), mais également des conséquences pénales du fait des personnes placées sous son autorité.

B. Exonération de la responsabilité pénale du chef d’entreprise

L’effet exonératoire a pour effet d’orienter la répression d’une personne vers une autre.

Le chef d’entreprise n’est donc pénalement responsable de rien, il ne peut notamment rester tenu responsable comme coauteur.

Seul répond pénalement des violations de la Loi dans l’entreprise celui qui était tenu de veiller à son application (Cassation Criminelle 12 janvier 1988 n°85-95.950).

C. Limites de l’effet exonératoire de la délégation de pouvoir

1. À l’égard du chef d’entreprise

Tout d’abord, cela apparaît une évidence, mais autant le rappeler : l’effet exonératoire ne vaut que pour les infractions commises dans l’exercice des pouvoirs que le chef d’entreprise a délégués.

Pour les infractions étrangères aux pouvoirs qu’il a délégués, le chef d’entreprise demeure pénalement responsable.

Par ailleurs, l’effet exonératoire devra être écarté lorsqu’il y a eu « participation personnelle  » du chef d’entreprise, c’est-à-dire dès lors qu’il n’a pas abandonné le pouvoir prétendument délégué et a perturbé l’activité de son délégué.

Exemple : S’agissant d’un recours à des salariés dissimulés, la délégation de pouvoirs donnée à un directeur régional par un Président du directoire n’a eu aucun effet exonératoire dès lors « que ces pratiques illicites généralisées procèdent d’un « choix de stratégie », le recours à la sous-traitance, dans ces circonstances, n’étant pas limité à la direction régionale de Toulouse ». (Cassation Criminelle 17 juin 2003 n°02-84.224)

2. À l’égard de la personne morale

Le salarié délégataire répond-il seul des infractions pénalement constatées ou conjointement avec la société employeur ?

La solution ne fait aujourd’hui plus de doute : délégation de pouvoirs ne peut engager et donc profiter à la personne morale, de sorte que sa responsabilité pénale est susceptible d’être engagée.

D. La responsabilité civile du délégataire

Avec l’arrêt COUSIN rendu en Assemblée Plénière le 14 décembre 2001 (Cassation Assemblée Plénière 14 décembre 2001 Juris Data n° 2001-012267), la Cour de Cassation a décidé que «  le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci  ».

Avec cette jurisprudence, seule la faute pénale intentionnelle du salarié permettait d’engager sa responsabilité, à l’exclusion de la faute pénale d’imprudence.

La jurisprudence a, en la matière, connu une évolution avec un arrêt rendu le 28 mars 2006 (Cassation Criminelle 28 mars 2006 n°05-82.975).

L’affaire soumise à la Cour était la suivante : à la suite d’un accident sur un chantier (celui du stade de France), un ouvrier avait été tué et un autre blessé.

La responsabilité pénale du directeur du chantier, un salarié ayant reçu délégation de pouvoirs de l’employeur, avait été retenue sur le fondement de l’homicide et des blessures involontaires, les Juges ayant estimé que le préposé, auteur indirect des dommages, avait commis une faute qualifiée au sens de la Loi du 10 juillet 2000.

Les proches demandèrent alors des réparations civiles qui leur furent accordées par les Juges du fond et la Cour de Cassation les en approuve.

Dans le cadre du pourvoi, le salarié se prévalait de la jurisprudence COUSIN (Cassation Assemblée Plénière 14 décembre 2001 Juris Data n° 2001-012267), qui exige une faute intentionnelle pénalement qualifiée pour engager sa responsabilité (lui-même étant déclaré coupable d’une seule faute pénale d’imprudence).

La Cour de Cassation a néanmoins admis la condamnation du salarié en observant que «  le préposé, titulaire d’une délégation de pouvoirs, auteur d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du Code Pénal, engage sa responsabilité civile à l’égard du tiers victime de l’infraction, celle-ci fût-elle commise dans l’exercice de ses fonctions ».

Par cet arrêt, la Cour procède donc bien à une extension de la responsabilité civile des salariés, puisque désormais une faute d’imprudence suffit à engager la responsabilité civile du salarié délégataire (la faute d’imprudence se distinguant de la faute intentionnelle en ce que si le comportement consistant en une prise de risque a été voulu, le résultat en revanche n’a pas été recherché).

Ceci étant, on l’a vu, parce qu’elle implique une modification du contrat de travail, la délégation de pouvoir nécessite l’accord du salarié.

Mais quelles seraient les conséquences d’un refus par le Salarié de la délégation de pouvoir qui lui est soumise ?

En d’autres termes, le licenciement d’un salarié au motif qu’il a refusé une délégation de pouvoir serait-il légitime ?

Un arrêt a récemment été rendu à cet égard par la Cour d’Appel de LYON à la date du 31 mai 2011 (CA LYON Chambre Sociale A 31 mai 2011 n°10/048369).

L’espèce soumise à la Cour est la suivante : un salarié embauché en qualité de Conducteur d’Engins devenu ensuite Chef de Chantier avec la qualification Agent de Maitrise, Niveau G, refuse de signer une Délégation de Pouvoir.

Il est ensuite convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement.

Lors de cet entretien, la Société explique au salarié la nécessité de se conformer aux règles de l’entreprise en matière de délégation de pouvoir.

Le Salarié sollicite alors un délai supplémentaire de réflexion avant une éventuelle acceptation et finit par signer cette délégation avec l’adjonction manuscrite suivante :

«  Sous réserves des moyens, de l’autorité et des compétences qui me sont allouées en matière d’hygiène et de sécurité ; de délivrance des autorisations de conduite ainsi que lors des absences physiques ».

Estimant que ces réserves vidaient la délégation de pouvoir de son contenu et que l’attitude du salarié ne permettait pas de lui confier des responsabilités, la société le licencie pour cause réelle et sérieuse.

Le Conseil de Prud’hommes de LYON juge le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.

La Cour d’Appel va réformer le jugement entrepris et retenir que le licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse.

Pour ce faire, la Cour d’Appel retient qu’il ressort de la délégation de pouvoir soumise au salarié que, contrairement à l’article 2.4 de la Convention Collective Nationale des ETAM des Travaux Publics, le salarié ne disposait de pouvoir précis en matière financière et disciplinaire, ce qui en fait lui conférait peu d’autonomie et d’autorité.

Rappelons en effet que l’article 2.4 de la Convention Collective Nationale des ETAM des Travaux Publics dispose :

« Les entreprises formalisent, par écrit, à partie du niveau F, les délégations de pouvoir donnée aux ETAM indiqant de manière précise :

- Les fonctions effectivement occupées ;
- Les pouvoirs transférés au délégataire et dans quel domaine ;
- Les procédures ordinaires ou urgentes par lesquelles le délégataire rend compte de sa délégation ;
- Les moyens matériels, humains et financiers dont dispose le délégataire pour assurer ses responsabilités ;
- Le pouvoir de sanction dont il dispose ;
- La durée de la délégation qui doit être en rapport avec la mission à effectuer et sa durée ;
- Le cas échéant, les formations permettant au délégataire d’avoir les compétences requises
 »

La Cour en déduit que le refus opposé par le Salarié revêtait conséquemment un caractère justifié, ce qui prive le licenciement d’une cause réelle et sérieuse.

En conclusion, cet arrêt tend à admettre que le licenciement d’un salarié au motif qu’il a refusé une délégation de pouvoir :

- Est dénué de toute cause réelle et sérieuse si le refus du salarié est justifié, c’est-à-dire si la délégation de pouvoir qui lui a été soumise ne lui conférait pas l’autorité, la compétence et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission.

- A l’inverse, le licenciement d’un salarié au motif de son refus d’une délégation de pouvoir reposerait sur une cause réelle et sérieuse dès lors de la délégation de pouvoir soumise lui confèrerait l’autorité, la compétence et les moyens nécessaires à l’exercice de sa mission.

En définitive, c’est à la Jurisprudence applicable au licenciement faisant suite à un refus du salarié de voir modifier son contrat de travail (pour un motif autre qu’économique) qu’il convient de se référer.

En la matière, il appartient au Juge du Fond de rechercher si la décision de l’Employeur de procéder à la modification était justifiée (Cassation Sociale 10 décembre 1996 n°94-40.300 ; Cassation Sociale 28 Janvier 2005 n°03-40.639 ; Cassation Sociale 16 novembre 2005 n°03-42.512) ou si elle est intervenue dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle (Cassation Sociale 28 mars 2006 n°04-41.016).

Par Fabien Kovac Avocat au Barreau de Dijon Associé au Cabinet DGK Avocats et Associés inscrit aux Barreaux de Dijon et Auxerre www.cabinetdgk.com www.maitrekovac.fr
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