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Inaptitude et reclassement : La protection renforcée des salariés. Par Judith Bouhana, Avocat
Parution : mercredi 14 mars 2012
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L’inaptitude au travail concerne chaque année en France plus d’un million de salariés dont les postes sont aménagés suivant les avis des médecins du travail.
Parmi eux, plusieurs dizaines de milliers de salariés seront licenciés pour inaptitude à tout poste voir « danger immédiat » (sources : Ministère du travail, de l’emploi et de la santé).

La situation est la suivante : vous avez été déclaré inapte à votre poste de travail par le médecin du travail. Votre employeur a l’obligation de procéder à une recherche de votre reclassement qui doit être à la fois :

- compatible avec votre état de santé et pour ce faire l’employeur doit suivre les conclusions écrites du médecin du travail et les précisions qu’il a données sur les postes qu’il a jugé compatible avec votre état de santé.

- et le plus proche possible de l’emploi que vous avez précédemment occupé « au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail » suivant les termes de la loi (article L 1226-2 et L 1226-10 du code du travail).

Les juges veillent au respect par l’employeur de son obligation de reclassement.
Pour ce faire ils élaborent sans cesse une jurisprudence protectrice des droits du salarié.

Les récentes décisions exigent de l’employeur une recherche concrète, réfléchie, inscrite dans la durée et étendue au groupe dont fait partie l’entreprise (1) et qui ne se limitent pas au simple refus par le salarié de la/les proposition (s) de reclassement (2) :

1/ L’obligation de reclassement appréciée au regard du comportement de l’employeur :

L’employeur doit rechercher concrètement le reclassement de son salarié (Cour de Cassation chambre sociale arrêt du 1er février 2012 n° 10 - 27 067)

La Cour de Cassation met à la charge de l’employeur l’obligation d’aller rechercher auprès du médecin du travail les précisions permettant le reclassement du salarié si celui-ci n’a pas été assez explicite dans son avis.

« Mais attendu qu’il résulte des dispositions de l’article L. 1226-2 du code du travail que l’employeur doit, au besoin en les sollicitant, prendre en considération les propositions du médecin du travail en vue d’un reclassement du salarié ;

Et attendu que la cour d’appel, qui, au vu de l’ensemble des éléments produits devant elle, a, sans se contredire, constaté que l’employeur ne rapportait pas la preuve d’une démarche concrète en vue d’un éventuel reclassement de M. X..., a pu en déduire que cet employeur n’avait pas satisfait à son obligation de recherche d’un reclassement ;"

- L’employeur doit établir qu’il a procédé avec réflexion à la recherche de reclassement de son salarié, et même en cas d’avis contraire du médecin du travail ( Cour de cassation chambre sociale arrêt du 1 février 2012 n°10-23500).

Un salarié délégué médical a été déclaré inapte définitivement à la reprise de son poste par le médecin du travail qui a visé un danger immédiat, puis licencié par son employeur pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L’employeur avait interrogé le médecin du travail sur des postes de reclassement envisagés qui lui avait répondu "que les aptitudes restantes du salarié ne lui permettaient pas de proposer un reclassement ou un aménagement de poste au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe".

La Cour de Cassation a néanmoins approuvé la cour d’appel qui a jugé sans cause réelle et sérieuse ce licenciement en l’absence de recherche loyale et sérieuse de reclassement après avoir relevé que :

« L’employeur qui avait transmis à M. X..., sans réflexion sur la pénibilité ou l’adaptation du poste à son état de santé, des documents destinés à l’ensemble des salariés du groupe, ne s’était pas interrogé sur la possibilité d’aménager un des postes ou le temps de travail de ce salarié…".

- L’employeur doit justifier d’une recherche de reclassement inscrite dans la durée

L’impossibilité de reclassement notifiée 2 jours après l’avis d’inaptitude du médecin du travail ne permet pas de considérer que la recherche de reclassement a été effectuée sérieusement (Cour de cassation chambre sociale arrêt du 1er février 2012 n° 11 - 10 837).

Il s’agissait d’une salariée déclarée inapte par le médecin du travail à la suite de 2 visites des 11 et 25 juillet 2006 informée par l’employeur le 27 juillet 2006 de son impossibilité de la reclasser au sein de l’entreprise puis licenciée le 4 septembre 2006 :

"Mais attendu que…, la cour d’appel, analysant la situation à compter du 25 juillet 2006, a constaté que l’employeur avait, seulement deux jours après cette date, indiqué à la salariée le caractère négatif de ses recherches  ; qu’ayant pu déduire de ses constatations l’absence de recherche sérieuse de reclassement, elle a légalement justifié sa décision".

- La recherche de reclassement doit s’effectuer dans le groupe dont fait parti l’entreprise (Cour de cassation chambre sociale arrêt du 14 décembre 2011 n° de pourvoi : 10-19652)

C’est ce que constate la Cour de Cassation approuvant la cour d’appel d’avoir considéré que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement :

- puisqu’il n’établissait pas qu’un poste avait pu être proposé au salarié au besoin par voie de transformation de poste, de mutation ou d’aménagement du temps de travail

- et alors "qu’aucune recherche de reclassement n’avait été effectuée dans les sociétés du groupe implantées en Europe alors que l’intéressée avait déjà démontré par le passé sa mobilité".

2/ L’interprétation par les juges du ou des refus par le salarié des propositions de reclassement

-  Lorsque le salarié inapte refuse la proposition de reclassement de son employeur en indiquant qu’elle est contraire aux préconisations du médecin du travail il appartient à l’employeur de recueillir l’avis complémentaire du médecin du travail.

La jurisprudence sur ce point est désormais fixée puisque l’arrêt de la Cour de Cassation chambre sociale du 25 janvier 2012 n° 10 - 36 137 confirme notamment sa précédente jurisprudence du arrêt du 6 février 2008 n° 06 - 44 413.

Lorsque le médecin du travail donne des précisions sur les fonctions et les tâches pouvant être confiées au salarié, et que la salariée refuse une proposition de reclassement en indiquant expressément qu’elle est contraire à l’avis du médecin du travail, il appartient à l’employeur de recueillir auprès du médecin du travail un avis complémentaire :


"Mais attendu que le refus par un salarié d’un poste proposé par l’employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n’implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation ;

qu’après avoir relevé que l’employeur avait fait preuve d’une célérité particulière en mettant en oeuvre la procédure de licenciement trois jours après l’avis d’inaptitude du médecin du travail alors que celui-ci préconisait deux types de poste en vue du reclassement du salarié, la cour d’appel a constaté que la société n’avait pas fourni de précision sur une proposition verbale dont elle se prévalait, alors que le salarié avait fait valoir qu’elle comportait des tâches de manutention interdites par le médecin du travail ;

qu’ayant relevé que l’employeur n’avait pas indiqué si ce poste aurait pu être aménagé conformément aux obligations prescrites par la loi et qu’il n’avait pas sollicité l’avis complémentaire du médecin du travail, elle a pu décider que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

- Le refus réitéré du salarié d’une proposition de reclassement n’établit pas à lui seul que la recherche de reclassement a été effectuée sérieusement (Cour de Cassation chambre sociale arrêt du 14 décembre 2011 n° : 10-24049).

Un salarié en arrêt de travail pour "dépression réactionnelle" a fait l’objet d’un avis d’inaptitude avec réserves du médecin du travail et est licencié après avoir refusé deux propositions de poste de son employeur.

Dans cet arrêt l’entreprise faisait parti d’un groupe international disposant de nombreux sites.

La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel qui a considéré que l’entreprise ne justifiait pas de l’impossibilité de reclassement du salarié par la seule démonstration du refus réitéré du salarié de deux propositions de reclassement.

"Mais attendu qu’après avoir exactement retenu que le refus par le salarié, déclaré inapte à son poste, d’une proposition de reclassement n’implique pas à lui seul le respect par l’employeur de son obligation de reclassement et qu’il appartient à ce dernier, quelle que soit la position prise par le salarié, de tirer les conséquences de ce refus,

soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de l’intéressé aux motifs de l’impossibilité de reclassement,

la cour d’appel, sans ajouter à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas, a constaté que la société, qui faisait partie d’un groupe international disposant de plusieurs dizaines de sites, ne justifiait pas, au-delà de deux propositions faites au salarié, avoir effectué toutes les recherches utiles dans toutes les entreprises du groupe dont les activités, l’organisation et le lieu d’exploitation permettaient la permutation de tout ou partie du personnel ; qu’elle a ainsi, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;"

Cette jurisprudence est confirmée un mois après par l’arrêt qui suit :

- Le seul refus par le salarié de la proposition de reclassement de l’employeur ne justifie pas à lui seul le respect par l’employeur de son obligation de reclassement, l’employeur doit établir l’impossibilité de reclassement (Cour de Cassation chambre sociale arrêt du 25 janvier 2012 n° 10 - 19 966).

Dans cet arrêt l’employeur invoquait le fait que la salariée qui contestait son licenciement sans cause réelle sérieuse n’avait pas critiqué les démarches de l’employeur en vue de rechercher son reclassement et qu’elle avait refusé le poste d’agent de service proposé par l’employeur, conformément selon lui aux préconisations du médecin du travail.

Cet argument est insuffisant pour la Cour de Cassation qui approuve la cour d’appel d’avoir considéré ce licenciement sans cause réelle sérieuse, l’employeur n’établissant pas l’impossibilité de reclasser la salariée :

"Attendu que l’avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à son poste ne dispense pas l’employeur de rechercher une possibilité de reclassement au sein de l’entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail ;

qu’il appartient à l’employeur tant de tirer les conséquences du refus par le salarié du poste de reclassement proposé, soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de ce salarié au motif de l’impossibilité de reclassement, que d’établir, en ce cas, cette impossibilité ".

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com