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Questions-réponses sur la confirmation de la condamnation de Total dans l’affaire Erika par la Cour de cassation.
Parution : mardi 25 septembre 2012
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Alors que c’est toute la procédure qui risquait d’être annulée et de provoquer un véritable tollé, la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 septembre 2012 a confirmé les condamnations prononcées en 2010 par la Cour d’appel de Paris dans la désormais très célèbre affaire du naufrage de l’Erika.
Retour sur cette décision avec Me Thierry Gallois, Avocat, Associé et Me Evguenia Dereviankine, Avocat, Directeur de Mission du cabinet Racine.

En 2010, Total avait écopé d’une amende de 375 000 euros mais avait été exonéré de responsabilité civile. Or, dans son arrêt, la Cour de cassation condamne le groupe à « réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses coprévenus d’ores et déjà condamnés » à des dommages et intérêts.

Village de la justice : Que pensez vous de cette décision dans son ensemble ?

"Pour nous, l’apport principal en droit de l’arrêt de la Cour de cassation se situe non pas tant sur le terrain du droit de l’environnement que sur celui du droit de transport maritime.

Celui-ci bouleverse en effet les relations telles qu’elles avaient jusqu’à présent été définies entre le chargeur, l’affréteur et le fréteur du navire. La Cour considère en effet, tant en confirmant le principe de la responsabilité pénale de la société TOTAL, admis par la cour d’appel, qu’en y adjoignant le principe de la responsabilité civile de celle-ci, refusé par la cour d’appel, qu’un chargeur puisse être considéré comme « exerçant un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire » et être assimilé de ce fait au affréteur à temps, voir au fréteur du navire, du simple fait qu’il applique des règles de sélection du navire qu’il s’est lui-même imposé et qui, de surcroît, ne lui permettent pas, à notre sens, de contrôler réellement la gestion ou la marche du navire. Pour mémoire, ces fameuses règles, dites de « vetting », n’autorisaient la société TOTAL ni de monter à bord du navire, sauf pendant les phases de chargement et de déchargement du navire, ni de donner des ordres au capitaine et au personnel navigant de celui-ci.

Dans ces conditions, considérer que la société TOTAL avait le pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire nous semble discutable."

Village de la justice : Que pensez-vous de la condamnation de la société Total à « réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses coprévenus d’ores et déjà condamnés » à des dommages et intérêts ?

"Rappelons que l’article III de la Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures interdit de demander la réparation de dommage par pollution à des personnes autres que le propriétaire du navire, « à moins que le dommage ne résulte de leur fait ou de leur omissions personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ».

En appel, la société TOTAL, qualifiée par la cour de « véritable affréteur à temps de l’Erika », a bénéficié de l’exclusion de responsabilité prévue par cet article III. La cour d’appel a en effet considéré que le fait pour la société TOTAL d’avoir affrété l’Erika sans respecter les règles de « vetting » qu’elle avait elle-même mis en place ne pouvait pas être assimilé à une faute commise avec conscience de ce qu’un dommage par pollution en résulterait. La Cour de cassation ne partage pas cette analyse."

Village de la justice : L’argument selon lequel le navire se trouvait en ZEE (zone économique exclusive), c’est-à-dire en dehors des eaux territoriales françaises, était-il de nature selon vous à remettre en cause la compétence de la justice française ?

"A notre avis, non. Les articles 220 point 6 et 228 de la Convention internationale sur le droit de la mer de Montego Bay du 10 décembre 1982 attribuent spécialement aux Etats côtiers la possibilité de poursuivre les navires à l’origine des rejets commis dans la ZEE, pouvant endommager gravement le littoral ou les intérêts connexes desdits Etats. Ces textes justifient à eux seuls la compétence des autorités et des juridictions françaises."

Village de la justice : Quelles auraient été les conséquences d’une annulation totale de la procédure ?

"Cette hypothèse nous semblait inenvisageable. Au pire, la Cour de cassation aurait renvoyé l’affaire à une autre Cour d’appel. "

Village de la justice : Pensez vous que cette décision permettra l’introduction du préjudice écologique ou environnemental dans notre droit civil ?

"La notion du préjudice écologique existe d’ores et déjà en droit français. Elle a été d’autant plus fortement reconnue par la loi du 1er août 2008. L’arrêt de la cour d’appel, puis celui de la Cour de cassation, n’en donnent qu’un exemple d’application. Mais l’apport de cette jurisprudence est loin d’être négligeable, dans la mesure où elle fait partie des premiers cas d’application de la notion du préjudice écologique et se veut, de surcroît, pédagogique de manière magistrale. Elle tente d’établir un équilibre entre ce qui est possible d’indemniser au titre du préjudice écologique et ce qui est légitime d’indemniser, toute en n’oubliant pas la question de l’intérêt à agir des personnes se réclamant victimes d’un tel préjudice. "

Merci.

Voir la décision de la Cour de cassation.

Rédaction du Village de la justice avec _ Me Thierry Gallois, Avocat, Associé, Docteur d'état en droit et Me Evguenia Dereviankine, avocat, Directeur de Mission Cabinet Racine _ www.racine.eu
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