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Copropriété : le changement d’affectation des parties privatives. Par Joan Dray, Avocat.
Parution : jeudi 24 janvier 2013
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Une copropriété est un lieu de communauté au sens propre, en ce qu’elle réunit divers propriétaires dans un espace réduit.
Chaque immeuble est particulier par ses dimensions, par sa construction et son architecture, par son environnement, par le confort qu’il donne à ses occupants.
En raison de sa complexité, la destination de l’immeuble est révélateur des divergences d’intérêts en présence.
Les copropriétaires doivent donc s’organiser pour respecter à la fois la vie en communauté et à la fois la vie personnelle de chacun des copropriétaires.

La loi du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, vise à encadrer ces relations.

Ainsi, les copropriétaires déterminent ensemble la destination de l’immeuble qu’ils partagent.

Chacune des parties privatives attribuées à un copropriétaire est affecté à un usage prévu ou non par le règlement de copropriété.

Pourtant l’affectation des parties privatives est source d’un important contentieux judiciaire.

Elle pose des problèmes tant au moment de l’acquisition d’un bien immobilier, que lors de sa jouissance ou de sa vente.

Est ce qu’un copropriétaire est libre d’utiliser ses parties à sa guise ? Les organes de la copropriété peuvent-ils s’opposer à l’affectation déterminée librement par un copropriétaire ?

Pour apprécier les droits de chaque propriétaire, il importe de bien saisir certaines notions telles que la destination de l’immeuble (I) ou celle de l’affectation des parties privatives (II). Enfin, il est nécessaire d’avoir connaissance de l’étendue du contrôle du juge en la matière (III).

I/ Détermination de la destination de l’immeuble

La destination de l’immeuble peut être considérée comme l’objet commun de la copropriété.

C’est essentiellement le règlement conventionnel de copropriété qui détermine la destination des parties privatives, c’est-à-dire leur affectation au regard de l’ensemble de l’immeuble.

Il n’a pas la même force à l’égard du copropriétaire (1) qu’à l’égard du locataire (2).

1. Opposabilité du règlement de copropriété à l’égard du copropriétaire

Le règlement de copropriété est un contrat qui a pour partie les copropriétaires.

À ce titre, ceux-ci sont les principaux destinataires des droits et des obligations qu’il contient. Le règlement leur est donc complètement opposable. Il peut inclure ou non l’état descriptif de division.

Il détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance (art. 8, al. 1, loi du 10 juillet 1965).

Il ne peut imposer de restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation (art. 8, al. 2, loi du 10 juillet 1965).

De ce fait, une clause imposant une affectation unique peut être réputée non écrite (Civ. 3e, 4 nov. 2004 ; Civ. 3e, 20 mai 2008).

Le règlement de copropriété ne peut restreindre la propriété individuelle d’un copropriétaire si la destination de l’immeuble ne le justifie pas (Civ. 3e, 10 déc. 1986).

Le règlement doit être cohérent au regard de la nature même de l’immeuble et de ses conditions d’occupation.

Un immeuble destiné à l’habitation peut légitimement prévoir l’interdiction dans son règlement de l’exercice d’activité nuisible au bien être des copropriétaires (restaurants, bars, discothèques…).

2. Opposabilité du règlement de copropriété à l’égard du locataire

Le locataire n’est pas considéré comme une partie au règlement conventionnel de copropriété. S’il doit respecter les obligations que ce texte impose, il ne peut se prévaloir des mêmes droits que les copropriétaires.

Le règlement de copropriété est opposable au preneur à bail d’un local situé au sein d’une copropriété (Cass. 3e civ., 14 avr. 2010).

L’exercice par ce dernier d’une activité contraire au règlement de copropriété peut justifier la résiliation du bail (Cass. 3e civ., 28 avr. 2009).

Le bailleur qui donne à louer un local au sein d’une copropriété doit veiller à reprendre dans le bail les interdictions posées par le règlement de copropriété.

Cette recommandation vise essentiellement à s’appliquer en matière de bail commercial.

En effet, si l’activité stipulée au bail est contraire aux stipulations du règlement de copropriété, le bailleur engage sa responsabilité à l’égard du preneur pour manquement à son obligation de délivrance.

Il peut également être condamné à réparer le préjudice subi par les autres copropriétaires du fait de l’activité développée en vertu du bail (Cass. 3e civ., 15 déc. 2009).

II/ Détermination de la destination des parties privatives

La vie en copropriété nécessite de porter à la connaissance de tout ceux qui y participent l’affectation précise des éléments divis de l’immeuble et de leurs locaux accessoires (greniers, caves, placards etc…).

Le règlement de copropriété doit déterminer la destination des parties privatives (art. 8, al. 1er de la Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

Ainsi, le règlement de copropriété précise, de manière détaillée ou générale, les lots affectés à l’habitation, à l’exercice d’une profession, d’un commerce.

Est ce que cette affectation est définitive et intangible ?

En d’autres termes, un copropriétaire peut-il modifier l’affectation de ses parties privatives ?

En la matière, il y a deux interprétations possibles.

La première veut que la destination des parties privatives est fixée par le règlement de copropriété, lequel a une valeur contractuelle, de ce fait elle ne peut être modifiée, en principe, que par l’accord unanime des copropriétaires.

Il faudra cependant vérifier que le règlement de copropriété ne prévoit pas un quorum spécifique pour cette question. Il existe des copropriétés dans lesquelles la modification des parties privatives s’effectue à la majorité (CA Paris, 4 oct. 1993, Epx Diop c/ Synd.).

La seconde interprétation réside dans le fait qu’en vertu de la loi, chaque copropriétaire est libre de modifier l’affectation des parties privatives de son lot sous réserve de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l’immeuble (art. 9 de la Loi n° 65-557 du 10 juill. 1965 ; Cass. 3e civ., 28 avr. 1993).

En vertu de cette disposition, et sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires et si la destination de l’immeuble ne prohibe l’exercice d’un commerce, il est par exemple possible de transformer une cave en salon de coiffure (CA Paris, 19 oct. 2000, Sté Michael Coiffure c/ Synd. copr.).

Ainsi, si un immeuble est destiné à l’habitation, le copropriétaire ne viole pas le règlement de copropriété s’il aménage en studio (usage d’habitation) un lot qualifié de remise par ce règlement, sans solliciter au préalable, l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires (CA Paris, pôle 4, ch. 2e, 1er décembre 2011, Benilous c/ SCI Saint-Cast Braine).

De la même manière, doit être censurée la décision de l’assemblée générale ayant opposé un refus d’utiliser comme surface commerciale une « réserve » attenant à un local commercial (Cass. 3e civ., 2 oct. 1996).

III Contrôle du juge

En principe, un changement d’affectation conforme aux stipulations d’un règlement de copropriété n’a pas besoin d’avoir pour préalable une décision de l’assemblée générale (CA Paris, 26 mars 2003, Sté CJC c/ Synd. copr. résid. Cagnes-Camargues).

En effet, le changement d’affectation n’a pas pour effet de supprimer le lot existant pour en faire apparaître un nouveau assorti d’un nouvel état de répartition des tantièmes (Cass. 3e civ., 22 juill. 1998).

Cependant, la validité d’un changement d’affectation variera selon que le règlement de copropriété est plus ou moins précis sur l’affectation des parties privatives.

1. Lorsque le règlement de copropriété défini l’affectation en des termes généraux

Si l’on regarde de manière générale la jurisprudence en la matière, l’on constate que les juges se montrent assez favorables à une interprétation libérale de la destination figurant dans le règlement de copropriété et permettent régulièrement aux copropriétaires de modifier l’affectation de leurs parties privatives, dès lors qu’elle respecte les prescriptions de l’article 9 de la du 10 juillet 1965 (Cass. 3e civ., 10 mai 1994).

Bien que ces contrôles soient effectués au cas par cas, en fonction des situations de faits, le changement d’affectation des parties privatives s’effectue donc, en principe, « librement, sous réserve de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à des limitations conventionnelles justifiées par la destination de l’immeuble » ( Cass. 3e civ., 22 juill. 1987 ; Cass. 3e civ., 5 janv. 1994 ; Cass. 3e civ., 25 janv. 1995).

Les juges vérifieront de manière casuistiques trois points :
-  L’existence de droits reconnus aux autres propriétaires.
-  Leur respect par celui qui invoque le changement d’affectation.
-  L’existence de limitations conventionnelles justifiées par la destination de l’immeuble.

Le juge a l’obligation de rechercher si le changement d’affectation d’un lot n’est pas de nature à porter atteinte à la destination de l’immeuble ou aux droits des autres copropriétaires, au risque de voir sa décision privée de base légale (Cass. 3e civ., 4 juill. 2012)

Le changement d’affectation doit respecter la réglementation d’urbanisme en vigueur (art. L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation).

Cette interprétation libérale de la loi trouve lieu à s’appliquer essentiellement aux modifications d’affectation qui touchent des parties privatives transformées en pièce habitable dont l’affectation est initialement définie de manière différente dans le règlement de copropriété (greniers, buanderies, celliers…).

Il a par exemple été jugé qu’un copropriétaire pouvait tout à fait créer un emplacement de stationnement dans son jardin privé sans porter atteinte, ni à la destination de l’immeuble, ni aux droits des autres copropriétaires (Cass. 3e civ., 3 juin 1998).

Dans ce cas d’espèce, le parking a été aménagé sur un lot extérieur considéré comme partie privative. Il n’aurait pas été possible d’envisager la même solution si le jardin avait été une partie commune déterminée par le règlement de copropriété.

Lorsque le litige oppose le syndic et un copropriétaire, le juge doit apprécier la situation de fait en se basant uniquement sur les clauses du règlement de copropriété.

À partir du moment où celles-ci autorisent, en général, l’exercice d’activités commerciales, tous les commerces sont admissibles.

Le syndic ne peut dès lors refuser un changement d’affectation d’un lot privatif pour y établir une activité commerciale du seul fait du risque d’exploitations bruyantes, insalubres ou malodorantes (un restaurant par exemple).

En effet, le syndic ne peut être autorisé à agir en justice au nom du syndicat par anticipation sur les circonstances qui peuvent donner naissance à un litige (Civ. 3e, 15 févr. 2006 ; Civ. 3e, 26 sept. 2007).

Lorsque le règlement se contente de définition d’ordre général, les juges peuvent donc censurer les décisions des organes de la copropriété qui refusent à un copropriétaire d’utiliser librement ses parties privatives, par exemple, une décision qui refusent au copropriétaire d’utiliser comme surface commerciale une réserve attenant à son local commercial (Cass. 3e civ., 2 oct. 1996).

2. Lorsque le règlement de copropriété défini l’affectation en des termes précis

La jurisprudence est totalement différente lorsque le règlement de copropriété est très précis, notamment en définissant clairement la destination de chaque lot.

Le principe qui prévaut alors est qu’il est formellement interdit aux copropriétaires de changer l’affectation de leurs lots sans avoir préalablement recueilli le consentement des autres membres de la copropriété (le plus souvent à l’unanimité sauf dispositions plus souples prévues par le règlement).

Les exemples sont nombreux :

-  Interdiction de transformer en local d’habitation un lot défini de manière précise par le règlement comme étant un « hobby room » (Cass. 3e civ., 27 avr. 1988) ;
-  Interdiction de transformer en salle de jeux un lot défini de manière précise par le règlement comme étant une cave (Cass. 3e civ., 28 mars 1984) ;
-  Interdiction de transformer en box fermé un lot défini de manière précise par le règlement comme étant affecté à l’usage de parking (CA Paris, 26 janv. 1993, Pacary c/ Synd. Copr.).

Ainsi, lorsque le règlement de copropriété défini de manière précise l’affectation de chaque lot, le juge n’a pas le pouvoir de se substituer à l’assemblée générale pour donner une autorisation régulièrement refusée au vu d’un règlement de copropriété dépourvu d’ambiguïté (CA Aix-en-Provence, 4e ch., 13 sept. 1994).

Dans une telle situation, tout copropriétaire qui souhaite changer l’affectation d’un de ses lots, partie privative, doit au préalable vérifier le degré de précision du règlement de copropriété au risque de voir son initiative invalider en justice (Cass. 3e civ., 20 mai 1998 ; Cass. 3e civ., 27 mai 1998).

Il est bon de noter que le syndic de copropriété est tenu d’une obligation de conseil en la matière.

Il se doit d’informer les copropriétaires des risques de contrariété entre le règlement de copropriété et l’activité projetée sur laquelle l’assemblée est amenée à statuer (Cass. 3e civ., 17 janv. 2006).

S’il ne le fait pas, il engage sa responsabilité.

Les règles relatives au changement d’affectation des parties privatives au sein d’un immeuble organisé sous le régime de la copropriété ne permettent pas de donner une réponse identique à toutes les situations.

Les solutions varient en fonction de chaque situation et il paraît souvent bien difficile de prévoir la position judiciaire et de dire si telle activité sera jugée licite dans tel immeuble.

Du fait de l’insécurité qui en résulte et des enjeux financiers propres à ce domaine, il est fortement conseillé de faire appel aux conseils d’un avocat.

En considération des données de fait (nature des modifications envisagées, nature du lot concerné en fonction de sa situation, nombre de copropriétaire…) et de droit (dispositions du règlement de copropriété, exemples jurisprudentiels), un professionnel averti sera en mesure de vous orienter dans vos initiatives en vous offrant un niveau de sécurité juridique renforcé.

Joan Dray