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Cadre constitutionnel du référendum : un domaine a priori sans limite. Par David Boccara, Avocat.
Parution : mardi 12 février 2013
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L’actualité législative permet d’éprouver une antienne de la pratique constitutionnelle fondamentale : le référendum, si rarement abordé en doctrine mais icône de la démocratie.
Le projet de loi « mariage pour tous », pouvait-il faire l’objet d’un référendum ? Oui ! Ce d’autant plus certainement que nul n’eût pu l’interdire.
Le refus de la part du Président de la République et du gouvernement, d’engager cette option, concrétise donc une hésitation politique manifeste sur les véritables chances de succès d’une innovation pour le moins osée mais encore trop inaboutie pour garantir un plébiscite.

Le tout récent projet de loi dit, par euphémisme, « Mariage pour tous », qui n’est comme on s’en serait douté nullement ouvert à « tous », bien évidemment - comme le suppose nécessairement toute litote -, fut l’occasion d’un furtif débat sur le cadre du référendum qui fut fort malheureusement trop précipitamment éludé à dessein.

Que l’on se rappelle l’objet de celui-ci : la droite parlementaire souhaitait que fût soumise à la nation la question de savoir s’il fallait accueillir au sein de notre ordre normatif ce que nous aimons appeler, pour évoquer Nietzsche, le « gay mariage ». À l’inverse, la gauche, essentiellement la majorité présidentielle actuelle, s’y opposait fermement ; sans doute par crainte politique excessive plus que par pure volonté de contrer son adversaire.

C’est cet aspect spécial du débat qui fut tout particulièrement digne d’intérêt, puisque la question véritable de savoir s’il faut ou pas accueillir désormais chez nous le mariage de personnes de même sexe relève d’un débat de société qui excède de loin la seule technique constitutionnelle. Il suffit, pour en témoigner, que d’observer les interrogations d’une perplexité extrême quant aux implications sur le régime de la filiation légitime.

Non pas que l’enjeu de fond n’intéresse nullement cette discipline juridique éminente du droit public, au contraire… Peut-être aurons-nous même l’occasion de voir très prochainement cela vérifié, si le Conseil constitutionnel se voyait déférer la loi nouvelle. Car la structure légale de la famille est l’idéal type d’une institution fondamentale de notre organisation sociale, sinon politique, de la nation ; ce que dissimule très mal l’unique revendication réductrice du gay mariage dont l’enjeu est - à bien le considérer - tout sauf l’égalité constitutionnellement parlant.

Cela vaut, du moins, tel qu’avait bien voulu le divulguer le gouvernement, non sans commettre du reste certaines incohérences puisque son garde des sceaux qui devait porter le projet était, lui, pris dans les liens inextricables d’une dialectique redoutable.

En effet, ici c’est la singularité en France par rapport à ses voisins, la présomption de filiation légitime découle du mariage à titre obligatoire ; c’est dans cette perspective que le mariage est chez nous considéré en tant que voie d’accès automatique et privilégiée à la filiation. Jusqu’ici cette fiction se justifiait pleinement par elle-même ; tant du moins qu’elle ne contrariait pas de plein front un vraisemblance sociale.

Cependant, elle souligne que les interrogations, relayées par une contestation sensiblement forte d’une partie significative de la nation du projet de loi sur le gay mariage, ne traduisent pas une réaction strictement homophobe. Car cette réticence semble plutôt tenir d’une remise en cause implicite de la filiation lorsque les artifices se cumulent.

Qu’est-ce à dire ? Que la conjonction de cette conception traditionnelle de la filiation en mariage avec la consécration de l’union de personnes de même sexe révèle une incohérence. Cette présomption avait pourtant toujours pu valablement prévaloir puisqu’elle n’était ni dépourvue de tout fondement ni purement fictive. Or ce qui pouvait correspondre à une forte probabilité entre mari et femme ne pourra évidemment pas du tout être le cas entre conjoints homosexuels et pour cause…

Pas plus que le mariage ne permettait déjà d’affirmer que la filiation de l’enfant d’une femme mariée était biologiquement légitime, tel que le prône pourtant aujourd’hui le droit positif pour supposer une présomption de filiation légitime en mariage, il ne pourra être dit que celle-ci résulte de l’union de personnes de sexe identique : ce serait abscons ! Or c’est là tout le problème. Le gay mariage affectera inéluctablement l’ensemble de l’institution qu’il réformera ; et cela vaudra vraiment pour tous à l’avenir.

C’est en ce sens que le nouveau « mariage pour tous » altérera indéfectiblement à l’avenir, véritablement pour tous le mariage ; ce sans aucune distinction de sexe ou de genre.

Partant, le Conseil constitutionnel aura inévitablement un jour ou l’autre à se prononcer sur ces aspects multiformes des effets du mariage et de la filiation dans l’une ou l’autre de ses attributions. Et là parions que les Questions prioritaires de constitutionnalité - que nous goûtons immodérément -, qui ont pleinement vocation à passer au crible tout l’ensemble de notre édifice normatif, ne s’en priveront aucunement…

Cela étant posé quant au fond du gay mariage, quid alors du référendum qui l’eût concerné ? Pourquoi cette voie n’a-t-elle pas été utilisée et, d’abord, le pouvait elle ?

Le fondement régissant ce mode de consultation nationale réside à l’article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958 dans sa forme modifiée par article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008.

Toutefois, notons, d’emblée, que la modification textuelle récente n’altère pas le domaine classique d’application référendaire puisque les deux premiers alinéas restent inchangés. Seuls se voient ajoutés, depuis, le référendum à l’initiative d’un cinquième du Parlement soutenu en cela par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorale ; c’est le référendum dit « d’initiative minoritaire ».

Mais pour autant, ainsi que prend la peine de le mentionner explicitement par renvoi le sixième alinéa de la disposition qui la comporte, dans sa forme issue de la loi constitutionnelle de 2008, le référendum reste toujours soumis à « un objet mentionné au premier alinéa » de l’article 11.

C’est ici donc que se situe tout le débat, autrement dit : c’est là que réside le nœud gordien du cadre d’application du référendum dans notre système politique qui noue toute la problématique que nous voulons défaire.

À bien lire l’article 11 de la Constitution, son alinéa 1er prévoit que, sur proposition gouvernementale ou sur celle conjointe des deux assemblées, le Président de la République peut soumettre au référendum tout projet de loi. Dont acte !

Or la disposition apporte ensuite une série de précisions complémentaires que doit satisfaire le projet de loi référendaire.

Il y est ainsi énoncé que ledit projet doit porter : «  sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions  ».

Pour ce qui avait trait au gay mariage, la disposition finale relative à la ratification d’un traité n’est donc nullement concernée. Par contre, pour s’opposer à l’option référendaire le gouvernement, appuyé de certains constitutionnalistes – non les moindres -, avait fait prévaloir que la réforme relative au « mariage pour tous » ne ressortissait pas du cadre prévu pour permettre un référendum…

Le motif avancé pour évincer que la nation se prononçât directement sur le sujet tenait à l’assertion selon laquelle une telle réforme du mariage ne relève que des droits civils qui seraient par nature exclus du cadre référendaire. Cela intrigue puisque le « cinquième codificateur », Carbonnier, tenait justement le Code civil pour notre Constitution civile…

Et pour suivre la compréhension d’une telle dénégation, il fut alors précisé par les détracteurs du référendum législatif que le mariage homosexuel ne correspondait pas aux cas relevant de la consultation nationale.

Ainsi, fut-il notamment expliqué que le projet n’impliquait pas l’organisation des pouvoirs publics, ni des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation ni les services publics qui y concourent.

Cette position tranchée à l’emporte pièce présente indéniablement le mérite extrême d’être claire et nette. Nul ne saurait le contester. En outre, elle correspond à une conception traditionnelle. Cependant, elle n’est pas indemne de critiques.

Cette position étant exposée, de manière moins diffuse, on peut certes convenir que le gay mariage ne relevait nullement ni de l’organisation des pouvoirs publics prima facie, ni des réformes touchant à la politique économique ou environnementale de la nation, ni même aux services publics qui y concourent. Par contre restent en lice : le domaine de la politique sociale ainsi que des services publics y concourant… Or, « relativement aux services publics qui concourent à ces politiques, il y a là un second motif d’extension, car la notion de service public n’a jamais été définie avec précision » (R. FERRETTI, Le référendum d’initiative populaire va-t-il réveiller l’institution ?).

D’ailleurs, pour ne pas nous détromper sur ce point, le garde des sceaux n’avait-elle pas justement déclaré que ledit projet ressortissait d’ « une réforme de société et on peut même dire une réforme de civilisation » (SIPA. 7 nov. 2012)…

C’est qu’en toute logique la possibilité d’ouvrir dorénavant le mariage sans différenciation de sexe, telle qu’elle était requise auparavant, est liée inévitablement à une interrogation d’ordre purement social, sinon purement de politique sociale ; ce au premier chef. Exit donc les restrictions au visa de l’article 11 fondée sur le domaine référendaire.

Pour développer un tant soit peu, force est précisément de concevoir ici que permettre à l’avenir à deux personnes de même sexe de s’unir par le mariage induit une modification substantielle d’un pacte civil admis par l’ordre social - inchangé depuis Rome -, tel que veut le sanctionner maintenant un acte de politique sociale novateur, rompant par définition du passé ainsi que de notre histoire.

Il en découle que cette volonté progressiste du gouvernement est le corollaire d’un projet de société affiché dans l’ordre de campagne électorale du Président de la République lorsqu’il était candidat à son élection.

Le gay mariage correspond donc pleinement et idéalement à un projet «  sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » ; ce dans les termes mêmes qui figurent à l’article 11 de la Constitution. Comment pourrait-on le nier ?

Cela vaut à telle enseigne même que ce projet d’extension du mariage aux homosexuels est d’une nouveauté sans précédent digne d’un courage politique qui ne saurait être minimisé.

Cependant, ainsi conçu, le mariage pour tous ouvrira aussi inéluctablement à grande échelle de nouvelles perspectives à certains sur le plan de l’organisation patrimoniale ; alors même qu’ils ne seraient nullement homosexuels ou que l’étant quand même les époux putatifs ne seraient pas en couple.

Sur le plan successoral, l’institution concurrencera plus avantageusement par sa simplicité la fiduciaire et l’adoption… On le voit, ces dévoiements intéressent donc nécessairement tant l’organisation des pouvoirs publics que la politique sociale et économique. Au demeurant, détournée ou pas, l’institution de ce mariage nouveau aura immanquablement des incidences notables et considérables sur le fonctionnement de toutes nos institutions ; et pas seulement quant aux règles de transmission du nom que l’on voit déjà dans le domaine de l’état des personnes.

Dès lors, puisqu’il est indéniable que le texte de l’article 11 permettait dans sa lettre d’admettre que le référendum fût compétent, pour statuer sur la réforme du mariage, un autre argument fut opposé plus insidieusement ; non sans faire resurgir un malaise qui sourd amèrement depuis longtemps en politique. De quoi s’agit-il ?

Les opposants au référendum se sont réclamés d’une coutume tenant aux usages ainsi qu’à l’histoire de nos précédents référendaires pour noter que jamais auparavant la matière du droit civil n’avait fait l’objet d’un vote référendaire. Cela n’est pas faux. C’est d’ailleurs, à notre sens, la meilleure raison qui ait été invoquée.

Néanmoins, notre Constitution, à la différence de celle de nos voisins anglais, n’est pas purement coutumière. Elle est formellement écrite au sens où, étant dûment fixée textuellement, c’est sa lettre qui doit primer pour permettre toutes ses extensions qui ne la violeraient pas ; ce indépendamment de sa pratique coutumière : ie. la manière dont on l’a appliquée.

Ainsi fait, retourner à la droite, comme l’a opportunément objecté pour les besoins de sa cause le gouvernement et la majorité parlementaire, sa propre attitude lorsqu’elle expliquait les (mauvaises) raisons pour lesquelles le cadre référendaire était inapplicable par le passé est, certes, de bonne guerre mais n’en demeure pas moins mal fondé juridiquement.

Car ce n’est pas parce qu’une certaine « façon » a pu jusqu’ici prévaloir, fût-elle fondée sur de faux arguments, qu’il convient de la poursuivre. La raison est que notre Constitution n’est pas constituée que par sédimentations successives des agissements précédents collationnés par une juridiction en formation haute du parlement, ainsi que l’illustre la House of Lords parente lointaine de notre Ancien parlement royal.

Cela vaut a fortiori lorsque la lettre de notre Constitution est ouverte pour admettre toutes les acceptions ; y compris ce qu’elle n’interdit pas expressément. On songe ici aux usages des avis consultatifs du Conseil constitutionnel sur les décisions de recourir au référendum (Rec. Cons. const. 1962, p. 49 et 61 ; Rec. Cons. const. 1969, p. 42 ; Rec. Cons. const. 1988, p. 370 ; Rec. Cons. const. 1992, p. 265) ainsi qu’à ceux du Conseil d’État pour le texte du projet de loi. Désormais, ces hautes instances sont systématiquement associés aux référendums ; ce que nous concevons personnellement comme un grand bien.

Quant à lui, le droit constitutionnel des États-Unis d’Amérique, qui est de nature mixte écrite et coutumière, ne détrompe pas ce constat de fait. Car la constitution fédérale y est figée dans un corpus pour contraindre suffisamment son interprète naturel : la Cour suprême des États-Unis. Mais là l’équilibre politique diffère du nôtre parce que le droit y est par essence jurisprudentiel ; ce jusqu’à l’intervention ultima ratio du Sénat en dernier ressort.

La comparaison illustre que notre propre juge constitutionnel n’est pas tenu ni affranchi des scrupules dans la même mesure que la cour suprême fédérale de Washington. Celle-ci doit balancer entre l’organisation multi-étatiques locale, le président des États-Unis et l’administration fédérale ; le tout sous contrainte du Sénat ainsi que de sa propre jurisprudence. C’est ce qui, incidemment, anime toute la problématique du désarmement populaire dans le débat lancinant sur le deuxième amendement du Bill of Rights.

Résolument, ayant emprunté au juge administratif son autolimitation, le juge constitutionnel français est beaucoup plus entravé dans le domaine référendaire. Ce qui a pour effet de garantir en la matière une impunité totale au chef de l’État ainsi qu’au pouvoir exécutif. Ce constat aurait donc permis qu’un projet aussi ambitieux que le « mariage pour tous » soit soumis à référendum et ce en tout état de cause sans risque de censure ou désaveu.

Pourquoi ? Parce qu’en France, nulle formation juridictionnelle n’eût alors eu pouvoir de sanctionner une telle initiative. Car cette dernière relève, par son envergure politique indéniable, plus que d’un simple acte de gouvernement mais d’un véritable acte de politique en termes de réforme institutionnelle rarement égalable.

Certes, le gouvernement et le Président de la République ont là prodigieusement manqué d’envergure, quant à la stratégie constitutionnelle, pour établir leur suprématie et insuffler un nouveau souffle au référendum.

Mais sans doute, ceux-là étant plus expert que nous en manières de politique interne, le risque d’échec référendaire était-il conséquent ; ce qui eût fragilisé le gouvernement et le chef de l’État. Or l’on sait qu’Aristote identifiait la sagesse politique à la prudence (Éth. À Nic. LVI .8).

Ce qui fut perdu sur le terrain du prestige a sans doute été compensé quant à l’efficacité.
Mais pour autant de ce qu’il nous est donné d’observer outre-Atlantique, la stature présidentielle du magistrat suprême eût, semble-t-il, tout à gagner en engageant un débat national ; ce indépendamment du résultat obtenu pour peu qu’il sache se situer au dessus des partis.

Concluons, sur cette certitude : aucune raison juridique ne motivait valablement que l’option référendaire ne fût pas celle arrêtée pour décider de réformer le mariage.

Même entrepris à tort, le Conseil constitutionnel était incompétent pour connaître avant le scrutin du contentieux des actes administratifs préparatoires à la consultation nationale. Ensuite, il n’y avait nulle crainte à éprouver d’une sanction compte tenu du principe refusant de contrôler la constitutionnalité des lois adoptées par référendum.

Ainsi, le contrôle contentieux imparfait de la part du Conseil constitutionnel confère une impunité totale à tout projet référendaire. Ce non seulement parce que les modalités de sa saisine sont très strictement encadrées mais encore parce que la campagne référendaire échappe à tout contrôle juridictionnel.
Quant au Conseil d’État, si son rôle est cantonné aux opérations préparatoires, il n’est pas mieux alloti pour le reste.

Aucune de ces deux juridictions précitées ne serait donc compétente pour réformer le décret du Président de la République décidant de soumettre à référendum un projet de loi (Cons. const., 19 mai 2005, déc. Hoffer et Gabarro-Arpa : Rec. Cons. const. 2005, p. 90 ; LPA 27 mai 2005, p. 14, note J.-E. Schoettl ; RFD const. 2005, p. 606, note M. Fatin-Rouge Stefanini).

Parmi les assemblée établies au Palais-Royal, assurément seule ne serait alors compétente pour en discuter que la Comédie française !

David BOCCARA Docteur d'état en droit Avocat à la Cour de Paris DDBLAW