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Tous les contrats informatiques sont à revoir ! Par Bernard Lamon, Avocat.
Parution : jeudi 21 février 2013
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En raison d’une jurisprudence du 29 janvier 2013, tous les contrats informatiques (et plus généralement tous les contrats d’affaires) sont à revoir avec beaucoup d’attention.

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation a établi une distinction entre les contrats conclus « intuitu personae » et les contrats conclus en fonction de la personne du dirigeant.
Bien souvent, cette distinction n’est pas très claire. La notion de l’intuitu persona est pourtant connue des juristes. On dit qu’un contrat est intuitu personae quand il a été conclu en considération de la personne du contractant. Un exemple permet de bien cerner la notion.

Si j’achète une tablette dans un supermarché, ce qui m’intéresse est l’objet que j’achète (la tablette) et pas la personne du vendeur (personne physique) ni l’entreprise de distribution (la personne morale).
En revanche, le choix de mon médecin de famille est d’abord et avant tout dicté par des considérations personnelles.

Certains contrats sont considérés classiquement comme des contrats conclus en considération de la personne (intuitu personae). C’est le cas des contrats de distribution (entre par exemple franchiseur et franchisé). Le franchiseur veut bien signer avec un franchisé (pour ouvrir un restaurant ou un magasin de vêtements, par exemple) car il trouve chez le candidat franchisé les qualités nécessaires (en termes de compétences professionnelles, d’expérience, et de volonté).
On en tire une conséquence pratique : si le franchisé a organisé son activité sous forme de société commerciale, la vente des titres de sa société (et dans la foulée son remplacement à la direction de la société par l’acheteur des titres) permet au franchiseur de mettre fin au contrat.
La Cour de Cassation, dans cet arrêt du 29 janvier 2013, apporte une différence qu’il faut bien garder à l’esprit entre les contrats signés en considération de la personne physique (en général le dirigeant) et les contrats signés en considération de la personne morale (l’entreprise elle-même organisée sous forme de société commerciale).
Dans l’affaire, une société (le concédant) avait confié à une autre société (le concessionnaire) la distribution de produits dans une ville. Ayant appris que le concessionnaire avait vendu les titres de sa société, le concédant a rompu le contrat. Le « nouveau » concessionnaire lui fait un procès (nouveau entre guillemets, car la personne même du concessionnaire n’a pas changé : la société est toujours la même !). La Cour d’appel lui donne tort. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel avec un arrêt très solennel puisqu’il sera publié au Bulletin (c’est le recueil des arrêts établi par la Cour de cassation elle-même : cela signifie que la cour de cassation veut donner à l’arrêt une forte portée).

La Cour de cassation opère un raisonnement en plusieurs parties : elle reconnaît que ce contrat était bien conclu « intuitu personae », mais elle rappelle que la personne physique (le dirigeant) n’est pas la personne morale (la société) et que la société n’a pas disparu avec la vente des titres. En d’autres termes : le contractant (la société) est le même qu’au jour de la signature. Il n’était pas prouvé, selon la Cour de cassation, que le contrat avait été conclu en considération de la personne physique, car (c’est le cœur du problème) il n’y avait pas de clause l’indiquant dans le contrat de distribution.

L’enseignement pratique à en tirer est à première vue très simple : au moment de la signature du contrat, il faut insérer une clause mentionnant que le contrat est conclu en considération de la personne physique, M. X ou Mme Y.

Si on s’interroge sur la conséquence à en tirer dans les contrats informatiques, il faut être très attentif dans le futur et probablement procéder à une revue exhaustive des contrats en cours.

En effet, dans beaucoup de contrats informatiques, le dirigeant de la société prestataire (ou un salarié clef) sont plus importants que la société elle-même. On peut citer les contrats de consultants car à côté des contrats conclus avec les grandes signatures (ACCENTURE, STERIA ou d’autres) pour lesquels la méthodologie, la marque, et l’entreprise elle-même sont les facteurs de choix essentiels, il y a une foultitude de contrat de consulting (par exemple avec des assistants à maîtrise d’ouvrage ou des intégrateurs, des auditeurs de sécurité…) qui sont conclus en fonction de la personne du consultant.

Chez beaucoup d’éditeurs de solutions informatiques (et parfois chez de très gros éditeurs), la continuité de service repose sur un homme-clé.

D’ailleurs, on en tire parfois les conséquences dans les clauses organisant la communication des codes sources lorsqu’il est écrit qu’en cas de maladie ou d’indisponibilité de plus de quelques semaines de Monsieur X, la société cliente pourra avoir accès au code source du logiciel licencié.

Pour le client, on peut suivre une méthode extrêmement robuste permettant de dresser une cartographie des contrats essentiels pour l’entreprise. Répondez à une question très simple : si tel logiciel n’est plus maintenu ou si tel salarié de ma société de services quitte la région (ou subit un accident : on appelle cela le « bus crash test »), la continuité de l’activité de ma société est-elle en danger ?
Si c’est le cas, il est temps de revoir les contrats…

Bernard Lamon Avocat spécialiste en droit de l'informatique, Internet et télécoms [->contact@lamon-associes.com] www.lamon-associes.com www.blog-lamon-associes.com
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