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Fichier des crédits et IOBSP : une consultation est toujours positive ! Par Laurent Denis, Consultant.
Parution : vendredi 1er mars 2013
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Le 27 février 2013, les pouvoirs publics ont achevé une phase de consultation portant non pas sur la faisabilité, mais sur les conditions de réalisation d’un fichier national exhaustif des crédits (« fichier positif »).

Un tel fichier fait désormais partie des annonces du gouvernement (décembre 2012), et possiblement, de la prochaine loi sur la consommation.

Une telle consultation représente une heureuse initiative, tant le principe de laisser la parole aux parties prenantes est fort utile collectivement. Il est vrai qu’une consultation réduite du 18 au 27 février laisse (assez) peu de temps pour voir surgir de nouvelles productions chiffrées permettant d’améliorer le travail en profondeur effectué par le Comité de préfiguration, en 2011. Si un tel fichier, probablement inefficace, devait quand même se mettre en place, il parait essentiel que tous ses rapports avec les IOBSP soit définis très clairement et de manière volontariste, conformément au rôle que la nouvelle réglementation bancaire leur confie.

Conclusions antérieures : un fichier inefficace et trop cher donc, inopportun.

Un « Fichier National des Crédits » (FNC), sous plusieurs dénominations possibles, est défini –largement- comme un fichier recensant exhaustivement les crédits des particuliers : tous les crédits dus par tous les particuliers.

Discuté activement depuis 2008, à l’occasion de la transposition de la directive européenne « CCD » régissant le crédit à la consommation, le projet de création d’un Fichier National des Crédits fait, en février 2013, l’objet d’une étude préparatoire, en vue de nourrir une proposition de Loi.

Chacun se souvient qu’en septembre 2011, le ministère avait commandé un rapport de préfiguration d’un tel fichier. Ce rapport, public, discuté notamment au Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF), a apporté de précieux enseignements :

-  prévention du surendettement non démontrée ;
-  risques de dérives, notamment commerciales ;
-  coût particulièrement élevé : plusieurs centaines de millions d’euros, donc, un rapport performance / coût particulièrement négatif.

Une proposition assortie d’objectifs nouveaux, ni quantifiés ni mesurés.

Fin février 2013, le projet de création du FNC affiche trois objectifs :

-  stimuler la concurrence, notamment, de nouveaux entrants ;
-  responsabiliser les acteurs ;
-  contribuer à la prévention du surendettement.

1. Stimuler la concurrence :

Un tel objectif, adressé à un milieu économique concentré, où la spécificité de la langue et des normes juridiques complique l’irruption de la concurrence, où les principes de supervision tendent à indexer le fonctionnement des acteurs sur les niveaux des plus importants compétiteurs, est particulièrement ardu à atteindre.

En banque et finance, les intermédiaires sont une chance, en ce sens. Spécialement, les IOBSP, de plus en plus consultés par les clients souhaitant emprunter, offrent une voie pour stimuler effectivement la concurrence.

Encore faut-il des rappels forts, pour que cette potentialité puisse se matérialiser.

Donner efficacement les moyens à l’expertise bancaire des IOBSP de s’exprimer, afin d’assurer au mieux l’application de la nouvelle réglementation, en place depuis le 1er janvier 2013, constituerait un axe à examiner. Les IOBSP, principalement, les Courtiers en crédits, doivent recevoir de leurs partenaires bancaires, des modes de fonctionnement assurant leur indépendance effective, au service des clients emprunteurs. Assurer la circulation d’informations sur les produits, acter les modes de rémunération, respecter le tout nouveau statut de Courtier en crédit (art. R. 519-4-1° du Code monétaire et financier), sont autant d’enjeux très concrets pour stimuler la concurrence bancaire.

Les IOBSP sont, par construction, indépendants des banques ; ils sont des facteurs de mobilité bancaire, donc, de concurrence accrue.

2. Responsabiliser les acteurs :

La responsabilisation des acteurs semblent déjà largement assurée par les normes en place, renforcées par la Directive européenne « CCD », transposée par la Loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 et, prochainement, par la Directive « CARRP », sur le crédit immobilier, en cours de vote au Parlement européen.

L’évaluation détaillée de ces normes et de leurs performances respectives, serait précieuse.

En tout état de cause, le maintien de la possibilité unilatérale du prêteur, gestionnaire de risques, d’accorder –ou non- les crédits sollicités, demeure un facteur solide de responsabilisation des acteurs et de sécurité globale des crédits. La création d’un fichier exhaustif des crédits, potentiellement couplée à des outils statistiques de mesure d’endettement et d’octroi de crédits, fait courir le risque de voir resurgir le « droit » au crédit, sous la forme d’une certaine automaticité. Un tel horizon doit être écarté de manière volontariste.

3. Contribuer à la prévention du surendettement :

Sans analyse préalable du surendettement, partagée, consensuelle entre les différents acteurs, notamment, les Associations de consommateurs et les acteurs sociaux, il n’est guère aisé d’avancer qu’un tel fichier contribuerait efficacement à la prévention du surendettement.

Dans l’environnement très encadré du crédit, le surendettement provient principalement de chocs connus, tels que la séparation du couple, la perte d’emploi, la maladie, ou le décès d’un proche.
Lutter efficacement contre le surendettement, c’est, d’abord, lutter contre l’insuffisance de revenus ou contre leurs ruptures. En quoi un répertoire exhaustif des crédits améliorerait-il la protection des revenus futurs, donc de la solvabilité, des emprunteurs ?

S’agissant de la Belgique, si souvent citée, le fichier s’est mis en place en 1987, pour évoluer sensiblement en 1993 : ce fichier présente au minimum, vingt années de fonctionnement. En Belgique, le nombre de débiteurs défaillants a reculé, en 2011 comme en 2012. Mais l’ensemble des particuliers ayant au moins un contrat défaillant n’a cessé d’augmenter, entre novembre 2008 et fin 2012 [1], passant de 284.000 à 329.000. Le taux de contrats défaillants reste à un niveau quasi inchangé, et élevé.

Quoiqu’il en soit, il serait indispensable de chiffrer, par des indicateurs scientifiques et reconnus, les niveaux actuels de ces trois champs : intensité concurrentielle, responsabilisation des acteurs et surendettement (sans doute, le seul des trois actuellement évalué). Ainsi, les trois objectifs visés par le projet de FNC pourraient être également quantifiés et l’apport de la nouvelle norme réglementaire, ultérieurement mesurée.

Le projet d’un Fichier National des Crédits, s’il devait se faire pour des raisons d’opportunité, devrait servir également de base à une nouvelle conception des relations banques-clients, intégrant (enfin) clairement les intermédiaires bancaires, IOBSP dont les courtiers en crédits.

La création d’un tel Fichier National des Crédits, gagnerait, du point de vue de l’intérêt général du système bancaire, à faire une place franche aux IOBSP.

Si un tel fichier devait, néanmoins, s’installer, il conviendrait alors de :
-  comparer les coûts respectifs des clés de fichage et de consultation : soit le NIR (numéro INSEE), soit l’état-civil, soit encore un numéro spécifique créé pour ce fichier. Quels coûts pour quelle ergonomie et quels risques ?
-  enregistrer tous les types de crédits, ventilés par nature. Un indicateur de maturité de la dette (simplement : la dernière échéance des différents plans de remboursement) pourrait avoir de l’intérêt. De même, le plus haut encours de dettes atteint (avec sa date) serait une information précieuse pour l’analyse ;
-  réserver l’objet du fichier au recensement des risques et non à la quantification de la solvabilité : un fichier de crédits n’est pas un fichier de solvabilités. Les éléments de patrimoine et de revenus doivent impérativement être écartés, au risque de créer un fichier au coût astronomique et aux dérives potentielles, absolues ;
-  la fusion entre le FICP (incidents de paiements produits par les crédits) et ce nouveau Fichier des crédits, n’est pas impératif ;
-  la Gouvernance de ce fichier devrait accueillir l’ensemble des acteurs : Pouvoirs publics, banques, consommateurs et intermédiaires ;
-  en ouvrant la représentation des intermédiaires bancaires (IOBSP), y compris aux professionnels indépendants des grands groupes ;
-  le financement de la protection des consommateurs doit incomber aux consommateurs : la création d’une contribution identifiée des clients solvables des banques à un fonds de protection des consommateurs permettrait l’exercice concret de cette solidarité ;
-  la gestion du fichier doit être confiée à un organisme technique indépendant, tel que peut l’être la Banque de France, qui devrait en détenir la propriété ;
-  les responsabilités de déclaration des crédits doivent s’opérer avec le recueil explicite du consentement des clients, donnant mandat aux banques pour effectuer, pour leur compte, les déclarations prévues ;
-  la consultation des données individuelles du fichier doit être ouverte à tous les professionnels bancaires, sans ostracisme, donc, aux intermédiaires IOBSP, dans le cadre et au motif de leur devoir réglementaire d’information et de mise en garde ; de même, les acteurs sociaux, dans des conditions contrôlées, devraient pouvoir accéder à ces informations d’endettement, dans le cadre de leurs missions d’accompagnement social ;
-  aucune entreprise commerciale, non bancaire, ne devrait pouvoir accéder à ces données ;
-  l’accès aux données devrait provenir d’une autorisation formelle du client futur emprunteur, dans le cadre de sa démarche. En effet, le seul motif de consultation admissible doit être, à l’initiative du client, la recherche d’un nouveau crédit : cette recherche doit être effective et attestée ;
-  des données statistiques non nominatives (anonymes) issues du fichier devraient être accessibles publiquement, en particulier en vue de travaux de recherche visant à stimuler le développement des crédits sûrs, en France, c’est-à-dire auprès de clients peu endettés et présentant une probabilité de solvabilité pérenne, concept qui reste à travailler.

Ni productif, ni économique, un tel méga fichier n’est donc pas souhaitable. S’il devait se mettre en place, alors, en conformité avec la nouvelle réglementation bancaire, les IOBSP, intermédiaires bancaires et courtiers, notamment et y compris ceux exerçant hors des groupes commerciaux, devraient être associés à toutes les dimensions d’un projet.

Il en va de même pour tous les projets bancaires d’importance à venir.

Un système bancaire davantage ouvert aux intermédiaires se dote d’atouts supplémentaires, profitables à tous ses acteurs.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier www.isfi.fr

[1source : données statistiques, Banque Nationale de Belgique