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Employeurs : la concurrence nécessairement loyale des anciens salariés. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : mercredi 6 mars 2013
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En l’absence de clause de non-concurrence, le salarié qui n’est plus lié par un contrat de travail retrouve sa liberté.

Le principe de liberté du travail et de libre établissement lui permet d’occuper un emploi dans une entreprise concurrente ou de créer lui-même une telle entreprise après l’expiration de son contrat de travail.

Il peut poursuivre la même activité, utiliser les connaissances acquises antérieurement et prospecter les clients avec lesquels il était précédemment en relation.

L’employeur ne peut s’y opposer sans risquer d’engager sa responsabilité.

L’ancien salarié doit, toutefois, exercer son activité dans des conditions loyales, c’est-à-dire ne pas se rendre coupable d’agissements entraînant la désorganisation de l’entreprise de l’ancien employeur, un trouble commercial ou la confusion dans l’esprit de la clientèle. De tels agissements sont fautifs même en l’absence de fraude ou de manœuvres dolosives (Cass. com. 6-11-1990 n° 88-15.117).

1 Actes préparatoires à l’activité concurrente

Le salarié en période de préavis ou désirant quitter son employeur essaie souvent de préparer son activité future en prenant contact avec un éventuel employeur ou en envisageant la création d’une société concurrente.

Selon une jurisprudence constante, la constitution d’une société concurrente par un salarié avant la fin du contrat de travail n’est pas répréhensible si la date de début d’activité de la société se situe après l’expiration des relations contractuelles.

Il a ainsi été jugé que le salarié licencié effectuant pendant son préavis les démarches nécessaires pour créer une société concurrente dont il doit être le gérant ne commet pas de faute grave dès lors que, ce préavis expirant le 3 avril, l’activité de la société a seulement débuté au cours de ce mois (Cass. soc., 28 avr. 1986, n°83-406309).

Ainsi, un ancien employeur qui ne peut invoquer une clause de non-concurrence ne saurait, sans légèreté blâmable et sans porter atteinte à la liberté du travail du salarié, s’opposer à ce que ce dernier entre au service d’une autre société (Cass. soc. 4 juillet 1974 n° 73-40.113).

En revanche, si le salarié démissionnaire commence à travailler – sans attendre la fin de son préavis – pour une société concurrente dont il est actionnaire, il commet une faute lourde le privant des indemnités de rupture et pouvant justifier une condamnation à verser à l’employeur des DI pour concurrence déloyale » (Cass. soc., 5 mai 1971, n° 70 40.021).

Un salarié qui a mis à profit la période de préavis pour entrer au service d’une société concurrente et diriger vers elle certains clients de son ancien employeur a violé son obligation de fidélité et commis un détournement de clientèle (Cass. soc. 16 octobre 1991 n° 89-40.252).

De même, la qualification de concurrence déloyale sera retenue à l’encontre du salarié qui a conservé des fichiers provenant de la base de données de l’employeur pour en faire bénéficier une entreprise concurrente en cours de création.

Une telle action peut par ailleurs être dirigée à la fois à l’encontre de l’ancien salarié et du nouvel employeur.

2 Une obligation de loyauté de l’ancien salarié

L’obligation de loyauté qui incombe au salarié pendant la durée du contrat de travail perdure après l’expiration dudit contrat, même en l’absence de clause de non-concurrence.

L’ancien salarié doit ainsi s’abstenir de tout agissement déloyal. A défaut, sa responsabilité pourra être recherchée solidairement avec celle de son nouvel employeur ou de la société qu’il aura constituée.

La condamnation pour concurrence déloyale suppose que le salarié ait commis une faute, au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Une Cour d’appel ne saurait, pour juger qu’un salarié a manqué à son obligation de loyauté en s’étant fait embaucher par la société dont son employeur commercialisait les produits jusqu’à son rachat par un concurrent, se borner à relever l’existence d’un simple faisceau de présomptions, sans caractériser de faits fautifs précis imputables à l’intéressé (Cass. soc., 21 octobre 2008, n°07-43.943).

Ayant constaté que le salarié n’était pas lié à son ancien employeur par une clause de non-concurrence, une Cour d’appel peut estimer que la création d’une entreprise concurrente et « le simple fait d’aviser une clientèle de son départ et de la création d’une nouvelle société, alors que cette clientèle est libre de choisir l’entreprise avec laquelle elle veut travailler », n’étaient pas constitutifs d’une faute (Cass. com. 13 mai 1997 n° 95-12.57).

Le plus souvent, la concurrence déloyale procède du détournement de clientèle ou de commandes par d’anciens salariés qui conservent indument, après leur départ, des fichiers, des documents techniques et commerciaux ou des informations privilégiées et les exploitent pour procéder à un démarchage systématique des clients de leur précédent employeur.

La concurrence déloyale peut également résulter de :

- l’imitation des produits de son ancien employeur ou l’utilisation d’un enseigne, d’un nom commercial, d’un nom de domaine, d’une publicité ou d’agencements commerciaux similaires, de nature à provoquer une confusion dans l’esprit de la clientèle ;

- d’actes de dénigrement, en répandant des informations malveillantes cherchant à jeter le discrédit sur les compétences, les produits ou services ou les méthodes commerciales de son ancien employeur, quand bien même l’information divulguée est exacte (Cass. Com. 12 mai 2004, n° 02-19.199).

3 Sur les moyens d’agir de l’ancien employeur

La preuve de la concurrence déloyale de l’ancien salarié incombe à l’ancien employeur.

Sur présentation d’une requête, en application de l’article 145 du Code de procédure civile, l’entreprise victime peut être autorisée par le Président du Tribunal à procéder à des constatations chez son concurrent et à effectuer une copie de la messagerie internet ou des données enregistrées sur l’ordinateur de son ancien salarié, sans que le secret des affaires ou le respect de la vie privé ne puissent lui être opposés (Cass. Soc. 10 juin 2008, n° 06-19.229).

L’entreprise victime doit toutefois être à même d’apporter au Président du Tribunal des éléments démontrant qu’il y a matière à suspecter un acte déloyal. Le seul fait qu’il s’agisse d’un ancien salarié qui a démarché les clients de l’entreprise ne saurait ainsi permettre l’obtention d’une autorisation de procéder aux constatations ci-dessus évoquées.

L’action en concurrence déloyale doit être portée devant le tribunal de grande instance, ou devant le tribunal de commerce si l’ancien employeur et l’ancien salarié ont la qualité de commerçant.

Elle reste toutefois de la compétence du conseil de prud’hommes lorsque les actes de concurrence ont été commis avant l’expiration du contrat de travail.

La qualification des faits relève – naturellement – du pouvoir souverain des juges du fond qui ont, par ailleurs, toute liberté pour apprécier le montant des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi par l’ancien employeur.

En conclusion, il convient de rappeler qu’en dépit de cette obligation de loyauté de l’ancien salarié envers son ancien employeur, il convient pour les employeurs de prévoir néanmoins dans les contrats de travail des salariés des clauses de non-concurrence adaptées prévoyant notamment une limitation dans le temps et dans l’espace ainsi qu’une contrepartie financière.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com
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