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Arrêt PBS : Sur la consultation d’une clé USB par l’employeur hors présence du salarié. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : mercredi 20 mars 2013
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Chacun sait que le temps moyen passé par les salariés à effectuer des travaux personnels dans le cadre de leur temps de travail est évalué entre 1 à 2 heures par jour : navigation sur Internet, rédaction de courriers personnels etc…
(Chambre sociale 12 Février 2013 Pourvoi n° 11-28.649)

Informés de ce que l’employeur est autorisé par la jurisprudence à procéder à toute vérification de l’outil informatique professionnel, les employés ont pris l’habitude d’enregistrer leurs fichiers personnels sur des périphériques mobiles (clé USB, carte mémoire, adaptateur SD et désormais Smartphones et IPhone).

Or, la Cour de cassation vient de rendre à ce sujet une décision qui est susceptible de remettre en cause la protection dont les salariés se croyaient jusqu’à présent assurés (Sociale, 12 février 2013 pourvoi n°11-28-649). En l’occurrence, une salariée est licenciée pour faute grave au motif pris entre autres de l’enregistrement sur une clé USB d’informations confidentielles sur l’entreprise et de documents personnels concernant ses collègues et le chef d’entreprise.

Le Conseil de prud’hommes avait retenu le motif réel et sérieux du licenciement. Le jugement fut censuré par la Cour d’appel de Rouen pour deux raisons. Premièrement, en raison du contexte conflictuel qui existait depuis plusieurs mois entre la salariée et les responsables, le licenciement était disproportionné par rapport à la faute commise par la salariée et ne reposait donc pas sur une cause sérieuse. Deuxièmement, sur le fondement de l’article 9 du Code de procédure civile, la Cour d’appel qualifie d’illicite la preuve obtenue par l’employeur grâce à la consultation sans la présence de la salariée de sa clé USB personnelle connectée à l’ordinateur professionnel.

L’employeur se pourvoit alors en cassation en faisant valoir dans un moyen unique le défaut de base légale au regard des articles 9 du Code civil, 9 du CPC et L.1121-1 du Code du travail : « la cour d’appel n’a pas recherché si la clé USB connectée à l’outil professionnel et non identifiée comme personnelle par la salariée, ne présentait pas en conséquence un caractère professionnel  ».

La question était posée de savoir si la connexion à l’ordinateur professionnel, d’une clé USB ou de tout autre périphérique mobile appartenant au salarié, autorise l’employeur à consulter en l’absence du salarié, le contenu des fichiers s’y trouvant et non identifiés comme personnels.

Au visa des articles précédents, la Cour de cassation répond positivement et censure la cour d’appel : « Attendu cependant qu’une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, étant présumée utilisée à des fins professionnelles, l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié  ».

Le contexte et les raisons de la décision

Ce qui frappe d’emblée dans l’attendu de la Cour de cassation c’est l’autorisation donnée à l’employeur d’accéder aux fichiers non identifiés comme personnels contenus dans une clé USB qui reste la propriété personnelle de la salariée.

Le contraste est frappant avec la solution retenue par le célèbre arrêt Nikon du 2 octobre 2001 de la Chambre sociale : « que l’employeur ne peut sans violation de cette liberté fondamentale (secret des correspondances) prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail ». A l’inverse des fichiers professionnels, les fichiers personnels ne pouvaient jamais être consultés librement par l’employeur.

L’arrêt Nikon, fortement décrié à l’époque par les employeurs, a donné lieu par la suite à des nuances de la part de la jurisprudence, afin justement de faciliter la charge de la preuve pesant sur les employeurs. C’est clairement le cas en matière de concurrence déloyale où la Chambre sociale a permis certaines atteintes à la vie privée des salariés pour permettre à l’employeur d’apporter la preuve des comportements illicites, surtout depuis le développement des technologies modernes « qui empruntent des voies souterraines » selon le professeur Perrot (Sociale 23 mai 2007 n°05-17.818).

L’orientation de la jurisprudence après l’arrêt Nikon de 2001 allait dans le sens d’une autorisation plus grande en faveur de l’employeur pour la consultation de fichiers même personnels du salarié : « sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé  » (Sociale, 17 mai 2005, n°03-400.17). Ce qui revient à dire que l’employeur est admis sous certaines conditions à consulter les fichiers personnels de son salarié et notamment au cas où le salarié est présent ou dûment appelé.

Aujourd’hui, fait nouveau, la Chambre sociale autorise l’employeur à consulter des fichiers non estampillés personnels sur une clé USB appartenant à la salariée et hors sa présence. Il existe en effet une présomption que ce matériel soit utilisé à des fins professionnelles. Cette présomption simple a été dégagée par la jurisprudence en faveur de l’employeur, confronté à une difficulté pour distinguer un fichier personnel d’un fichier professionnel. Des fichiers personnels classés dans la rubrique « mes documents » de l’ordinateur professionnel, n’ont pas de caractère personnel en l’absence de toute empreinte personnalisée du salarié, ce qui présume de leur nature professionnelle (Sociale, 10 mai 2012 n°11-13.884).

Plus généralement, la conception de la Chambre sociale est la suivante : tout ce qui se trouve dans le bureau ou l’entreprise, sauf identification personnelle par le salarié, est présumé avoir une finalité professionnelle et ouvre donc le droit pour l’employeur d’en prendre connaissance. Cette position ne s’applique pas uniquement à des fichiers informatiques mais également à des objets physiques. Une cadre commerciale de la SNCF a été licenciée pour cause réelle et sérieuse après la découverte dans un tiroir de son bureau d’une enveloppe fermée estampillée SNCF contenant la preuve d’actes malhonnêtes en vue d’obtenir des billets promotionnels. La Cour de cassation a alors décidé « que les documents détenus par un salarié dans le bureau de l’entreprise sont présumés professionnels, de sorte que l’employeur peut en prendre connaissance même hors la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels » (Sociale 4 juillet 2012 n°11-12.330).

Toutefois la Cour de cassation est venue nuancer cette jurisprudence selon laquelle tout ce qui figure dans le bureau de l’entreprise est présumé avoir un caractère professionnel. Ainsi, un dictaphone utilisé par une salariée pour enregistrer les conversations du dirigeant et celles de ses collègues n’est pas présumé avoir un caractère professionnel. De sorte que l’écoute des enregistrements par le dirigeant en l’absence de la salariée ou dûment appelée constitue une violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve (Sociale, 23 mai 2012 n°10-23.521).

Dans sa présente décision du 12 février 2013, la Chambre sociale traite à la fois d’un objet physique, la clé USB, et de fichiers informatiques. On s’attend donc à ce qu’elle combine les différentes solutions dégagées dans les décisions ci-dessus rappelées afin de rendre compte de l’originalité de l’espèce.

En statuant « qu’une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, étant présumée utilisée à des fins professionnelles, l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié », la Cour de cassation admet qu’une clé USB, objet personnel de la salariée, peut revêtir une finalité professionnelle dès lors qu’elle est incorporée à l’ordinateur professionnel, ce qui autorisera d’office l’employeur à accéder librement au contenu des fichiers non personnels figurant sur cette clé.

C’est donc la connexion de la clé USB à l’outil informatique de l’entreprise qui imprime à cette décision son originalité. Car, comme dans la solution relative au dictaphone, la clé USB si elle s’était simplement trouvée sur le bureau de la salariée sans être connectée à l’ordinateur, aucune présomption a priori du caractère professionnel n’aurait pu en être déduite. Toutefois, à la différence d’un dictaphone, une clé USB trouve plus naturellement sa place sur un bureau, de sorte que, si l’entreprise a pour habitude d’utiliser ce type de périphérique, les choses auraient pu en aller autrement, c’est-à-dire même non connectée à l’ordinateur professionnel un caractère professionnel aurait pu être envisagé, comme dans l’arrêt relatif à la lettre estampillée SNCF mais contenant des informations personnelles.

Les conséquences de la décision

La première conséquence visible est celle d’une réduction du champ de la protection de la vie privée pour le salarié. Désormais, le salarié doit savoir que son employeur peut accéder aux périphériques qu’il connecte à l’ordinateur professionnel, même hors sa présence. Cette solution devrait s’appliquer en toute hypothèse aux connexions réalisées à l’aide des téléphones intelligents.

Comme précédemment évoqué, la clé USB simplement posée sur le bureau, devrait avoir un caractère professionnel dès lors que les habitudes de travail de l’entreprise l’amènent à utiliser régulièrement ce type d’outil, dans ce cas, pour faciliter la distinction entre fichiers personnels et fichiers professionnels, l’employeur devrait bénéficier de la présomption d’utilisation à des fins professionnelles.

Enfin, il faut relever que sur le plan pratique la solution de la Chambre sociale est critiquable lorsqu’elle décide que l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels que la clé USB contient. En effet, en principe un utilisateur d’une clé USB ne crée pas nécessairement une catégorie « fichiers personnels » sur sa propre clé. De sorte que l’employeur pourra accéder en réalité à tous les fichiers contenus dans la clé, personnels et professionnels, ce qui démontre bien une régression dans la protection de la vie privée des salariés.
En revanche, cette solution est justifiée en matière de concurrence déloyale afin de préserver les intérêts de l’entreprise en cas de comportement répréhensible de salariés qui auraient tendance à se retrancher dans « la forteresse imprenable des litanies des secrets ».

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [->acheron@acbm-avocats.com]
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