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Arrêt Zen&Co : annulation d’une décision de l’INPI, risque global de confusion et notion d’interdépendance. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : vendredi 5 avril 2013
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Le contentieux du droit des marques, bien que déjà très fourni, continue de donner lieu à d’importants arrêts de la Cour de cassation. La solution rendue le 15 janvier 2013 par la Chambre commerciale vient nous renseigner sur l’étendue des pouvoirs d’annulation dont dispose une Cour d’appel en cas de rejet par le directeur de l’INPI d’une demande d’enregistrement de marque.

En l’espèce, la société Shiseido, titulaire de la marque « ZEN » qui désigne sous les classes 3 et 44 les activités « salons de beauté, de coiffure, soins et santé esthétiques, service manucure et massage » s’oppose à l’enregistrement auprès de l’INPI de la marque « Zen&CO » par la société ZEN&CO et recouvrant sous la classe 44 les activités « soins d’hygiène et de beauté pour les êtres humains et les animaux, salons de beauté ».

Le directeur de l’INPI fait droit à l’opposition formulée par Shiseido et refuse en conséquence, sur le fondement des similitudes existant entre les services des deux marques, l’enregistrement de la marque Zen&Co, pour « les soins d’hygiène et de beauté pour êtres humains ou animaux ».

La société ZEN&CO exerce un recours contre cette décision devant la Cour d’appel de Lyon, laquelle considère que les services « soins d’hygiène et de beauté pour animaux » ne sont pas similaires à ceux « pour les êtres humains » et qu’il n’existe donc pas de risque de confusion entre les deux marques pour le consommateur.

La Cour d’appel annule par conséquent la décision de l’INPI relative au refus d’enregistrement de la marque Zen&Co pour les services « soins d’hygiène et de beauté pour animaux ». Mais, et c’est là le cœur de la présente affaire, les juges d’appel prononcent l’annulation totale de la décision de l’INPI, y incluant donc les dispositions de la décision de l’INPI relatives « aux soins pour les êtres humains », pourtant jugés similaires à ceux de la nouvelle marque et donc susceptibles de porter à confusion. La Cour a ainsi estimé que : « cette annulation ne peut être partielle et cantonnée au seul refus d’enregistrement concernant les soins pour animaux ».

Considérant que la Cour d’appel aurait dû se limiter à une annulation partielle de la décision qu’il a rendue, le directeur de l’INPI se pourvoit devant la Cour de cassation afin que celle-ci se prononce sur la question de savoir si une Cour d’appel peut limiter le pouvoir lui appartenant d’annuler une décision du directeur général de l’INPI, à certaines seulement des dispositions de cette décision.

La Chambre commerciale censure la Cour d’appel au visa des articles L.712-4, L712-7 et L.411-4 du Code de propriété intellectuelle. Elle juge qu’une cour d’appel « saisie d’un recours contre une décision du directeur de l’INPI qui a déclaré justifiée l’opposition à une demande d’enregistrement d’une marque pour un ensemble de produits ou services , a le pouvoir de limiter l’annulation qu’elle prononce à certaines dispositions de cette décision  ».

Cette solution énonce clairement qu’une Cour d’appel a donc la faculté de n’annuler que partiellement une décision du directeur de l’INPI. Par cette décision, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel une violation des dispositions du Code de la propriété intellectuelle précitées en ce qu’elle a ignoré la finalité de ces textes. Mais implicitement la décision d’appel est censurée pour n’avoir pas appliqué ou tiré toutes les conséquences de la règle de l’interdépendance entre certains produits et services.

La Cour d’appel a un pouvoir d’annulation partielle de la décision de l’INPI.

Tout titulaire d’une marque régulièrement enregistrée à l’INPI bénéficie de droits antérieurs opposables à quiconque souhaite déposer une marque similaire pour un même secteur d’activité (article 711-4 du Code de la propriété intellectuelle). Le titulaire de la marque antérieure peut donc formuler une demande d’opposition d’enregistrement conformément aux articles L.712-4 et L.411-4 du CPI auprès du directeur de l’INPI, lequel dispose du pouvoir de rejeter la demande d’enregistrement en vertu de l’article L.712-7 du CPI lorsque certaines conditions sont réunies.

Il est possible pour celui dont la demande d’enregistrement est rejetée de saisir ensuite la Cour d’appel, seule compétente en cette matière, pour examiner la décision administrative de l’INPI. En l’espèce le directeur de l’INPI avait rejeté dans son ensemble la demande d’enregistrement présentée par la société ZEN&O en raison de la similarité des services.

La Cour d’appel décide préalablement que les soins pour animaux et les soins pour les êtres humains n’appartiennent pas à la même catégorie et ne présentent donc « aucune similitude ». Ayant dit cela et ainsi écarté ce premier point, la Cour constate qu’il existe toutefois une similitude entre d’autres services désignés par les marques (c’est-à-dire entre les soins aux êtres humains présentés par les deux marques) mais qu’il « n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation à celle de l’autorité d’enregistrement et par conséquent de mesurer quelle conséquence cette dernière aurait tiré, quant au périmètre de son refus, de cette absence de similitude des services en cause au regard de l’identité ou de la similitude d’autres services désignés par l’un et l’autre signe ».

En d’autres termes, puisque la décision de l’INPI est partie d’une appréciation erronée d’un facteur pertinent (les soins pour animaux, lesquels se sont avérés non similaires) cette décision n’a donc pas été amenée à apprécier le degré de similitude d’autres services (les soins pour les êtres humains). La Cour d’appel a refusé de substituer son appréciation à celle de l’INPI, décidant d’annuler la décision dans son ensemble, y compris par conséquent pour les services similaires.

Or c’est précisément pour ce motif que la Chambre commerciale censure pour violation des textes précités la cour d’appel qui avait retenu « que l’annulation ne peut être partielle et cantonnée au seul refus d’enregistrement concernant les soins d’hygiène et de beauté pour animaux  » alors qu’elle a au contraire « le pouvoir de limiter l’annulation qu’elle prononce à certaines dispositions de la décision de l’INPI ».

Malgré le laconisme de la solution retenue, il est possible toutefois de considérer que c’est en partie par référence à l’article 712-7 du CPI que la Cour de cassation a fondé sa décision. En effet, cet article qui dispose dans son dernier alinéa que « lorsque les motifs de rejet n’affectent la demande qu’en partie, il n’est procédé qu’à son rejet partiel » par le directeur de l’INPI, peut être étendu au recours-annulation devant la Cour d’appel qui peut également ne prononcer qu’une annulation partielle. Autrement, quelle serait l’utilité de prévoir un recours en appel si les juges d’appel ne peuvent pas prononcer de nullité partielle après analyse de l’interdépendance entre certains produits et services afin d’apprécier le risque global de confusion ?

L’interdépendance des facteurs pertinents pour l’appréciation du risque de confusion

La Chambre commerciale ne fait pas explicitement référence dans sa décision à la règle de l’interdépendance entre certains produits et services. Pourtant, la règle apparaît clairement dans l’arrêt de la Cour d’appel : « l’appréciation globale du risque de confusion implique en conséquence une certaine interdépendance entre les facteurs pertinents devant être pris en compte  ». C’est d’ailleurs sur ce fondement que la Cour d’appel prend la décision de prononcer une annulation totale de la décision de l’INPI mais d’une manière paradoxale puisqu’elle n’applique pas la règle qu’elle énonce. Pour parvenir à une telle décision, la Cour d’appel adopte un raisonnement que la Cour de cassation censurera.

L’appréciation du risque global de confusion entre une marque antérieure et la nouvelle marque repose sur l’analyse de l’interdépendance entre certains produits et services de ces marques. Ainsi, un faible degré de similitude entre les services ou produits couverts peut être compensée par une forte similitude des signes en cause ou inversement.

La jurisprudence applique de manière constante cette règle. Une Cour d’appel qui s’était limitée à des comparaisons entre les signes des marques « City » et « City Love » pour en déduire l’inexistence d’un risque de confusion a été censurée par la Cour de cassation au motif qu’« en se déterminant ainsi, au vu des seules similitudes et différences relevées entre les signes, sans rechercher si leur faible similitude n’était pas compensée par l’identité ou la similitude des produits couverts, la Cour d’ appel n’ a pas donné de base légale à sa décision  » (COM. 1 er juin 2010, n°09-15.568).

Il semble que dans l’arrêt du 15 janvier 2013 la Cour de cassation reproche implicitement à la Cour d’appel de n’avoir pas appliqué elle-même la règle de l’interdépendance des facteurs pertinents en cause. Au motif qu’elle ne peut se substituer à l’appréciation de l’INPI, laquelle au surplus a « évalué le risque de confusion à partir d’une appréciation erronée d’un facteur pertinent d’examen  », la Cour d’appel en tire les conséquences qu’elle ne peut que statuer sur une annulation totale de la décision.

En d’autres termes, l’INPI avait bien appliqué la règle de l’interdépendance des facteurs pertinents mais de manière erronée, tandis que la Cour d’appel s’abstient elle de toute application de cette règle en ce qui concerne les services « soins aux êtres humains ».

Or la Cour de cassation rappelle au visa des articles précités que la Cour d’appel « a le pouvoir de limiter l’annulation qu’elle prononce à certaines dispositions de la décision de l’INPI ». Il s’agit d’une interprétation finaliste des textes en cause : ils prévoient une voie de recours en appel afin d’apprécier le risque global de confusion sur l’origine de deux marques pour le public et le législateur a entendu conférer au juge d’appel le pouvoir de limiter l’annulation qu’il prononce à certaines seulement des dispositions de la décision.

Ainsi, au lieu de prononcer l’annulation de la décision du directeur de l’INPI dans son ensemble, la Cour d’appel pouvait cantonner cette annulation « aux seuls soins pour animaux » sans remettre en cause la décision de rejet du directeur concernant « les soins pour les êtres humains ».

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [->acheron@acbm-avocats.com]