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Jugement Bimbo : sur la contrefaçon de marque, la reprise d’éléments d’un site internet et la concurrence déloyale. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : mercredi 17 avril 2013
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La protection d’un site internet s’avère nécessaire, surtout lorsque le succès commercial est au rendez-vous. Les outils juridiques permettant de protéger l’architecture et le contenu d’un site sont principalement l’action en contrefaçon et l’action en concurrence déloyale ou parasitisme. Ces deux actions sont cumulatives mais non alternatives. En pratique, c’est le droit de la propriété intellectuelle qui est invoqué, au détriment du droit de la concurrence déloyale, lorsque les critères de l’œuvre de l’esprit sont présents.

Cependant rien n’empêche d’agir sur les deux terrains dès lors qu’il est fait référence à des éléments de faits distincts. C’était précisément le cas dans le présent litige qui opposait deux sites internet devant le TGI de Paris (TGI de Paris 15 mars 2013 Beemoov c/Jurovi Studio).

En l’espèce, la société Beemoov qui est titulaire de la marque « Ma Bimbo », a assigné pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale la société Jurovi qui, comme elle, exerce l’activité d’édition de jeux en ligne se rapportant à la mode et à des simulations de styles vestimentaires.

Il est reproché à la société Jurovi d’avoir utilisé le signe « Bimbo » sur la page d’accueil de son site Internet fashiondeez.com, d’avoir notamment dénommé « Bimbo’Store » la boutique de vente de vêtements virtuels, d’avoir repris le contenu du site ma-bimbo.com ainsi que les CGV de la société Beemoov et d’avoir commis une publicité trompeuse en publiant sur son site le slogan « Fashion Deez le premier jeu de simulation de vie regroupant la mode et le look ».

La société Beemoov réclamait ainsi des dommages et intérêts de 15 000 euros pour l’acte de contrefaçon de marque et plus de 474.000,00 euros pour les actes de concurrence déloyale et parasitisme, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

Le TGI de Paris condamnera finalement à 20.000 euros la société Jurovi pour l’ensemble des infractions retenues contre elle.

L’action en contrefaçon de marque

Le TGI n’a pas retenu cette infraction contre la société Jurovi. La société requérante invoquait l’acte de contrefaçon de marque sur le fondement de l’article L-713-3 du Code de la propriété intellectuelle qui interdit l’utilisation d’une marque sans l’autorisation de son propriétaire dès lors qu’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public.

En l’occurrence, il est manifeste que la reprise du signe « Bimbo » par la société Jurovi pouvait avoir pour effet de désorienter la demande et d’instaurer la confusion dans l’esprit de la clientèle qui ne parviendrait plus à attribuer à une entreprise ses produits et services. Toutefois, il était soutenu en défense que le mot « Bimbo » avait une signification dans le langage courant, la société Jurovi citait à cet égard le Dictionnaire du look dans lequel le terme Bimbo signifie « jeune femme sympathique habillée de manière sexuellement ostentatoire ». Le TGI en conclut que l’utilisation de ce mot ne l’a pas été à titre de marque mais simplement dans l’acception courante que l’on donne à ce mot.

Le jugement doit être approuvé en ce qu’il n’a pas succombé à la tentation de la sanction systématique du seul fait de la reprise du nom d’une marque. En effet, toute reprise n’est pas fautive ou confondante, « elle peut être dans l’air du temps ou être le fruit des modes ou des tendances » (Droit du marché, Claude Luca, Parleani 1reéd. Puf).

Constatation d’une concurrence déloyale par la reprise du contenu du site

Le Tribunal a admis qu’il y avait en l’espèce concurrence déloyale par Jurovi du fait d’une reprise de l’architecture du site ma-bimbo.com. Tout en reconnaissant que certaines fonctionnalités sont inhérentes à ce type de jeu, les juges ont donné raison à la société requérante selon qui, les onglets du menu de sa page d’accueil ont été imités « sans complexe » par la société Jurovi, pareillement pour nombre de fonctionnalités et d’intitulés tels que« le bar des filles » ou le « coin des mecs ».

Les décisions se rapportant à des condamnations de sites internet pour ressemblance ne sont pas nombreuses. Toutefois un jugement du TGI de Paris a sanctionné un site Internet pour parasitisme en retenant que « si la démonstration de la copie du site Internet ne suffit pas à caractériser la contrefaçon, elle établit, en revanche, l’appropriation du travail d’autrui  ». Dans ce jugement il était en effet établi que certaines pages de parole-experts.com « sont formellement et fondamentalement identiques » (TGI Paris, 3 e ch., sect. 4, 28 mai 2009, Jérôme S. / Association Lexeek).

Un autre jugement, du Tribunal du commerce, vient nous renseigner sur les éléments de comparaison à retenir entre deux sites afin de caractériser la ressemblance fautive  : les menus, le fond de page, le mode de présentation d’une rubrique etc.. (TC 15e ch., 30 octobre 2009, Dreamnex c/ In’Exes).

Par ailleurs, le site Internet qui invoque la concurrence déloyale pour reprise de son contenu doit être à même d’apporter la preuve de l’antériorité de son existence. Il s’agit ici d’apporter la preuve de l’originalité de son site, preuve qui peut être établie par différents moyens dont le plus sûr reste celui du dépôt à l’INPI du graphisme du site web.

Par ailleurs, les juges ont eu recours en l’occurrence à des éléments extrinsèques pour retenir l’acte de concurrence déloyale par la reprise du contenu d’un site. Ils ont ainsi relevé que les associés respectifs des deux sociétés en litige se sont fréquentés par le passé et notamment qu’ils ont été scolarisés dans le même établissement et que les associés de Jurovi « n’ignoraient donc rien de l’activité de Beemoov ».

Concurrence déloyale par la reprise des conditions générales de vente

Les juges ont retenu la responsabilité de la société Jurovi sur ce fondement en constatant qu’elle « a repris certains passages en entier au site internet de la demanderesse ». La société Beemoov faisait valoir qu’elle a exposé des frais en confiant à un cabinet d’avocats le travail d’élaboration des CGV et qu’il serait donc injuste que la société Jurovi s’approprie le travail d’autrui en détournant à son profit les investissements ainsi réalisés.

De son côté la société défenderesse soutenait qu’elle a réalisé ses CGV en compilant différents modèles et qu’aucun « plagiat » ne pouvait lui être reproché. Ce qui n’a pas convaincu les juges puisqu’ils ont décidé que les « conditions générales du jeu Fashion Deez sont manifestement inspirées par celles du jeu Ma Bimbo ».

Rejet de l’action en concurrence déloyale à raison de liens hypertextes

Le TGI n’a pas retenu de concurrence déloyale en ce qui concerne l’existence d’un lien hypertexte figurant sur un blog consacré au site Ma Bimbo. Ce blog vantait les mérites d’un nouveau jeu de mode développé par Beemoov mais renvoyait grâce au lien hypertexte au site Fashion Deez appartenant à Jurovi. De la même manière, il existait sur Facebook le blog intitulé « le blog de blog-ma-bimbo » renvoyant par un lien sur le site Fashion Deez.

Pour rejeter la demande de Beemoov, les juges se contentent de relever qu’il n’est pas rapporté la preuve de ce que Jurovi fut à l’origine de ces blogs.

Existence d’une concurrence déloyale par la publicité trompeuse

Les juges ont considéré que la société Jurovi s’est rendue coupable de publicité trompeuse en ayant eu recours au slogan « Fashion Deez le premier jeu de simulation » alors que « le qualificatif de premier qui se rapporte non à une notion subjective, mais bien à un critère ayant trait soit à l’ancienneté, soit à l’audience ou à la fréquentation, doit donc être manié avec précaution, faute de quoi il serait de nature à laisser croire à l’internaute en l’existence de qualités imaginaires ». Les juges reprochent donc au site d’avoir utilisé avec légèreté le qualificatif « premier » et cela afin de mieux accaparer l’attention des internautes.

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [->acheron@acbm-avocats.com]