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Traite des êtres humains, travail forcé, réduction en servitude et en esclavage : incrimination après la loi du 5 août 2013. Par Thierry Vallat, Avocat.
Parution : jeudi 22 août 2013
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La loi du 5 août 2013 transposant la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes

La loi 2013-711 du 5 août 2013 (publiée au JO du 6 août 2013), en transposant trois directives, deux décisions-cadres et la décision renforçant Eurojust, adapte la législation française à plusieurs conventions internationales, ainsi qu’à un protocole et une résolution de l’Organisation des Nations unies (ONU).

La loi du 5 août 2013 transpose ainsi notamment la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.

Cette directive a pour objet d’intégrer dans « l’acquis » de l’Union les dispositions de la convention du Conseil de l’Europe relative à la lutte contre la traite des êtres humains, signée à Varsovie le 25 octobre 2007 (ratifiée par la France et entrée en vigueur en 2008).

La législation française était déjà largement conforme aux obligations résultant de cette nouvelle directive. La loi du 5 août 2013 introduit par ses trois premiers articles trois modifications dans le code pénal et une dans le Code de procédure pénale.

Il est donc désormais prévu que le prélèvement d’organe est une forme d’exploitation permettant la qualification de traite des êtres humains et met ainsi la législation en parfaite conformité avec la définition donnée par le paragraphe 3 de l’article 2 de la directive relative à la traite des êtres humains, ainsi qu’avec les définitions données par l’article 4 de la convention de Varsovie et par l’article 3 du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Par ailleurs, la nouvelle loi fixe les moyens alternatifs caractérisant l’incrimination de traite des êtres humains.

Jusqu’à présent, seul l’échange de rémunération permettait de caractériser cette infraction (les autres moyens constituaient des circonstances aggravantes et avaient un caractère cumulatif avec le premier et seul moyen visé à l’article 225-4-1).
Le nouveau texte introduit également un nouveau moyen pour caractériser l’infraction de traite des êtres humains : l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité. Les circonstances suivantes ne sont donc plus cumulatives et deviennent alternatives :
- l’échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage ;
- l’emploi de menaces, de contraintes, de violences ou de manœuvres dolosives visant l’intéressé, sa famille ou une personne étant en relation habituelle avec elle ;
- l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité.

Les violences ou les menaces, la vulnérabilité permettent de caractériser la traite des êtres humains sans circonstance aggravante et sont sanctionnés de sept ans d’emprisonnement. La loi ne modifie pas le fait que certains cas d’abus d’autorité ou l’abus d’une situation de « particulière » vulnérabilité sont constitutifs de la traite des êtres humains aggravée et sanctionnés de dix ans d’emprisonnement.

Enfin, pour être en parfaite conformité avec les définitions de la traite des êtres humains données dans les différents instruments internationaux (directive, convention du Conseil de l’Europe de Varsovie et protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants), la loi élargit l’infraction de traite des êtres humains en introduisant une référence au travail ou aux services forcés et à l’esclavage. L’adaptation de la législation française est d’autant plus nécessaire que la France avait été condamnée deux fois par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) (Siliadin c. France, 26 juillet 2005, n° 73316/01 et C.N. et V. c. France, 11 octobre 2012, n° 67724/09).
Lorsque la victime est un mineur, les faits de traite des êtres humains sont constitués même en l’absence de menace de recours à la force ou autres formes de contrainte. Ces victimes mineures peuvent être accompagnées, tout au long de la procédure, par leur représentant légal ou le majeur de leur choix.

L’article 225-4-1 du Code pénal est donc ainsi rédigé :
« Art. 225-4-1. - I. ― La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes :
« 1° Soit avec l’emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;
« 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 3° Soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;
« 4° Soit en échange ou par l’octroi d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage.
« L’exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l’un de ses organes, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit ».
« La traite des êtres humains est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende ».
« II. ― La traite des êtres humains à l’égard d’un mineur est constituée même si elle n’est commise dans aucune des circonstances prévues aux 1° à 4° du I. »
« Elle est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 500 000 € d’amende
. »

Sont par ailleurs insérés dans le code pénal des articles 225-14-1 et 225-14-2 ainsi rédigés :
« Art. 225-14-1. - Le travail forcé est le fait, par la violence ou la menace, de contraindre une personne à effectuer un travail sans rétribution ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli. Il est puni de sept ans d’emprisonnement et de 200 000 € d’amende. »
« Art. 225-14-2. - La réduction en servitude est le fait de faire subir, de manière habituelle, l’infraction prévue à l’article 225-14-1 à une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur. Elle est punie de dix ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende
. »
En outre, le Code pénal fait désormais référence au délit de "réduction en esclavage" dans ses articles 224-1 A et suivants :
Art. 224-1 A.-La réduction en esclavage est le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété.
« La réduction en esclavage d’une personne est punie de vingt années de réclusion criminelle.
« Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue au présent article.
« Art. 224-1 B.-L’exploitation d’une personne réduite en esclavage est le fait de commettre à l’encontre d’une personne dont la réduction en esclavage est apparente ou connue de l’auteur une agression sexuelle, de la séquestrer ou de la soumettre à du travail forcé ou du service forcé.
« L’exploitation d’une personne réduite en esclavage est punie de vingt années de réclusion criminelle.
« Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue au présent article.
« Art. 224-1 C.-Le crime de réduction en esclavage défini à l’article 224-1 A et le crime d’exploitation d’une personne réduite en esclavage définis à l’article 224-1 B sont punis de trente années de réclusion criminelle lorsqu’ils sont commis :
« 1° A l’égard d’un mineur ;
« 2° A l’égard d’une personne dont la vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de l’auteur ;
« 3° Par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne qui a autorité sur la victime ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 4° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre l’esclavage ou au maintien de l’ordre public ;
« 5° Lorsque le crime est précédé ou accompagné de tortures ou d’actes de barbarie.
« Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues au présent article
 »

Enfin, il est prévu que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits dont l’objet statutaire comporte la lutte contre la traite des êtres humains et l’esclavage peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions de traite des êtres humains, de réduction en esclavage, d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, de travail forcé et de réduction en servitude, réprimées par les articles 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-9, 225-14-1 et 225-14-2 du Code pénal. Toutefois, l’association n’est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. Si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, l’accord doit être donné par son représentant légal

Thierry Vallat, Avocat www.thierryvallatavocat.com
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