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Norme AFNOR sur les avis clients : vers une interdiction du mensonge sur internet ? Par Pauline Ducoin, Avocat.
Parution : mercredi 28 août 2013
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Un vieux proverbe italien dit qu’« il vaut mieux avoir des amis au marché que des sous dans son coffre ». Ce qui était vrai pour les marchands vénitiens ou génois l’est encore davantage pour les marchands en ligne modernes, tant on constate que les avis en ligne des consommateurs font l’e-réputation qui constitue un véritable capital de confiance.

Mais qui n’a pas suspecté l’authenticité de certains commentaires, tant positifs que négatifs, qui semblent avoir pu être manipulés tantôt par le vendeur tantôt par ses concurrents ?

Certains pays, tirant parti de leur culture numérique fondée sur des préceptes de transparence par la diabolisation de la manipulation, ont généré un système d’autorégulation, réel ou supposé, du marché, basé sur le cercle vertueux de la confiance.

Dans un paysage national moins ancré dans ce système de fonctionnement, l’AFNOR (Agence Française de Normalisation) vient de publier une norme (Z74-501) destinée à restaurer la confiance dans les avis en ligne de consommateurs.

Il s’agit avant tout d’une recommandation non contraignante pouvant conduire à une auto-certification, voire une labellisation par un organisme tiers, de sites internet recueillant des avis de consommateurs (e-commerçants, sites de recueil d’avis, etc.)

Les avis de consommateurs ont en effet une influence économique majeure sur le comportement de leurs semblables et de facto sur le comportement marketing des acteurs du marché numérique.

Dans la terminologie de Google, toute la conviction du consommateur se joue au « Zero Moment Of Truth » (ZMOT “zee-moment”).

Venant s’intercaler entre le stimulus et la décision, le ZMOT est le fourmillement d’informations disponibles, c’est-à-dire l’instant du processus décisionnel influencé notamment par les expériences personnelles d’autres consommateurs.

En d’autres termes, le partage d’expérience légitime la confiance. Mais quelle confiance ont réellement les consommateurs dans le partage d’expérience ?

Préalablement à la rédaction de sa norme, l’AFNOR a fait procéder par Testntrust et Easypanel à une enquête d’opinion sur les avis de consommateurs.

Si l’opinion publique prête parfois à tort de mauvaises intentions aux concurrents présents sur le marché, cette enquête a montré que les consommateurs ont de moins en moins confiance dans les avis référencés sur internet.

Pour palier ce sentiment de méfiance à l’égard de sources non vérifiables, l’AFNOR, en collaboration avec 43 acteurs du secteur envisagé, a élaboré une norme visant à encadrer les trois phases de collecte, de modération et de restitution des avis par les gestionnaires sur internet.

Au moment de la collecte, les exigences d’identification de l’auteur de l’avis et de réalité de l’expérience de consommation sont essentielles. La publication en ligne peut être anonyme (utilisation de pseudonyme) mais le consommateur personne physique doit être « contactable ».

A cet égard, restera à déterminer quels contours seront dessinés autour de cette notion, et si, comme l’avait estimé le tribunal de grande instance de Paris en 2009, l’adresse IP du consommateur est une donnée personnelle suffisamment identifiante pour que son titulaire soit qualifié de « contactable ».

S’agissant de la collecte des données, l’expérience de consommation doit être avérée par une preuve matérielle dont le gestionnaire d’avis devra vérifier la consistance.

Il pourra s’agir d’une preuve d’achat (ticket de caisse, photographie, facture) et/ou du récit de l’expérience de consommation, qui devront faire l’objet d’une vérification a priori automatisée ou humaine ainsi que d’un échantillonnage a posteriori pour en assurer la fiabilité.

Le gestionnaire doit également fournir des informations précises et complètes au consommateur, tant s’agissant des méthodes de collecte des avis que de leur modération. Les conditions générales d’utilisation des sites souhaitant se conformer à la norme devront ainsi les mentionner.

De plus, la norme exige que la modération des sites collectant des avis de consommateurs s’exerce a priori.

Sans pouvoir altérer de quelque manière que ce soit le contenu de l’avis (ni corriger les fautes d’orthographe) le gestionnaire doit modérer chacun d’entre eux pour déterminer s’il sera publié ou rejeté.

Cette obligation de modération a priori déplace le curseur de responsabilité qui pointe désormais vers le gestionnaire d’avis.

En effet, conformément à la directive sur le commerce électronique de 2000 et la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, un gestionnaire de forum de discussions exerçant une modération a posteriori ne voit sa responsabilité engagée que s’il n’agit pas promptement après qu’un abus lui a été signalé. Au contraire, le modérateur a priori est responsable de toute publication présente sur le site qu’il édite.

L’application de la norme privera donc le gestionnaire du régime de responsabilité allégé des hébergeurs pour l’astreindre systématiquement aux conditions de responsabilité de l’éditeur de contenu.

S’agissant enfin de la phase de restitution, le gestionnaire doit publier tous les avis validés dans leur intégralité et par ordre chronologique. Le calcul des notes attribuées par les consommateurs doit être transparent et la restitution des avis opérée dans un délai maximum indiqué par le gestionnaire. Le responsable du produit à quant à lui un droit de réponse gratuit qui doit être publié dans les 7 jours par le gestionnaire.

Présentée comme les premiers travaux de normalisation internationaux ou européens traitant de ce sujet, cette norme (non contraignante) a vocation à s’intégrer dans le paysage virtuel planétaire.

Or, si l’AFNOR est une association reconnue d’utilité publique, les initiatives privées visant à analyser et dégager des principes de bonnes conduites pour susciter la confiance du consommateur sont récurrentes.

A cet égard, le comportement des consommateurs et des professionnels va nécessairement évoluer en intégrant les nouvelles normes qui peuvent s’imposer à eux.

En effet, lorsque l’avis de consommateurs de proximité sera recherché pour des produits/services mis à disposition localement, les internautes préféreront peut être les forums certifiés norme AFNOR, si tant est qu’ils en connaissent la portée.

En revanche, lorsqu’il s’agit de biens de consommation ayant un caractère international (voyage, hôtel, fournisseurs étrangers, etc.) alors le consommateur peut privilégier les sites internet étrangers, plus typiques et pour lesquels aucune réglementation particulière ne s’applique.

La confiance dans l’économie numérique et la réputation des acteurs sur ce marché se construisent par l’e-réputation et la fréquentation fondées sur un critère de quantité, et par la confiance et le référencement fondés sur un critère de qualité qui relèvent notamment du Second Moment of Truth ou le partage d’expériences de consommation.

Il semble finalement que la méfiance et la suspicion de détournement d’avis par les acteurs du marché fassent partie de l’équation prise en compte par le consommateur qui les consulte. Reste à déterminer si la certification AFNOR permettra de renouveler la confiance émoussée du consommateur à l’égard des avis d’internautes.

Luc-Marie AUGAGNEUR, avocat associé Lamy & Associés
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